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Gerald Lincoln: «Doubler la pension de vieillesse est raisonnable si on sait comment on va la financer»

1 décembre 2014, 02:51

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Gerald Lincoln: «Doubler la pension de vieillesse est raisonnable si on sait comment on va la financer»

 

Managing Partner d’Ernst & Young, Gerald Lincoln revient sur les enjeux économiques de ce scrutin électoral et estime qu’il n’existe aucune divergence économique entre les deux blocs politiques.

 

 

Quels sont les enjeux économiques des prochaines élections ?

Ce sont certainement des sujets qui touchent à la vie de tous les jours de la population. Je pense notamment au coût de la vie, à la compensation salariale, à l’emploi, plus particulièrement chez les jeunes ou encore à la croissance, même si celle-ci est davantage un sujet qui préoccupe prioritairement les opérateurs économiques.

 

Je pense qu’en général, les Mauriciens s’en sortent bien. Si on prend l’inflation, il est évident que celle-ci, calculée à moins de 3,5% annuellement, est largement sous contrôle.

 

Par ailleurs, je note que le coût de la vie n’a pas empiré ces derniers temps ; il n’y a pas eu d’érosion du pouvoir d’achat des Mauriciens de la classe moyenne. D’ailleurs, la récente baisse des prix de produits pétroliers ne peut que soulager le porte-monnaie d’une bonne partie de la population, celle qui possède aujourd’hui un véhicule.

 

Estimez-vous que la proposition de l’alliance gouvernementale de créer entre 12 000 et 15 000 emplois par an soit réalisable ?

Je crois qu’effectivement c’est une mesure potentiellement réalisable. D’ailleurs, le gouvernement le fait déjà. Il y a urgence à créer suffisamment d’emplois, tant au niveau du secteur public que de celui du privé pour absorber plus de 10 000 jeunes qui se joignent au marché du travail chaque année. Cet objectif vise certainement à garder le taux de chômage à 8%, qui est socialement acceptable. Passé ce taux, on court des risques sociaux dans le pays.

 

Quels sont les secteurs économiques susceptibles de générer ces emplois additionnels pour ces jeunes au chômage?

C’est sans doute le secteur financier, ou plutôt l’industrie des services qui peut à court et moyen termes absorber une bonne partie de ces jeunes diplômés en quête d’un premier emploi.

 

Je remarque en parallèle qu’il y a énormément de jeunes qui partent à l’étranger. C’est un phénomène normal car les Mauriciens sont un peu nomades dans leur comportement. Ils savent très bien que l’Europe est en récession et qu’il existe très peu de chances qu’ils décrochent un emploi dans des pays comme l'Angleterre ou la France. Mais ils partent néanmoins. La seule explication est qu’ils veulent découvrir le monde.

 

Un nouveau gouvernement émergera des élections du 10 décembre. Quelles devraient être ses priorités économiques ?

La priorité des priorités demeure la relance de l’économie pour poursuivre la croissance. Il est clair qu’on ne pourra pas viser un taux de croissance auquel le pays nous avait habitués avant la crise, soit autour de 5% à 6%. Il faut rester modeste et identifier de nouveaux secteurs capables d’agir comme de nouveaux relais de croissance.

 

Il est évident qu’il faut oublier le secteur agricole qui a du mal à croître. En revanche, l’industrie touristique a du potentiel pour générer de la croissance. Il suffit de voir le mood des opérateurs actuellement pour se rendre compte qu’ils sont optimistes dans la capacité de cette industrie à rebondir.

 

Évidemment, le gros de la croissance viendra du secteur des services financiers, comme cela a d’ailleurs été le cas ces dernières années. Toutefois, il y a une réflexion à faire quant au positionnement de Maurice comme International Financial Centre (IFC). Jusqu’à présent, notre centre financier était plus centré sur le business offshore. Or, le concept d’IFC est beaucoup plus large et implique le développement d’autres créneaux susceptibles de créer un marché financier sophistiqué. Je suggère par exemple le business lié à la gestion de la trésorerie ou encore des produits novateurs pour booster le marché des capitaux.

 

La juridiction mauricienne a les moyens techniques et technologiques de faire rayonner notre IFC. Bien sûr, s’il faut ouvrir le pays aux compétences étrangères pour assurer l’avènement de ces nouvelles disciplines, il faut le faire. C’est un atout qu’il faut développer, d’autant plus que Maurice est classée à la 69e position selon un récent classement mondial des centres financiers, juste devant Dublin.

 

L’enseignement supérieur, avec l’ambition du gouvernement de faire de Maurice un centre de savoir (Knowledge Hub), peut aussi contribuer à la croissance…

Tout à fait. Mais je vois aussi Maurice devenir un Research & Development hub, soit un grand centre de recherches et de développement qui peut tenir lieu de soutien aux entreprises. Ce qui va nécessairement pousser des jeunes professionnels de Maurice et ceux des pays de la région à s’adonner à des travaux de recherche dans plusieurs domaines.

