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Swadicq Nuthay, économiste et Chief Executive Afrasia Capital Management: «Le miracle économique dont tout le monde parle ne pourrait être réédité aujourd’hui»
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Swadicq Nuthay, économiste et Chief Executive Afrasia Capital Management: «Le miracle économique dont tout le monde parle ne pourrait être réédité aujourd’hui»

Swadicq Nuthay, persiste et signe. Il ne croit pas à la réalisation d’un deuxième miracle économique, notamment dans une conjoncture marquée par les séquelles de la crise internationale. Il définit les priorités économiques du nouveau ministre des Finances… pour porter Maurice au rang de pays à revenu élevé.
◗ La démarche de Vishnu Lutchmeenaraidoo de se joindre à l’alliance de l’opposition a fait remonter à la surface toute la problématique liée au miracle économique. Quelle lecture en faites-vous ?
Il faut d’abord comprendre le contexte de ce miracle économique mauricien, qui a été d’ailleurs cité en exemple par l’économiste américain John Stiglitz.
À l’ère postindépendante, l’économie était à la traîne, alors même que toutes les études entreprises à l’époque prévoyaient le pire pour Maurice. À l’instar des projections du Professeur Meade qui trouvait que Maurice réunissait toutes les conditions pour exploser socialement. Il relevait à l’époque la surpopulation, la dépendance économique sur pratiquement une seule culture, le sucre ou encore l’absence de connexions avec les grandes capitales mondiales.
Or, Maurice a su vaincre ces contraintes structurelles, voire ces conditions économiques défavorables pour réussir une croissance moyenne remarquable de 5,3 % de 1969 à 2013. Parallèlement, le revenu par tête d’habitant a augmenté progressivement au fi l des années pour passer à USD 9 150 aujourd’hui, soit six fois supérieur à la moyenne en Afrique subsaharienne.
◗ Mais le véritable miracle économique est intervenu dans les années 1980 à monter ?
Tout à fait. Mais avant ce boom économique, il y a eu un véritable marasme économique caractérisé par des réserves de seulement deux semaines d’importations pour le pays, par deux dévaluations de la roupie en 1979 et 1981 successivement et par la mise en place d’un programme d’ajustement structurel pour remettre l’économie sur les rails.
Ensuite, il y a eu un changement de gouvernement en 1982, qui a poursuivi le programme de restructuration de l’économie, et plus particulièrement à partir de 1983.
Certes, il y a eu une combinaison de facteurs qui ont permis un décollage économique. Je pense aux conditions favorables permettant à l’investissement notamment dans le secteur de la zone franche manufacturière. Et bien entendu, on ne peut gommer les raisons géopolitiques qui ont contribué à cette nouvelle phase d’industrialisation. Soit l’ouverture de notre zone franche aux entrepreneurs hongkongais qui voulaient fuir la Chine, l’île de Hongkong devait retourner sous le contrôle de la Chine suivant la fin du bail signé avec la Grande-Bretagne. Ces entreprises hongkongaises ont vu en Maurice un Eldorado. Certes, la débrouillardise d’une main-d’oeuvre abondante et à bon marché a permis à un véritable boom dans ce secteur, générant jusqu’à 90 000 emplois. Sans compter l’accès à un marché préférentiel en Europe.
◗ Il y avait également le développement touristique…
Évidemment, il y a eu un nouveau dynamisme insufflé à notre industrie touristique. Le nombre est passé de 100 000 arrivées en 1983 à plus de 300 000 huit ans après. Idem pour le nombre de chambres qui a crû de plus de 2 000 en 1983 à presque 5 000 en 1991. C’est dire la performance d’une industrie qui connaîtra son véritable envol durant cette période de miracle économique.
Le miracle économique, c’est aussi la sophistication des services financiers avec la nouvelle Banking Act en décembre 1988 qui signe en même temps le début de la déréglementation du système financier avec, notamment, l’avènement des banques offshore. Mais aussi le lancement de la Stock Exchange of Mauritius.
