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Alain Kistnen : Habité par la flamme syndicale

1 juillet 2014, 20:10

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Alain Kistnen  : Habité par la flamme syndicale

Alain Kistnen ,secrétaire de la Union of Bus Industry Workers

 

Il ne faut pas se fier aux airs bon enfant d’Alain Kistnen. La flamme syndicale qui couve en lui est  prête à se lever face à la moindre «injustice» faite aux travailleurs de l’industrie du transport et en particulier vis-à-vis de ses collègues de la Compagnie nationale de transport.

 

«LES hauts cadres de la CNT sont grassement payés pour faire un travail dont ils sont censés avoir les compétences. À ce titre, ils devraient l’accomplir avec amour et dans le respect des lois et non pas toujours se cacher derrière l’argument de rechercher un avis légal», peste Alain Kistnen, 54 ans, secrétaire de la Union of Bus IndustryWorkers (UBIW).

 

Ce qui le met ainsi en rogne, ce sont les conditions salariales et de service des 8 000 travailleurs de l’industrie du transport qu’il considère valeur du jour «anormales» et surtout les parades du patronat pour s’esquiver de ses responsabilités. «Nous sommes en guerre contre le patronat qui touche un salaire princier mais qui vient toujours dire qu’il n’a jamais d’argent pour rétribuer ses employés. Zame enn amplwaye pou vinn dir ki li ena larzan. Ler sa arive, tou sindika bizin ferme», dit cet homme, qui compte 26 ans de service à la Compagnie nationale de transport (CNT), avec irritation.

 

Cet habitant de St-Pierre était loin de se douter que le syndicalisme occuperait une place aussi importante dans sa vie. Lui rêvait d’être infirmier à l’issue de ses études au collège St-Joseph et au New Eton. Il a dû changer son fusil d’épaule au plus fort du chômage dans les années 80, obtenant un diplôme en mécanique et travaillant comme apprenti mécanicien chez AJ Maurel/Colas. À l’époque, ces compagnies construisaient l’autoroute Phoenix-Plaisance et lui était chargé de l’entretien des équipements. Le travail est dur car s’il sait à quelle heure commencer, il ne sait jamais à quelle heure il sera rentré. «J’aimais le travail mais je n’avais plus de vie de famille, ni de vie sociale.» Si bien que lorsqu’un ami lui propose de se joindre à la CNT, il n’oppose aucune résistance, laissant l’ami lui porter un formulaire qu’il remplit docilement et le soumettre pour lui.

 

Recruté comme apprenti  mécanicien, il est affecté au dépôt de Bonne-Terre. Son salaire de base est de Rs 1 115, soit la moitié moins de ce qu’il percevait dans le secteur privé. Mais l’avantage, dit-il, c’est d’avoir intégré un corps parapublic. Après un an de travail, un poste de mécanicien de grade III se libère et il postule. L’examen, suivi de l’interview, lui fait obtenir le poste. Là, son salaire passe à Rs 1 500. Comme il connaît bien la mécanique et qu’il maîtrise plutôt bien l’anglais et le français, de temps à autre, son supérieur lui demande de le remplacer comme Workshop Supervisor et de remplir la paperasse qui va avec. Alain Kistnen se prête au jeu.

 

Il est très vite approché par les membres de la UBIW pour intégrer l’exécutif. Mais il craint des représailles, notamment un transfert à un autre dépôt de la compagnie. Il accepte toutefois de se syndiquer. Et en douce, il se familiarise aux lois régissant les conditions de l’industrie du transport. Comme le fournisseur de bus de la CNT, Ashok Leyland, offre des bourses pour des formations techniques, Alain Kistnen fait une demande et est sélectionné avec cinq autres camarades pour passer un mois chez ce fabricant à Chennai, en Inde, et se familiariser à la chaîne de production.

 

À son retour, les cinq autres collègues qui l’avaient accompagné sont promus Workshop Supervisors mais pas lui. Il devra attendre 2002 pour cela. L’inconvénient est que lui et les autres titulaires se heurtent à un plafond car il n’existe pas de grade supérieur au niveau technique. «Nous sommes augmentés oui mais notre position ne change pas. Nous avons maintes fois demandé au National Remuneration Board de créer des postes de Senior Workshop Supervisors mais notre demande a toujours été rejetée.» Cette année-là, se sentant fin prêt, il intègre l’exécutif comme porte-parole des travailleurs. «Je mesentais prêt à défier le patronat par rapport aux conditions de travail et de salaires, même si cela voulait dire respecter les quatre heures de time off mensuellement autorisées pour parler des affaires syndicales et me pencher sur toutes ces questions une fois rentré à la maison. Il fallait puiser dans les heures destinées à la famille et je dois saluer ma femme pour sa patience.»

