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Couldip Basanta Lala, directeur d’IFS : «Maurice croit trop aux miracles»

23 juillet 2014, 11:07

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Couldip Basanta Lala, directeur d’IFS : «Maurice croit trop aux miracles»
Le directeur de l’International Financial Services, Couldip Basanta Lala, note une certaine complaisance et un manque de rigueur dans le pays. Il s’attarde aussi sur l’accord bilatéral entre Maurice et l’Inde, ciblant surtout les General Anti-Avoidance Rules.
 
 
● Il y a eu beaucoup d’attentes de la part des opérateurs du Global Business par rapport au premier budget du gouvernement Modi, notamment en ce qui concerne ses intentions relativement aux General Anti-Avoidance Rules (GAAR). Il n’y a aucune mention dans le discours du ministre des Finances Arun Jaitley. Doit-on comprendre que le nouveau gouvernement ne compte pas réviser cette loi?
Revenons d’abord sur l’historique. Les premières dispositions relatives aux GAAR figuraient pour la première fois dans le Direct Tax Code (DTC) proposé par le gouvernement d’alors. Des représentations ont été faites sur le DTC par plusieurs stakeholders locaux et étrangers, ce qui a débouché par la suite sur la création d’un comité de haut niveau pour se pencher sur les inquiétudes des diverses parties concernant ce texte de loi.
 
Du côté des autorités locales, Global Finance Mauritius (GFM) a déposé devant ce comité dont les recommandations ont fait l’objet d’une révision par le Shome Committee. Si certaines des dispositions relatives au DTC n’ont pas eu force de loi, celles concernant les GAAR ont bel et bien été introduites dans l’Income Tax, même si elles ont été atténuées.
 
Ce qui m’amène à dire que les GAAR font déjà partie des lois de l’Income Tax en Inde mais que leur application avait été repoussée à 2016. Or, le gouvernement BJP a annoncé son renvoi à 2017 bien avant la présentation du budget.
 
● Si on comprend bien, il n’y a pas eu de position officielle de la part du nouveau gouvernement sur les GAAR?
Le ministre des Finances Arun Jaitley a souligné dans son discours que le DTC sera revu et je crois savoir que les dispositions concernant les GAAR seront révisées dans la foulée en vue de rassurer les investisseurs et les contribuables.
 
Par ailleurs, il faut bien faire comprendre que le budget présenté par Arun Jaitley a deux objectifs; le premier étant de rassurer la communauté des affaires par rapport à la continuité dans la stratégie économique du pays. Et le second étant de tracer les contours de la feuille de route qui débouchera sur la présentation du budget de l’année prochaine. À mon avis, c’est le budget de 2015 qui lèvera le voile sur l’approche qu’adoptera le nouveau gouvernement indien sur les GAAR.
 
● Les GAAR constituent un projet de loi interne du gouvernement indien qui sera introduit dans le but de collecter davantage de revenus fiscaux mais aussi de décourager le «round tripping» de fonds par les résidents indiens. Peut-on empêcher un État souverain de se protéger légalement du blanchiment d’argent et d’autres délits financiers?
Certainement non. Tout État souverain peut introduire des lois qui sont dans les limites de sa juridiction. Même notre système d’Income Tax comprend des dispositions contre l’évasion fiscale. De ce fait, je ne vois rien qui soit contraire aux normes internationales...
 
Cependant, on sait très bien que «the devil lies in the detail». Ce qui est vrai pour tout texte de loi. Même si le principe général ou l’objectif final est clair, l’exécution peut donner une tout autre interprétation. Ce qui peut être le cas en Inde avec les GAAR. D’où la démarche du gouvernement d’envoyer de bons signaux pour éliminer la perception qui a pu être créée par rapport à l’existence de «tax terrorism» en Inde.
 
● Certains opérateurs souhaitent la signature du nouveau traité fiscal entre Maurice et l’Inde avant la promulgation des GAAR en avril 2017 pour éviter que les autorités indiennes ne s’alignent sur les  dispositions légales de cette loi interne indienne pour ficeler le nouveau traité fiscal entre Maurice et l’Inde...
Nous sommes effectivement dans une situation délicate. Si le traité fiscal est finalisé et le Protocole signé avant avril 2017, cela ne veut nullement dire que les dispositions des GAAR ne seront pas appliquées. Cela dépend quelles parties seront finalisées dans le cadre d’un accord bilatéral entre Maurice et l’Inde.
 
Quant aux opérateurs mauriciens, ils souhaitent que l’accord bilatéral contienne une clause concernant les «Limitations of Benefits» et une clause concernant l’obligation faite aux Management Companies de démontrer qu’elles ont des activités concrètes.
 
Ils souhaitent en outre une disposition explicite: à savoir que si les conditions de l’accord bilatéral sont respectées, les GAAR ne seront pas appliquées dans leur forme actuelle.
 
Pour ma part, je reste persuadé que la question ne relève pas du timing de l’accord mais beaucoup plus de l’accord auquel les deux États parviendront quant à l’applicabilité des dispositions du GAAR.
 
Au final, ce qui m’intéresse, c’est qu’il y ait de la clarté et de la visibilité dans ce secteur pour rassurer les investisseurs sur l’ouverture de l’Inde aux investisseurs étrangers et leur faire comprendre qu’investir à travers le centre offshore de Maurice est encore viable et sain.
 
● Avec le recul, ne pensez-vous pas que la stratégie des opérateurs offshore consistant à ne miser que sur l’accord bilatéral entre Maurice et l’Inde a été mauvaise, vu qu’elle ne dépendait que d’un seul marché?
Je ne suis pas sûr que les investisseurs pionniers dans ce secteur avaient une stratégie prédéterminée pour ne viser que l’Inde dans leur business plan à l’époque.
 
