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Abuja 2025

Afreximbank dessine l’Afrique du commerce et de la souveraineté

25 juin 2025, 16:59

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Afreximbank dessine l’Afrique du commerce et de la souveraineté

Aliko Dangote, Tony Elumelu et Kishore Mahbubani font partie des pointures participant à cette 32e édition d’AAM.

Du 25 au 27 juin, Abuja, la capitale fédérale du Nigeria, devient l’épicentre du commerce intra-africain, de l’intégration régionale et de la diplomatie économique Sud-Sud. La 32e édition des réunions annuelles de l’African Export-Import Bank (Afreximbank), AAM2025, organisée sous le thème «Building the Future on Decades of Resilience», n’est pas un simple conclave institutionnel. Elle incarne l’une des tentatives les plus cohérentes du continent pour se doter d’une architecture financière autonome capable de stimuler la transformation structurelle des économies africaines.

Avec plus de 2 800 participants attendus, une centaine de journalistes accrédités et la présence de chefs d’État, de ministres, de gouverneurs de banques centrales, d’économistes et d’icônes de l’entrepreneuriat africain – de Jeffrey Sachs, professeur en économie de Columbia University, à Aliko Dangote, businessman et milliardaire nigérian à la tête d’un empire de production de ciment en Afrique subsaharienne avec une fortune personnelle de plus de USD 13 milliards, en passant par Tony Elumelu, économiste, banquier et chairman de Heirs Holdings, et Kishore Mahbubani, éminent universitaire et diplomate singapourien – AAM2025 dépasse le cadre d’une conférence classique. Elle devient une plateforme stratégique pour concrétiser les ambitions portées par l’AfCFTA (African Continental Free Trade Area), le PAPSS (Pan-African Payment and Settlement System) et d’autres mécanismes de financement propres au continent.

Choisie pour accueillir cette édition,Abuja n’est pas un simple décor. Capitale fédérale depuis 1991, cette ville planifiée au cœur du Nigeria symbolise l’unité nationale et l’équilibre géographique d’un pays-clé pour l’Afrique. C’est une métropole administrative et diplomatique, dotée d’une infrastructure de congrès moderne et bien connectée, avec l’aéroport international Nnamdi Azikiwe, plusieurs hôtels haut de gamme et des dispositifs de sécurité renforcés. Située dans le Territoire de la capitale fédérale (FCT), Abuja est aussi le reflet de l’ambition panafricaine de placer l’Afrique au centre de ses propres décisions. Le choix du Nigeria, première économie d’Afrique avec un PIB de près de USD 500 milliards, est aussi un message politique: les grandes initiatives africaines doivent désormais émerger du continent et non de la périphérie.

Fondée en 1993, Afreximbank est une institution multilatérale panafricaine créée pour financer et promouvoir le commerce intra et extra-africain. Avec des actifs dépassant USD 40 milliards et des fonds propres de USD 7,2 milliards à fin 2024, elle s’est affirmée comme un pilier du financement alternatif pour les États et les entreprises africaines. Contrairement aux banques de développement traditionnelles, Afreximbank combine des logiques de banque d’investissement, de facilitateur commercial et de porteur d’innovations financières. Outre le PAPSS, qui est un système de paiement transfrontalier en monnaies locales, cette institution financière a créé parallèlement un fonds d’ajustement de USD 10 milliards pour accompagner les pays dans la mise en œuvre de l’AfCFTA, et mis en place des mécanismes de garantie de crédit, de syndication de dettes et de financement structuré des exportations.

Un acteur catalyseur

Ce positionnement unique fait de la banque un acteur catalyseur, comblant les défaillances du marché du crédit et intervient dans un contexte de fragilité géoéconomique mondiale et d’incertitudes, comme souligne son chairman, le professeur Benedict Oramah, marqué par les tensions monétaires, les politiques protectionnistes et la reconfiguration des chaînes de valeur. Pour l’Afrique, cela signifie à la fois des menaces (hausse du coût du crédit, instabilité des devises, marginalisation des marchés) et des opportunités (relocalisation industrielle, diversification des partenaires, dynamique AfCFTA).

Dans cette optique, AAM2025 se veut une boîte à outils stratégique avec des sessions techniques sur la logistique régionale, le commerce numérique et la décarbonation de l’économie. Mais aussi des forums de dialogue public-privé pour renforcer les synergies entre États, institutions financières, petites et moyennes entreprises et multinationales africaines.

L’une des innovations majeures de cette édition est l’ancrage affirmé de la coopération Afrique–Caraïbes (CARICOM), avec la participation de plusieurs anciens chefs de gouvernement et d’institutions caribéennes. Ce rapprochement Sud-Sud, souvent évoqué mais rarement concrétisé, s’inscrit dans la logique d’un panafricanisme économique opérationnel. Le but est double : créer, selon les spécialistes, des corridors de commerce et d’investissement transatlantiques, et partager des expériences institutionnelles et financières entre territoires partageant des défis communs (endettement, insularité, vulnérabilité climatique, dépendance aux devises fortes).

L’autre enjeu d’AAM2025 est symbolique et systémique : faire d’Afreximbank un vecteur d’un multilatéralisme africain fondé sur les réalités du continent. Dans un monde où les règles du commerce sont de plus en plus dictées par des blocs géopolitiques (Union européenne, Chine, États-Unis), l’Afrique doit s’appuyer sur ses propres instruments – non pas en rupture, mais en souveraineté. Afreximbank, par sa gouvernance multinationale, son lien étroit avec l’Union africaine et sa capacité à lever des capitaux à l’échelle continentale, représente cette forme d’autonomie fonctionnelle qui permet à l’Afrique de ne pas subir les cycles financiers mondiaux, mais d’y répondre par des politiques de résilience intégrée. AAM2025 à Abuja ne se contente pas de dresser un état des lieux des défis commerciaux africains. Elle ambitionne de poser les fondations d’un nouvel ordre financier continental. Dans une Afrique en quête d’industrialisation, de compétitivité et de souveraineté économique, Afreximbank ne sera pas simplement un partenaire. Elle est appelée à devenir l’ingénieur financier de l’intégration africaine.

Alors que les dirigeants politiques et économiques s’expriment, que les panels techniques se succèdent et que les projets structurants se dessinent, une conviction émerge : le futur du commerce africain se construit en Afrique – et cela commence à Abuja.

VILLEN ANGANAN

d’Abuja, Nigeria

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