 

Lorsque le secrétaire de la UBIW, qui avait des problèmes de santé, accepte un poste d’Industrial Relations Officer et devient l’interface des syndicats, l’exécutif de la UBIW, se sent trahi, d’autant plus qu’il y a une défection de près de la moitié de ses membres vers l’autre syndicat, à savoir la Transport Corporation Employees Union. Et lorsqu’on lui propose le poste de secrétaire de la UBIW laissé vacant, il accepte. «J’avais deux défis à relever : faire revenir les membres et négocier avec le patronat pour qu’il nomme une centaine de receveurs Traffic Officers et non pas qu’une cinquantaine d’entre eux». À cela, il doit gérer une grève de la faim d’une quinzaine de receveurs non promus. Cette époque-là est une des périodes les plus intenses de sa vie où il fait le va-et-vient entre la CNT, le ministère du Travail et les grévistes. Après 15 jours de négociations, la CNT revient sur sa décision et nomme une centaine de receveurs Traffic Officers. Et progressivement, une bonne partie des anciens syndiqués auprès de la UBIW retournent au bercail.

 

Les années ont passé mais les conditions des travailleurs de l’industrie ne se sont pas beaucoup modifiées. Et quand la CNT a voulu rendre cinq routes en 2013, Alain Kistnen est encore monté au front et cela a donné la grève de 2013, soit un jour de débrayage pour les chauffeurs et receveurs et deux jours de négociations syndicales ayant abouti à la récupération des cinq routes en question, une subvention gouvernementale pour l’achat de 76 autobus neufs cette année et une centaine pour 2015 et une augmentation intérimaire de 15 % en août 2013 avec à la clé, la promesse de 2 % additionnels en août 2014 et encore 2 % en 2015. Ce qui fait un total de 19 %.

 

Exprimé ainsi, l’augmentation semble importante mais dans la pratique, explique Alain Kistnen, un receveur comptant 30 ans de service gagne un salaire mensuel de Rs 11 000 en travaillant six jours sur sept de 4 à 19 heures chaque jour, tandis que le chauffeur avec un temps de service similaire perçoit Rs 13 000 et des poussières pour les mêmes horaires de travail. Un mécanicien de l’atelier gagne, lui, Rs 10 000 par mois. «Moi, je gagne Rs 15 600 après 26 ans de service. Estimez-vous tous ces salaires normaux ? Il y a des gens qui disent que les receveurs et chauffeurs gagnent Rs 25 000 par mois. Ils peuvent effectivement gagner cette somme à condition de faire des heures supplémentaires et ne plus avoir de vie de famille, ni sociale.»

 

Comme agréé lors des accords de 2013, le National Remuneration Board a revu les conditions de service des employés du secteur et le rapport le préconisant a été mis sur le site Web du ministère du Travail. Le hic est que ces conditions et la nouvelle grille salariale recommandées n’ont toujours pas été approuvées par le Conseil des ministres, ni publiées dans la gazette du gouvernement. «Notre litige porte justement dessus.»

 

Ce qui a changé cette fois, ce n’est pas le syndicat qui décidera de l’action syndicale à privilégier mais les travailleurs. «De plus, souligne-til, cela signifie que nous avons plusieurs options en vue, y compris une grève du transport.» Et le public dans tout cela ? Alain Kistnen déclare que la UBIW n’a jamais perdu de vue l’intérêt du public. «Ce n’est pas normal qu’à chaque hausse salariale pour les travailleurs du transport, il y ait une hausse du ticket d’autobus. En 2013, juste après nous avoir accordé une hausse salariale intérimaire, le ticket a augmenté par Rs 2 à 3. C’est une honte. Mo travay pou enn amplwayer. Kifer gran piblik ki bizin paye ? Ce n’est pas correct. Il est grand temps qu’il y ait une commission d’enquête indépendante sur les finances du transport public…»

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