Publicité

François Eynaud: «les chambres aux Maldives plus rentables qu'à Maurice»

13 juin 2014, 14:13

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

François Eynaud: «les chambres aux Maldives plus rentables qu'à Maurice»

François Eynaud, président sortant de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (AHRIM), pense que l’industrie touristique a encore quelques années difficiles devant elle. Il plaide en faveur d’un nouveau plan stratégique pour ce secteur et s’élève contre la classification hôtelière.

 

Vous quittez la présidence de l’AHRIM après deux années ; quel bilan dressez-vous ?

Ces deux années ont été compliquées. Il n’y a pas eu de relance forte de nos principaux marchés et les résultats de notre industrie demeurent en deçà de nos espérances. Durant ces deux dernières années nous avions plusieurs objectifs qui n’ont pas tous été atteints.

 

D’abord, approfondir la consultation entre tous les acteurs de l’industrie afin de trouver des solutions de relance durable du tourisme. Nous avons eu, dès août 2012, des consultations intéressantes qui ont été ensuite entravées par des confrontations improductives sur la classification des hôtels et les packages «all inclusive».

 

Des discussions ont été ensuite engagées sur la restructuration de la MTPA et le rapport a fini dans un tiroir. Nous n’avons pas été écoutés sur le besoin urgent d’établir un nouveau plan stratégique concret et partagé pour l’industrie (même si des échanges sur un plan directeur semblent commencer ces jours-ci), ni sur la suggestion de limiter les nouveaux permis de développements hôtelier et para-hôtelier, ni sur la création d’un HighLevel Air Policy Committee.

 

Tout cela, conjugué au manque de coordination des acteurs publics et privés, a pour résultat un avancement très lent des solutions de relance et une certaine frustration. Sans un plan directeur cohérent, nous allons continuer à improviser. Certaines bonnes initiatives sont prises, mais on travaille par à-coups.

 

 

Quelles ont été les autres priorités de l’AHRIM ces deux dernières années ?

Un de nos objectifs a été aussi de limiter les augmentations de coûts pour les opérateurs durant cette période difficile. Même si nous espérons que toute la question de double imposition des «trade fees»devrait pouvoir se régler, nous sommes très inquiets, surtout pour les petits opérateurs, des révisions importantes du «Remuneration Order» à venir, d’autant plus qu’elles ne vont pas du tout dans le sens de l’amélioration de la productivité.

 

Au cours de ces deux dernières années, l’AHRIM n’a cessé d’oeuvrer dans l’intérêt de l’industrie et des opérateurs. Nos propositions budgétaires, par exemple, ont reçu un très bon accueil en 2012 comme en 2013, et nos contributions aux diverses initiatives des autorités et des compagnies aériennes sont reconnues.

 

 

Beachcomber, qui s’est retiré depuis quelques années de l’AHRIM, peut-il y retourner demain ?

Il faut leur poser la question. Nous espérions que Beachcomber réponde favorablement à notre invitation renouvelée de rejoindre l’AHRIM. Cela aurait été un signal fort de solidarité, face à la gravité de la situation d’une industrie qui a besoin que toutes les têtes pensantes travaillent ensemble afin de définir le futur de notre tourisme. Mais nous avons eu des consultations positives avec New Mauritius Hotelssur certains dossiers importants.

 

 

En 2012, vous souligniez que l’industrie touristique était aux «soins intensifs». Et deux ans après ?

L’industrie réclame toujours une attention soutenue car elle n’est certainement pas sortie d’affaire. La  croissance des arrivées touristiques est insuffisante : 0 % en 2012, 2,9 % en 2013 et 9 % de 2007 à 2013 (six ans) – à savoir une moyenne de 1,5 % par an, alors que la croissance du tourisme mondial a été de 4 % par an et sera de plus de 5 % en 2014.

 

Le parc hôtelier et para-hôtelier a augmenté de plus de 35 % durant ces six années. Les deux millions de touristes prévus pour 2015 ne sont pas là pour remplir ces inventaires. Ce déséquilibre entraîne une guerre des prix néfaste pour l’image de la destination et pour la santé des opérateurs. Les coûts d’opération ont augmenté, les revenus moyens sont à la baisse, ce qui aggrave les problèmes d’endettement et de cash flow des opérateurs.

 

Les soucis de cash flow ne permettent pas à tous les opérateurs de faire les rénovations régulières et nécessaires de leurs hôtels. Les grands groupes hôteliers en général ont les reins plus solides, une force de frappe commerciale plus costaude et s’en sortent mieux que les petits opérateurs indépendants dont la majorité est en grande difficulté. Les enseignes hôtelières internationales, elles, attirent plus facilement la clientèle grandissante des pays émergents.

 

Certains parlent de partager plus équitablement le gâteau, mais il faut plutôt faire grossir le gâteau et limiter les nouveaux permis. Autrement, cela continuera à être comme les vases communicants : quand certains opérateurs font mieux, d’autres font moins bien et cela au détriment des prix moyens.

