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Shamima Patel-Teeluck: parcours de combattante

1 mai 2014, 06:06

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Shamima Patel-Teeluck: parcours de combattante

Shamima Patel-Teeluck n’est pas la seule Mauricienne à avoir eu un cancer du sein. Elle a choisi de se faire entendre pas uniquement au mois d’octobre, mois du cancer, mais tout au long de l’année par le biais d’une association qu’elle a fondée et qu’elle préside, la «Breast Cancer Care».

 

Shamima Patel-Teeluck, qui a une longue expérience de la vente et qui est manager chez Variety Foods Ltd, a été beaucoup vue et entendue ces jours-ci dans la presse à propos de son association qui sera officiellement lancée le 10 mai au cours d’une soirée de charité au Café du Vieux Conseil à Port-Louis. Si cette dynamique quadragénaire s’est laissée autant médiatiser, ce n’est pas parce qu’elle veut attire l’attention sur elle. «Je ne veux être un modèle pour personne, simplement une inspiration pour les malades du cancer du sein pour qu’elles ne baissent pas les bras et se fassent soigner.»

 

Jusqu’à 2010, cette mère de deux filles, qui a travaillé pour la première fois à 33 ans, pensait que le cancer du sein n’arrivait qu’aux autres. D’autant plus qu’elle n’avait jamais eu de problèmes de santé et qu’elle vivait à 100 à l’heure, travaillant pour d’autres, ainsi qu’à l’ouverture de son magasin de vêtements pour dames. Si bien que lorsqu’elle constate une petite grosseur sous-cutanée au-dessus de son sein gauche, elle n’y prête pas attention et laisse passer trois mois. C’est une publicité d’une Clinique offrant le dépistage pour le cancer du sein qui l’incite à se faire examiner.

 

Le médecin note que la grosseur est dure et bien ancrée. Plein de tact, il lui recommande une mammographie immédiate, tout en l’avertissant que s’il trouve quelque chose d’inquiétant, il la soumettra à une échographie. Et s’il n’est toujours pas satisfait de l’examen clinique, il lui fera une biopsie. Pensant qu’il s’agit d’un kyste bénin, Shamima Patel-Teeluck accepte et passe la mammographie et commence à envisager les choses plus sérieusement lorsque le praticien lui recommande l’échographie, suivie de la biopsie.

 

Juste avant de se prêter à cette ponction de la grosseur qui se pratique à cru, elle a la présence d’esprit d’appeler son mari Ismaël pour qu’il la rejoigne. Et le samedi 20 mars 2010, le médecin lui annonce que la grosseur est cancéreuse mais localisée. Comme options proposées, il y a la radiothérapie pendant six mois ou la mastectomie qui est l’ablation du sein. Après ses questions, le médecin lui déconseille la radiothérapie car la grosseur est non loin du coeur. Il la rassure en lui disant qu’en l’opérant, il saura s’il doit juste enlever la grosseur ou la totalité du sein.

 

Shamima Patel-Teeluck a si peur que le cancer se soit infi ltré dans son organisme qu’elle opte pour la mastectomie. Si elle dit la vérité à son mari, elle ne résout pas à l’annoncer à ses filles, en particulier à son aînée qui s’apprête à prendre part aux examens de classe terminale. Lorsqu’elle se réveille après l’opération, elle panique car elle pense qu’on lui a amputé le bras gauche où elle n’a plus de sensation. En fait, comme le cancer s’est infiltré dans deux glandes lymphatiques de l’aisselle, le chirurgien a préféré toutes les enlever. Shamima Patel-Teeluck doit alors faire de la rééducation durant deux semaines pour recouvrer l’usage de son bras.

 

Elle ne pleure sur son sort que le jour où on lui fait son pansement et qu’elle découvre son buste mutilé. «J’ai pleuré cette unique fois-là. Il m’a fallu faire le deuil de ce sein. C’est dur car le sein est lié à la féminité, à la sexualité. Une mastectomie est une mutilation. Je me sentais dans un état second. C’était bizarre car tout autour de moi, la vie continuait telle quelle alors que pour moi, tout avait changé. Il fallait me battre.» Si elle ne se laisse plus aller, c’est parce qu’elle voit la souffrance dans les yeux de ses proches. «Je devais reprendre sur moi et être forte pour eux.»