Certes, ce miracle économique s’est appuyé sur d’autres facteurs, telles la stabilité politique, les réformes institutionnelles initiées à l’époque par le gouvernement d’alors et encore d’une diplomatie qui était aux services des intérêts économiques du pays.
◗ Peut-on encore répliquer ce miracle économique aujourd’hui ?
Je dirais non. Pas parce qu’un miracle n’intervient qu’une seule fois dans la vie mais tout simplement parce que les conditions qui étaient favorables à l’époque pour relancer la machinerie économique n’y sont plus aujourd’hui.
Dans le secteur manufacturier, par exemple, nous n’avons plus de réservoir de travailleurs abondants et à bon marché alors qu’entre-temps, il y a eu le démantèlement total de l’Accord multifibre en 2005, qui a mis fin au système de quotas dont jouissaient les producteurs du textile des pays du Sud. Sont venus s’ajouter d’autres chocs, dont la crise financière de 2008, la hausse vertigineuse du cours du pétrole et les prix de matières premières qui avaient pris l’ascenseur. On parlait à l’époque de «triple shocks».
Cela me pousse à penser que le contexte économique local et international couplé à des enjeux environnementaux et géopolitiques font que ce miracle économique dont tout le monde parle actuellement ne pourrait être réédité aujourd’hui.
◗ À moins qu’on ne réalise une forte croissance…
D’au moins de 6 % et qu’on double le taux d’investissement de 20 % actuellement à 40 %. Ce qui me paraît irréaliste pour le moment.
Mais il faudra parallèlement ouvrir le pays aux compétences étrangères pour pouvoir accueillir une main-d’oeuvre qualifiée et disciplinée, au moins 25 000 personnes. Comme Singapour le fait actuellement. Évidemment, une telle décision ne peut se faire du jour au lendemain ; il faut bien s’y préparer car elle entraîne forcément des implications sociales et infrastructurelles qui risquent d’avoir des conséquences désastreuses si elles ne sont pas bien gérées.
Enfin, il faudra aussi penser en termes de nouvelles réformes institutionnelles et d’un transfert de savoir-faire. Il ne s’agit pas de copier un modèle économique qui a réussi dans un pays, mais il faut qu’on soit prêt pour apporter d’autres mesures d’accompagnement.
◗ L’économie occupera une place de choix dans les débats politiques de la campagne électorale. Quelles devraient être les priorités économiques du prochain ministre des Finances ?
La priorité des priorités demeure sans doute la création des conditions objectives pour permettre à Maurice de passer de son statut actuel de pays à revenu moyen à celui de pays à revenu élevé. Tout le monde en parle actuellement mais c’est souvent «easier said than done». Car pour atteindre un tel objectif, il faut dépasser notre niveau de croissance actuel de 3,5 % à 4 % et viser un taux de 5 %. Ce qui nécessite forcément des actions urgentes.
◗ Lesquelles ?
Je dirai sommairement qu’il y a d’abord l’économie à relancer et des secteurs non performants, comme la construction, à redresser tout en améliorant le tableau de bord économique du pays. Je pense notamment aux indicateurs macro-économiques ainsi qu’aux niveaux dramatiques de taux d’épargne national et d’investissement. Parallèlement, il y a le climat d’affaires qui est toujours morose et qu’il faut renverser pour créer un «feel-good factor» parmi la communauté des affaires et accessoirement dans le pays. Sans compter toutefois des réformes qu’il faut poursuivre pour réduire les lourdeurs administratives dans l’exécution des services et ainsi doper la productivité.
◗ Une source d’inquiétude demeure le déficit élevé du compte courant…
C’est une des faiblesses économiques qui sautent aux yeux. Nous sommes partis d’un surplus de notre balance du compte courant de 6 % en 2001 pour arriver à un déficit de 12,6 % en 2011 avant de l’améliorer légèrement à 10 % en 2013. Mais la situation déficitaire de notre compte courant, chiffrée approximativement à Rs 30 milliards, perdure toujours, vu que nos importations pour la consommation locale dépassent largement notre capacité de production.