 

La baisse des recettes touristiques de 10 % en 2013 et de 5 % en début d’année 2014 est très inquiétante. Le taux d’occupation national des hôtels est passé de76 % en 2007 à 65 % en 2011 et 63 % en 2013. Nous n’avons pas encore trouvé les solutions de la relance durable de l’industrie.

 

 

Êtes-vous inquiet par rapport à une accumulation de facteurs externes et internes qui fragilisent l’industrie touristique à Maurice ?

Il y a certainement des facteurs externes comme la morosité des économies européennes, l’évolution des comportements des voyageurs et l’émergence de destinations concurrentes dynamiques,

attractives et compétitives. Néanmoins, dans ces mêmes conditions, d’autres destinations font mieux que nous sur nos marchés traditionnels européens. Par exemple, la Thaïlande a vu ses arrivées touristiques européennes croître de 12 % en 2013 (+5 % de la France, comparé à -1,5 % et -5 % respectivement pour Maurice). Plusieurs facteurs internes ralentissent notre croissance potentielle.

 

 

Certains pays comme les Maldives et les Seychelles font mieux que Maurice, même pendant la crise européenne...

Et je rajouterai, regardez les résultats des groupes hôteliers mauriciens implantés aux Maldives. Cela saute aux yeux que ces dernières années, 100 chambres d’hôtel aux Maldives sont beaucoup plus rentables que 1 000 chambres d’hôtel à Maurice.

 

Le problème principal est sans aucun doute notre service aérien. Le prix des billets d’avion et les taxes sont trop élevés et nous avons une connectivité insuffisante par rapport à nos concurrents.

 

Nous avons également pris du retard dans la diversification de nos marchés. Ce n’est vraiment qu’en 2013 que nous avons fait une percée intéressante et prometteuse sur le marché chinois. Le manque de plan directeur pour l’industrie fait que notre destination marketing, malgré toute notre bonne volonté, n’est pas assez proactive et se fait dans l’improvisation.

 

Le positionnement et le branding de Maurice ne sont pas assez clairs. On se laisse trop disperser à Maurice et il n’y a pas assez de focus sur les enjeux économiques. On peut ajouter à tout cela le

manque d’évolution dans notre produit touristique et le peu d’attention à la préservation de notre environnement.

 

 

Les hôteliers se plaignent des baisses successives chaque année des arrivées touristiques… Quelle est votre analyse de cette situation ?

Les raisons principales de cette croissance insuffisante ont été évoquées plus haut. Aussi, deux grandes tendances sont visibles : l’augmentation de voyages court courrier en Europe et le fort développement à Maurice du milieu de gamme et de la para-hôtellerie.

 

Nous constatons ces dernières années une baisse des arrivées touristiques venant d’Europe et une augmentation des arrivées d’Asie. Nous devons à la fois continuer notre croissance des pays émergents et reprendre nos parts de marché en Europe, en particulier en France.

 

 

Quelle est la position de l’AHRIM sur la question de l’accès aérien, qui reste un sujet de polémique entre les stakeholders ?

L’accès aérien est un sujet complexe, sensible politiquement et économiquement. Les hôteliers et les compagnies aériennes ont souvent des avis divergents sur ce dossier. L’AHRIM a donc recommandé la création d’un Air Policy Committeedont la mission serait de définir la meilleure politique aérienne pour le pays.

 

Suivant la suggestion de l’AHRIM, une étude indépendante sur l’accès aérien a été commanditée par le ministère des Finances et le Board of Investment. Les résultats de cette étude devraient inspirer les décideurs à prendre les bonnes décisions.

 

C’est évident que nos billets d’avion et nos taxes ne sont pas compétitifs et cela étouffe notre potentiel de croissance touristique. Ce n’est pas facile de remplir les hôtels en juillet/août quand les billets d’avion d’Europe sont entre 1 800 et 2 000 euros. Notre ciel n’est pas assez ouvert. Le succès actuel d’autres destinations concurrentes le démontre clairement. L’exemple de notre percée sur le marché chinois est lui aussi révélateur, quand on met une bonne connectivité aérienne sur un marché ciblé, la croissance des arrivées suit.

 

D’ailleurs, nous ne comprenons pas pourquoi la demande de Turkish Airlinespour desservir Maurice ne reçoit pas une réponse favorable. Il nous faut tout faire pour attirer de nouvelles compagnies aériennes à Maurice. Des efforts sont faits dans ce sens et il y a quelques avancées prometteuses avec l’arrivée de l’A380 d’Emirates depuis décembre, de ThomsonAirways depuis le mois dernier et bientôt de China Southern Airline.

 

L’augmentation en 2014 des vols d’Air Mauritius vers la Chine et l’ouverture de notre nouvel aéroport sont aussi de très bonnes choses. Nous espérons donc avoir une croissance de 6 % à 7 % du nombre de sièges d’avion en 2014 par rapport à une quasi-stagnation depuis 2007.