 

C’est docilement mais avec un esprit de battante qu’elle se prête à six sessions de chimiothérapie. Elle encaisse sans broncher les effets secondaires du traitement chimique que sont les nausées, un gout de métal en permanence dans la bouche, la perte de cheveux, des cils, des sourcils, des poils, l’aménorrhée (absence de menstruations) pendant toute la durée du traitement, l’anémie qui guette et qu’il faut traiter à coups d’injection pour faire remonter le taux de globules blancs. Coquette, elle cache son crane chauve sous toutes sortes de foulards et de perruques, regrette de ne pouvoir porter de décolletés en raison du port d’une prothèse mammaire qui est mobile. Mais elle ne baisse pas les bras. Après sa deuxième et sa cinquième chimiothérapie, elle se rend en Inde pour acheter les vêtements pour sa boutique qu’elle ouvre quelques mois plus tard à Rose-Hill et qu’elle nomme Mea Culpa. «Je me suis toujours dit que je n’allais pas laisser le cancer m’avoir

 

Dès qu’elle termine sa chimiothérapie, elle embraye avec la radiothérapie à l’hôpital Victoria à Candos et là, elle découvre un autre monde. «C’est là que tu touches du doigt la souffrance des autres. Quand tu es soignée en clinique, tu es isolée. À l’hôpital, tu côtoies d’autres femmes qui souffrent. Tu découvres leur réalité et cela crée des liens

 

Réalisant qu’il y a encore une méconnaissance étendue du cancer du sein, elle se prête au jeu des photos sans perruque pour le magazine Essentielle. «Je voulais partager ce que j’avais vécu pour démystifier la maladie.» Et même les propos désobligeants de certaines femmes à son égard sur Facebook, qui ne comprennent pas pourquoi elle se met en avant, ne l’émeuvent pas outre mesure car «le cancer n’est pas une maladie honteuse».

 

Elle reprend son travail dès qu’elle termine son traitement mais en février 2011, elle doit subir une hystérectomie – ablation de l’utérus –, car son cancer était pro-hormonal. Une personne est considérée guérie d’un cancer si elle n’a pas rechuté au bout de cinq ans. Dans le cas de Shamima Patel-Teeluck, elle doit faire une mammographie du sein droit tous les ans, une radiographie et une échographie de l’abdomen tous les trimestres durant les trois premières années et continuer ces examens les deux années restantes mais chaque semestre. Elle vient de passer ses quatre ans sans rechute. Pour l’occasion, elle s’est fait tatouer un ruban rose, symbole du cancer du sein, sur l’épaule droite.

 

Un autre facteur a contribué à lui redonner confiance en elle. Après avoir fait la campagne de Thalia et Link to Life, le Centre de chirurgie esthétique de l’océan Indien a choisi d’offrir une reconstruction mammaire à trois femmes et Shamima Patel-Teeluck a été de celles-là. Même si la cicatrisation a été longue, elle est ravie. «Je peux m’habiller comme je veux. C’est le mieux que je puisse avoir en la circonstance. Au lieu d’une prothèse temporaire, là, c’est bien accroché et cela m’a boostée.»

 

Bien que membre de Link to Life, elle décide de fonder sa propre association, la Breast Cancer Care, car elle estime qu’il y a non seulement de la place pour d’autres associations mais aussi parce qu’elle souhaite que la sensibilisation des femmes soit plus régulière. La Breast Cancer Care comprend une vingtaine de membres, dont 12 qui font partie de l’exécutif. Parmi eux, il y a trois consultants médecins. «Je veux mettre l’accent sur les campagnes de sensibilisation et ne pas attendre uniquement octobre pour le faire. Je suis devenue le visage du cancer du sein et je veux donner confiance aux autres femmes qui vivent la même chose. Je dois leur montrer que l’on peut mener une vie normale malgré tout. Je veux montrer que je suis bien, que je suis guérie entre guillemets et qu’il faut positiver

 

Samedi dernier, elle et les membres de l’association qui sera lancée le 10 mai ont animé une session d’information au Anna Medical School and Research Centre. Session qui a attiré plus de 200 personnes et 63 femmes sont venues se faire examiner. Chez 11 d’entre elles, une grosseur au sein a été décelée. Elles seront dirigées vers des médecins pour un suivi. «Nous n’allons pas nous asseoir et attendre que les gens viennent vers nous. Nous multiplierons ces sessions d’information.» L’association offrira aussi des prothèses mammaires aux femmes dans le besoin. Shamima Patel-Teeluck a sollicité le ministère de la Santé pour avoir accès aux salles de chimiothérapie dans trois hôpitaux afi n de réconforter les malades du cancer. «Une écoute et même un sourire font un bien fou.» En matière de prévention, elle souhaiterait un coup de main des radios afin que deux jours par mois, celles-ci diffusent en boucle un jingle demandant aux femmes de ne pas oublier leur exercice d’autopalpation et le dépistage.

 

L’association compte se rendre à Rodrigues pour faire le même exercice. Son rêve serait d’ouvrir un centre de dépistage où le premier diagnostic serait établi. «Il y a 1 400 nouveaux cas de cancer chaque année et parmi eux, près de 40 % sont des cancers du sein. Le but de l’association est de faire comprendre aux femmes que plus le cancer du sein est détecté tôt, plus leur pronostic de vie est grand et au secteur public qu’un bilan de santé obligatoire pour les femmes de 40 ans à monter fera baisser les coûts de la santé publique…»

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