Je remarque aussi qu’un des facteurs de cette détérioration de la balance commerciale extérieure durant les deux dernières décennies demeure la perte de compétitivité face aux exportateurs asiatiques, étant donné que les coûts de notre main d’oeuvre sont plus élevés que ceux des pays émergents comme la Chine et l’Inde.
◗ Il y a aussi l’endettement du pays…
À la fin de l’année dernière, la dette nationale s’élevait à Rs 220 milliards, soit 60 % du produit intérieur brut (PIB). Or, la Public Debt Management Act énonce clairement que le ratio dette/PIB ne doit pas dépasser 50 % du PIB en 2018. À quatre ans de cette échéance, il nous faut déjà nous assurer que nous sommes sur la bonne voie, vu qu’à ce jour nous sommes à 57 % du PIB.
◗ Quid des mesures pour stimuler l’investissement domestique ?
Bien plus qu’hier, il y a nécessité de revisiter la stratégie d’investissement du pays. En définissant notamment une nouvelle politique avec des objectifs clairs en termes du montant des investissements qu’on souhaite engranger et en termes de délai pour les atteindre. C’est une condition nécessaire, au vu des contraintes systémiques auxquelles le pays fait face. À charge pour le prochain ministre des Finances d’élaborer un nouveau code d’investissements et un code de travail unique liant toutes les législations y relatives. En dépit de tous les efforts visant à moderniser le cadre régulateur pour améliorer le climat des affaires à Maurice, le pays ne dispose d’aucune loi ou code regroupant toutes les dispositions légales relatives aux investissements. J’estime qu’il faut aller dans cette direction. Concernant le Foreign Direct Investment, il y a nécessité de définir de nouvelles directives comme cela existe en Chine et en Inde. Ce qui permettra de revoir ces «guidelines» annuellement en fonction des conditions du marché.
◗ Estimez-vous qu’une nouvelle vague de réformes est nécessaire pour permettre au pays de continuer à absorber les effets de la crise économique mondiale et pour préparer le pays à se hisser au rang de pays à revenu élevé…
La première vague de réformes a atteint ses limites et a contribué à rendre l’économie résiliente pour amortir les chocs de la crise économique internationale. Nous n’avons pas connu de casse comme d’autres pays. En même temps, personne ne peut contester le fait que cette première vague de réformes a été décisive à moderniser l’architecture économique en positionnant la juridiction mauricienne comme très attrayante en termes de fiscalité.
Aujourd’hui, le pays est à la croisée de chemins et a besoin d’un nouveau souffle pour réaliser une croissance durablement robuste. Le prochain ministre des Finances aura un espace fiscal étroit. Il ne pourra même pas y toucher. En revanche, il peut jouer sur d’autres claviers tels que l’ouverture de l’espace économique.
◗ La question du salaire minimum est revenue sur le tapis à la faveur des représentations syndicales dans le cadre des négociations sur la compensation salariale...
Disons qu’il existe déjà des salaires de base proposés par le National Remuneration Board. Mais au-delà de cette proposition en faveur d’un salaire minimum, il faut comprendre que c’est un sujet qui est discutable car on est loin du «one size fits all». Aussi, il ne faudrait pas, en optant pour un salaire minimum, bénéficier d’un oeuf pour ensuite perdre la poule.
La mise en place d’un tel système va manifestement fragiliser les entreprises. Exemple : une PME qui emploie cinq personnes et qui a la capacité financière de ne les rémunérer qu’à un salaire standard de Rs 5 000. Or, contraindre cette PME à introduire un salaire minimum de Rs 7 000 va probablement contraindre l’entreprise à sa fermeture.
Par ailleurs, proposer un salaire minimum peut être socialement gratifiant pour le travailleur mais pas pour l’entreprise; il faut s’assurer que ce surplus salarial répond à la compétence de l’employé. Et se demander si ce dernier peut potentiellement améliorer son employabilité.
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