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Travailleurs étrangers en fuite

Alerte sur un système à bout de souffle

20 juillet 2025, 17:00

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Alerte sur un système à bout de souffle

■ Les travailleurs étrangers continuent de disparaître alors que les autorités promettent plus de mesures pour les protéger.

Le début de la semaine a été marqué par une nouvelle inquiétante : une vingtaine de travailleurs étrangers ont disparu de leur dortoir à Pointe-aux-Sables. Six autres ont pris la fuite à Roches-Noires. Derrière ces disparitions, se dessine une réalité de plus en plus visible : de nombreux travailleurs préfèrent vivre dans l’ombre, sans papiers, plutôt que de retourner dans leur pays d’origine. Le ministre du Travail, Reza Uteem, en est conscient. Il promet des mesures concrètes pour mieux encadrer le système de recrutement et surtout pour protéger les droits de ces travailleurs souvent vulnérables.

Toutefois, selon le président de la Confédération des travailleurs des secteurs public et privé (CTSP), Reeaz Chuttoo, le problème est ancien et structurel. «Ce n’est pas quelque chose de nouveau. Déjà en 2018, nous avions alerté les autorités sur le fonctionnement opaque des agents recruteurs privés. Nous avions même soumis un référendum pour questionner leur légitimité.» Le syndicaliste rappelle que dans plusieurs pays, le recrutement de travailleurs étrangers est strictement encadré par l’État. «Cela permet un minimum de contrôle et de transparence.»

Reeaz Chuttoo va plus loin. Il affirme qu’en 2018, des cas de faux passeports avaient été signalés. «Des femmes venues du Bangladesh portaient uniquement des prénoms comme Beauty ou Sunny, ne parlaient pas anglais et pourtant étaient entrées en toute impunité.»

Une délégation de la CTSP s’était même rendue au Bangladesh, à l’invitation du Bureau international du travail, pour comprendre les rouages du recrutement sur place.

«Nous avons découvert l’existence d’une agence parapublique, la Bangladeshi Overseas Employment Services Limited, qui facture des frais minimes. Mais les agents privés contournent cela, créant un système illégal où les travailleurs doivent s’endetter lourdement pour venir à Maurice.» Certains, ajoute-t-il, vont jusqu’à mettre leur famille en gage. «Si les remboursements ne suivent pas, les proches sont envoyés dans les briqueteries pour travailler.» Cette dette est l’une des raisons pour lesquelles les travailleurs refusent de rentrer. Pour eux, travailler illégalement à Maurice est leur seule option pour rembourser ce qu’ils doivent.

Fayzal Ally Beegun, autre syndicaliste engagé dans la défense des droits des migrants, confirme la gravité de la situation. «Il est quasiment impossible de savoir combien d’argent un travailleur étranger a dépensé pour venir à Maurice. Certains agents n’hésitent pas à les menacer de déportation s’ils parlent.» Il plaide pour des enquêtes en l’absence des recruteurs ou de leurs représentants. Mais même cela reste complexe. «Il y a des taupes parmi les travailleurs eux-mêmes. Beaucoup ont peur de parler. On voit la panique dans leurs yeux quand on évoque une plainte.» Il reconnaît toutefois la volonté du ministre d’agir, même si le combat s’annonce difficile. «On doit interroger chaque travailleur individuellement. C’est faisable, mais cela demande du temps, et surtout, de la confiance.»

Vers une réforme du système

Face à cette réalité, Reza Uteem annonce des mesures fermes. Les agents recruteurs devront suivre un code de conduite strict, sous peine de sanctions. Ils ne pourront plus percevoir de commissions ni à Maurice, ni dans le pays d’origine du travailleur. Si cela se produit, ce seront eux, et non les travailleurs, qui devront rembourser les sommes en question. Autre engagement : les employeurs abusifs seront écartés du processus de recrutement. «Ceux qui ont bloqué des passeports, retenu les salaires ou négligé de fournir repas et hébergement ne recevront plus d’autorisation pour faire venir de nouveaux travailleurs», prévient le ministre.

Une nouvelle législation est en cours d’élaboration. «Le projet de loi est entre les mains du State Law Office. Il a été conçu avec l’aide d’experts de l’Organisation internationale pour les migrations et vise un recrutement éthique et respectueux des droits humains.»

Reza Uteem rappelle que la présence des travailleurs étrangers est vitale pour l’économie mauricienne. «Ce n’est pas que les Mauriciens ne veulent pas travailler, mais il y a un manque de personnel dans plusieurs secteurs. Aujourd’hui, même les PME et les maisons de retraite nous demandent des travailleurs.»

Concernant le Bangladesh, le ministre justifie la suspension du recrutement dans ce pays en raison du nombre élevé de travailleurs illégaux. Mais il précise : «Une fois que le problème sera réglé, nous pourrons reprendre les recrutements.» Il insiste : les employeurs qui embauchent au noir seront poursuivis car «c’est une pratique illégale». Le ministère aurait déjà facilité les procédures de délivrance des permis pour éviter les retards qui poussaient certains à opter pour des circuits illégaux.

Résultat ? De novembre à ce jour, plus de 3 000 travailleurs illégaux ont quitté le pays et il ne resterait qu’environ 2 000 personnes en situation irrégulière, majoritairement originaires du Bangladesh. Les Assises du travail à venir s’annoncent cruciales. Les syndicats comptent bien y exposer les failles du système, interpeller les autorités et proposer des pistes de réforme. La question migratoire sera au cœur des débats, avec un mot d’ordre : respecter la dignité de ceux qui viennent construire, coudre, nettoyer et soigner à Maurice, souvent au prix de lourds sacrifices.

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