 

Nous nous réjouissons également de nouveaux accords commerciaux entre AirMauritius, Emirates et Air France et nous attendons avec impatience le plan de renouvellement de la flotte d’avions de notre compagnie nationale.

 

Avec l’ouverture du nouvel aéroport qui ne fonctionne actuellement qu’à 60 % de sa capacité, il devient impéreiux de dynamiser le trafic. Les initiatives visant à faire de Maurice un hub aérien en assurant la promotion de plus longs transits sont excellentes mais il faut parallèlement assouplir les règles et réduire nos taxes. C’est un ensemble de solutions cohérentes et convergentes qu’il faut mettre en place. Tout est lié.

 

J’ajouterai que l’idée de la Commission de l’océan Indien sur la création d’une compagnie d’aviation régionale est soutenue par l’AHRIM. À moyen terme, une connectivité efficace et compétitive entre les îles de l’océan Indien dynamiserait le tourisme dans notre région.

 

 

L’on note une baisse des prestations au niveau de nos établissements hôteliers, même des 5-étoiles. Cela vous inquiète-t-il ?

Je ne dirais pas qu’il y a une baisse de la qualité de service dans nos hôtels. C’est évident néanmoins que les hôteliers ont de plus en plus de mal à recruter des skilledstaff et que de nombreuses compagnies de croisières et d’aviation viennent recruter à Maurice notre personnel formé. Nous avons donc un challenge de formation et d’attractivité du secteur auprès de la jeune génération de Mauriciens. C’est aussi un dossier que l’AHRIM traite avec le HumanResource Development Council.

 

Par ailleurs, les tarifs moyens ayant tendance à baisser, il est vrai que les hôteliers n’ont pas une grande marge de manoeuvre pour offrir aux clients des prestations beyond expectations comme dans le passé. Notre objectif est d’avoir une promesse claire et de meet expectations.

 

Ainsi, le nouveau projet de classification hôtelière, dont nous entendons parler, n’est pas la priorité. La priorité, c’est de réglementer mieux le secteur grandissant de la para-hôtellerie officielle et informelle (près de 40 % de l’offre d’hébergement à Maurice) et celui des excursions. C’est dans ces secteurs qu’il y a le plus de risques de confusion de l’offre et de promesses non tenues. Nous avons d’ailleurs très peude statistiques sur ces secteurs.

 

 

Le moment est-il venu pour réinventer cette industrie ?

Le moment de réagir et de relancer l’industrie est là depuis 2009 ! Mais je n’utiliserais pas le mot ‘réinventer’, mais plutôt apporter les ajustements nécessaires afin de s’adapter aux comportements changeants des voyageurs, aux attentes des touristes venant des pays émergents, à la distribution et la communication qui se multicanalisent.

 

Certains disent que le produit mauricien s’essouffle, mais il y a de bonnes choses dans cette industrie qu’il nous faut préserver et pérenniser. Nous bénéficions toujours d’une très bonne image.

 

Il nous faut apporter plus de créativité et d’innovation dans nos produits, nos offres et la façon de vendre et de communiquer. Les hôteliers et la MauritiusTourism Promotion Authority doivent s’équiper de ressources et d’outils marketing plus pointus et ne pas s’appuyer uniquement sur ceux des tours-opérateurs. Nous ne sommes pas encore assez au fait de la révolution digitale qui s’opère dans le monde.

 

Cela dit, oui il faut réformer l’industrie touristique, comme nos industries sucrières et textiles ont su le faire. Seulement un effort collectif et solidaire, un dialogue structuré et coordonné débouchant sur un nouveau plan stratégique nous permettront d’y arriver.

 

 

Comment voyez-vous l’avenir de cette industrie ?

Il y a une bonne prise de conscience des enjeux de l’industrie. Mes propos peuvent paraître alarmants et ignorants des quelques bonnes initiatives qui sont prises, comme sur la Chine ou les mariages indiens, mais c’est uniquement parce que l’AHRIM souhaite voir les solutions de relance coordonnées et durables se mettre en place plus rapidement. L’objectif de positionner Maurice comme une destination multifacettes et non uniquement plage va dans la bonne direction. Les nouvelles générations de voyageurs veulent découvrir Maurice autrement que leurs parents le faisaient.

 

Je pense que nous avons encore quelques années difficiles devant nous. Les

opérateurs se restructurent actuellement pour affronter ces challenges. Nous percevions en début d’année 2014 quelques signes de reprise, mais la saison creuse va être très dure pour tous les opérateurs. Je suis confiant pour les moyen et long termes, l’industrie touristique mondiale va croître à plus de 5 % par an et Maurice saura trouver les solutions pour rebondir. Notre «mine d’or» c’est notre population, nos employés et ce sens de l’accueil légendaire.

 

 

Publicité