L’histoire du Global Business montre que les lois sur ces nouveaux services financiers à Maurice ont coïncidé avec la libéralisation économique indienne en 1993. Il y avait à l’époque des opportunités réelles à exploiter dans ce secteur en Inde, d’où l’appel lancé par les autorités de ce pays pour attirer les investisseurs étrangers à prendre avantage de cette ouverture économique.
 
Du point de vue d’un opérateur du Global Business, il est normal que l’on soit appelé à se concentrer sur des opportunités d’affaires existantes au lieu d’aller chercher l’aventure sur des terrains inconnus.
 
Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer le fait que d’être le premier sur ce marché en Inde a aidé Maurice à développer une juridiction à la fois crédible et réputée sur le plan international. Parallèlement, le marché offshore indien a aidé à développer l’expertise mauricienne dans cette filière avec, à la clé, la possibilité d’exporter aujourd’hui ce savoir-faire dans d’autres juridictions.
 
Enfin, j’ai envie de dire aussi que la véritable diversification dans ce secteur prend forcément du temps. Visiblement, les choses ont évolué ces derniers mois. Du reste, il y a récemment eu de nombreuses opérations offshore sur l’Afrique ainsi que dans d’autres pays de la région.
 
● Retournons à l’économie de Maurice. La croissance a été révisée à la baisse par différentes institutions du pays (la Mauritius Chamber of Commerce and Industry Statistics Mauritius et MCB Focus). Elle a été ramenée à 3,3%. Faut-il s’inquiéter de cette décélération de notre niveau de croissance alors même que le taux de chômage a dépassé 8%. Que faire pour renverser la vapeur?
Les statistiques parlent d’elles-mêmes. Maurice peut potentiellement faire mieux. Pour absorber, voire réduire le taux de chômage, il n’y a pas mille solutions. Il faut investir massivement. Loin de moi l’intention d’agir comme un donneur de leçons, mais ma logique me dicte que nous sommes trop relaxes et complaisants dans notre attitude. Pire, nous croyons trop aux miracles. En revanche, je note que la productivité, l’éthique au travail et la compétitivité ne font pas partie de nos moeurs. Du coup, on ne doit pas s’étonner que l’écart entre les riches et les pauvres continue d’augmenter.
 
Cela dit, certains secteurs plus que d’autres nécessitent des investissements massifs. Je pense notamment au secteur manufacturier. Toutefois, des conditions doivent être réunies – il faut par exemple que l’investisseur et l’entrepreneur soient satisfaits de la qualité de l’environnement du travail ou encore des coûts compétitifs de production.
 
● Le Premier ministre, aussi ministre des Finances, a pris certaines initiatives économiques, dont l’annonce d’un Memorandum of Understanding (MOU) entre la Banque de Maurice et le ministère des Finances. Ces initiatives ont-elles rassuré la communauté des affaires?
Ce n’est pas seulement souhaitable mais c’est impératif pour la Banque de Maurice qui, tout en gardant son indépendance, travaille étroitement avec le ministère des Finances. Ces deux institutions ne peuvent être à couteaux tirés. L’annonce d’un MOU entre elles va dans la bonne direction mais elle n’est pas suffisante. Il faut qu’elles alignent leur position sur des sujets économiques d’intérêt national. Est-ce que les opérateurs économiques ont été rassurés? Je ne crois pas que la communauté des affaires se sente concernée par les tractations politiques. Son intérêt relève beaucoup plus des politiques économiques et financières. Sur ce sujet, je crains qu’il n’y ait pas grand-chose qui se fasse actuellement pour attirer des investissements.
 
● Comment analysez-vous le dernier «voting pattern» des membres du MPC? Êtes-vous surpris que le gouverneur et ses deux adjoints aient voté pour le maintien du «Repo Rate»?
Le taux directeur ne doit pas être fixé. C’est pourquoi d’ailleurs le MPC se rencontre à intervalle régulier pour revoir le taux. Cet exercice prend en ligne de compte des facteurs économiques liés à l’inflation et au climat des affaires dans le pays. Vu que la situation économique n’a pas beaucoup changé par rapport à la dernière réunion, j’aurais été le premier surpris si la décision avait été autre que le maintien du Repo Rate. Aussi, je ne crois pas que ce soit une condition sine qua non que les membres de la BoM et ceux du MPC soient toujours en opposition.
 
● La Stock Exchange of Mauritius (SEM) vient de fêter son jubilé d’argent. Vous avez été associé à la défunte Stock Exchange Commission (SEC) en tant que Chairman. Quel regard portez- vous sur le parcours de la SEM? A-t-elle été à la hauteur dans sa démarche de démocratiser l’actionnariat public?
J’étais président de la SEC il y a 20 ans et je note que la SEM a depuis effectivement  progressé, passant d’une Bourse des valeurs à une Bourse proposant diverses classes d’actifs, dont des Global Business Funds.
 
La SEM est aujourd’hui une plateforme qui invite le grand public à investir dans une multitude de sociétés cotées. Elle offre une alternative aux banques commerciales pour l’épargne et des dépôts à long terme.
 
Mais a-t-elle pour autant démocratisé l’économie? Ça, c’est une autre histoire. Je note toutefois au passage que les petits investisseurs ont tendance à être plus passifs sur le marché, alors que les gros actionnaires font toujours partie des grosses entités. De ce fait, on peut se demander s’il y a eu démocratisation ou pas. Tout dépendra jusqu’à quel point les gros actionnaires sont disposés à se séparer du contrôle de leurs sociétés.

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