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Jocelyn Chan Low, historien : «Je pars l’année prochaine»
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Jocelyn Chan Low, historien : «Je pars l’année prochaine»

Lundi 22 septembre démarre la Semaine de l’histoire à l’université de Maurice. Au détour de la présentation de cette manifestation, l’historien annonce avec une joie non dissimulée son départ prochain à la retraite active.
C’est la toute première fois que l’université de Maurice tient une Semaine de l’histoire. Pourquoi avoir attendu tout ce temps ?
Nous n’avons pas les moyens. On aurait voulu, par exemple, faire une exposition sur la Première Guerre mondiale, mais nous n’en avons pas les moyens financiers. Il y a déjà une Semaine de la Recherche où plusieurs membres du département vont présenter leurs travaux sur l’histoire. Cette année est particulière à cause d’une série de commémorations très importantes (voir hors texte).
Est-ce juste un manque de moyens financiers ? Il y a ceux qui disent que lorsqu’on veut, on trouve forcément les moyens.
Ce n’est pas vrai. J’ai déjà fait des expositions, que ce soit avec le Centre culturel mauricien (NdlR : Jocelyn Chan Low en a été le directeur) ou avec le musée et c’est coûteux. Au minimum, Rs 300 000 à Rs 400 000, dont nous ne disposons pas. Ceci dit, nous agissons aussi comme consultants quand nous sommes sollicités. On a fait des conférences, que ce soit sur la pharmacopée traditionnelle avec l’université de La Réunion ; on a travaillé sur 1810, mais ce n’est pas évident. Le budget de la recherche est limité. Le budget de l’université en général est limité. Nous n’avons pas les moyens d’inviter des intervenants étrangers.
Dans ces conditions, est-ce que la Semaine de l’histoire aura lieu l’année prochaine ?
Je l’espère. Il faut aussi autonomiser les jeunes chercheurs, créer une masse critique. En 1997, j’étais rapporteur pour le patrimoine au moment des Assises des Arts et de la Culture, quand Joseph Tsang Man Kin était ministre ; on a évoqué la création d’un Commemorations Committee justement pour marquer les grandes dates de l’histoire de Maurice et les faire connaître. J’étais aussi sur le comité des timbres- poste. À son niveau, il fait un très gros effort pour faire connaître l’histoire, mais il ne faut pas que cela soit limité.
Vous anticipez la question rituelle : comment rendre l’histoire accessible au plus grand nombre et casser l’image rébarbative qu’elle traîne ?
Il y a une méconnaissance de ce que c’est que l’histoire parce que l’histoire a été évacuée de l’école. Mais en même temps il y a beaucoup d’histoire dans l’espace public. C’est là le paradoxe. À l’école, elle n’est pas là, à l’université, elle est très présente. Le débat politique est très historicisé, avec des non-dits et des demi-vérités. Avec la montée des organismes socioculturels, chacun a une relation avec son patrimoine particulier. Et parfois, on fait de la mauvaise histoire. Une histoire ethnocentrique, avec des visières. En même temps l’histoire est très présente, quand on voit le nombre d’ouvrages écrits par des historiens.
De bon niveau ?
Cela dépend. Il y a des erreurs d’interprétation et des pyramides d’erreurs où l’on répète les mêmes méprises. En même temps, tout cela aide à comprendre l’histoire, dans une certaine mesure. Bien sûr, il y a aussi des ouvrages très techniques. Un exemple : dans le rapport sur la réforme électorale, 90 % du contenu est un résumé de l’histoire constitutionnelle (sourire).
À l’université de Maurice, on en était pendant longtemps au niveau de la licence. Maintenant il y a le Masters et même une étudiante au niveau du doctorat. C’est ce qui a manqué à l’histoire, de nouvelles têtes. Moi, je pars l’année prochaine ou l’année suivante au plus tard. J’ai 35 ans de service : dix ans dans les collèges et 25 ans à l’université de Maurice. Maintenant je veux passer à l’écriture. Il faut une relève. C’est un de nos devoirs. Ce n’est pas comme dans les partis politiques (sourire). J’ai fait énormément de recherches aux archives de Londres et d’ici. Il faut du temps pour écrire.
Y a-t-il toujours autant d’étudiants en histoire, même si certains estiment que c’est un diplôme qui ne sert à rien ?
Même avec un diplôme en médecine, on ne trouve pas d’emploi. Dans la comptabilité c’est pareil. Par contre, il y a des étudiants qui sont entrés à Oxford avec un diplôme de l’université de Maurice. Les examinateurs externes nous disent d’ailleurs que le niveau est très bon. Comment est-ce qu’on juge la qualité d’un diplôme ? C’est par ce qui se passe après. Il y a des étudiants d’histoire et de sciences politiques qui sont admis dans de grandes universités après leur passage chez nous. Ils font leur doctorat et certains obtiennent même une bourse. C’est bon de le faire savoir.
Revenons à l’histoire à l’école. Un projet auquel vous contribuez. Où en êtes-vous ?
Ayo. Je n’ai pas eu le temps. J’étais dean. J’ai soumis un texte sur les années 1930. Un Reader des sources est en train d’être fait.
La Commission Justice et Vérité a travaillé pendant deux ans. L’une de ses attributions était d’éclairer les zones d’ombre de l’histoire. Est-ce que cela a marché ?
J’ai dirigé l’enquête sur l’histoire orale des descendants d’esclaves. Cela a éclairé pas mal de choses, notamment les mécanismes d’exclusion. Je ne vais pas entrer dans les détails, juste donner un exemple : 80 % à 85 % des descendants d’esclaves sont propriétaires de leur maison. Une grande partie d’entre eux a des parents dans d’autres communautés. Mais il y a une perception de discrimination. Et très peu de mémoire de l’esclavage. Il y a une césure.
Vous préparez une biographie de Paul Bérenger. Elle sort bientôt ?
Il reste beaucoup de choses à vérifier. Des petites choses parfois. La sortie, ce n’est pas pour cette année. Ce sera une biographie académique et en même temps, un éclairage sur l’histoire politique de Maurice. Ce n’est pas une biographie dirigée par Paul Bérenger. J’ai toute latitude. C’est un travail d’historien.
Vous répondez déjà aux mauvaises langues qui vous colleront l’étiquette de propagandiste ?
Toute histoire politique sera sujette à interprétation. L’essentiel, c’est qu’il y ait de la rigueur académique et scientifique. C’est pour cela que l’historien croise ses sources. On ne peut se fier à une seule source. Un exemple : quand est né le Mouvement militant mauricien (MMM) ? Est-ce avant la manifestation à Saint-Jean ou après ? (NdlR : manifestation contre la visite de la princesse Alexandra en 1969). Certains disent que c’est avant, d’autres que c’est dans le sillage. D’autres que c’est après.
Que dit Jocelyn Chan Low ?
Faut voir (sourires). Il y a plusieurs versions. Le MMM a façonné la vie politique à Maurice. On peut avoir ses opinions, mais cela, c’est un fait. Donc, il faut travailler de manière scientifique dessus. La biographie de Paul Bérenger va se faire en collaboration avec le Centre de recherches des Sociétés de l’océan Indien, de l’université de la Réunion (CRESOI).
Vous savez, les gens ont la mémoire courte. Prenez l’accord électoral de 1969. Gaëtan Duval était le leader de l’opposition, il a passé un accord électoral avec Ramgoolam père pour les municipales. On n’a pas demandé à Duval de démissionner. Pour l’unité nationale, je crois qu’ils avaient absolument raison. À cause des bagarres raciales, ils ne voulaient pas que les gens se déchirent encore. C’est une trêve politique qui peut nous éclairer sur la situation actuelle.
Aujourd’hui, quand on fait des recherches sur les démocraties européennes, on se retrouve avec plus de situations consensuelles que de confrontations. C’est la tendance actuelle. They rise above petty politics.
Semaine de l’histoire, genèse et programme
Tout commence quand le département d’histoire de l’université de Maurice est approché par deux institutions, explique Jocelyn Chan Low. D’abord l’Église presbytérienne qui célèbre le bicentenaire de l’arrivée de Jean Le Brun à Maurice. «En même temps, c’est le 150e anniversaire de la mort du Père Laval. La congrégation du Saint-Esprit et du Saint-Coeur de Marie est venue vers nous pour un séminaire, avec la participation d’invités étrangers.» Parmi ceux-là : Claude Prudhomme de l’université de Lyon, professeur d’histoire contemporaine spécialiste des missions chrétiennes et Prosper Eve, professeur d’histoire moderne à l’université de La Réunion.
«Il se trouve qu’on commémore dans le monde, les 100 ans du début de la Première Guerre mondiale. On s’est aussi retrouvé avec le fait qu’à Maurice, on a complètement oublié le bicentenaire de la mort de Bernardin de Saint Pierre, le 21 janvier 1814. ‘Paul et Virginie’ a fait connaître Maurice alors que son ‘Voyage à l’Isle de France’ est devenu un classique de la littérature abolitionniste en France.» Autant de bonnes raisons pour une semaine qui servira de «showcase» au département d’histoire et de sciences politiques.
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