 

Le pays réunit toutes les conditions pour faire réussir ce nouveau pôle d’activités : des infrastructures développées, un cadre de vie agréable, un niveau de sécurité physique et un taux satisfaisant de connectivité. Des atouts sur lesquels le pays peut capitaliser pour attirer ces jeunes qui peuvent aussi jouir d’une fiscalité légère, contrairement à des centres R&D en Europe.

 

Les promesses électorales sur le plan économique se multiplient entre les deux groupements politiques, les unes plus exagérées que les autres. Quelle est votre lecture de ce sujet?

Disons que les promesses font partie du jeu électoral. Elles existent dans toutes les démocraties du monde. Les politiciens doivent faire rêver la population et lui donner de l’espoir. Mais il ne faut pas tomber dans la démagogie.

 

Il y a certes eu beaucoup de promesses annoncées ici et là mais ce ne sont pas de nouvelles idées. D’ailleurs, je n’ai pas entendu une seule mesure qui puisse aider Maurice à passer à sa nouvelle étape de croissance.

 

Doubler la pension de vieillesse : est-ce une promesse raisonnable ?

Elle est raisonnable si on sait comment elle va être financée. C’est un simple exercice comptable : quand on donne de l’argent, il faut savoir le prendre quelque part. Est-ce qu’on va financer une telle mesure à partir des recettes fiscales, soit celles de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), alors que le pays est confronté à un déficit budgétaire de 3,2% du produit intérieur brut ?

 

En éliminant le gaspillage ?

C’est une promesse de tous les blocs politiques. J’aimerais bien savoir comment ils vont s’attaquer au problème de gaspillage dans la fonction publique et les organismes parapublics. Cela demande beaucoup de courage…

 

Si on suit votre logique, s’il faut doubler la pension de retraite, comme l’alliance Lepep l’a proposé, il faut soit augmenter la TVA soit introduire de nouvelles taxes ?

Ou couper dans des items budgétivores comme la Santé, l’Éducation ou la Fonction publique. C’est une simple équation comptable.

 

Il faut aussi savoir que c’est la TVA qui rapporte le plus en termes de recettes fiscales contrairement à la taxe directe, soit celle sur les revenus qui est à un taux uniforme de 15%.

 

Ce taux uniforme de 15 % fait toujours débat, même dans la présente campagne électorale. Introduit par Rama Sithanen en 2006, il est considéré injuste par beaucoup de spécialistes économiques qui estiment qu’un employé touchant Rs 30 000 mensuellement règle sa taxe au même taux que le CEO qui a un salaire de Rs 300 000 ou plus…

C’est un vieux débat qui revient toujours dans l’actualité. On peut le considérer comme étant injuste mais en ramenant le taux d’imposition fiscale à 15%, l’ex-ministre des Finances a voulu simplifier le système et encourager la création de la richesse nationale par le biais d’un «Tax Friendly Environment».

 

Un système progressif, comme beaucoup de spécialistes le réclament, nous mettrait dans le même panier que certains pays comme la Grande-Bretagne et l’Australie et, qui avec une taxe sur les revenus à 40% ferait fuir les investisseurs souhaitant une juridiction fiscalement très faible.

 

Par ailleurs, il faut comprendre que ces gens qualifiés de riches consomment chèrement et beaucoup plus que d’autres catégories de consommateurs. Du coup, l’État récupère indirectement sous forme de la TVA ce qu’il a donné comme Income Tax, une manière de favoriser une plus grande justice fiscale.

 

Qu’est-ce qui vous a surpris dans les manifestes électoraux ?

Le fait qu’il n’y ait pas de grandes divergences économiques et sociales entre les deux blocs politiques. Il n’y a plus de clivage gauche/ droite dans l’orientation économique de chaque alliance. Ce qui est un bon signe pour la stabilité économique même si idéologiquement, ce n’est pas dans la réalité une bonne chose. D’ailleurs, aujourd’hui les alliances se font et se défont dans tous les sens.

 

Comme on est toujours dans le registre politique, est-ce que le ciblage social reste toujours une priorité ?

Disons que le ciblage se fait déjà par les forces économiques, plus particulièrement dans deux secteurs, l’éducation et la santé. Dans le premier secteur, cela fait quelques années déjà que de nombreuses familles envoient leurs enfants dans des institutions privées payantes, tant au niveau primaire, secondaire que tertiaire. Une démarche permettant aux autorités gouvernementales d’économiser des ressources et de les réallouer aux élèves nécessiteux. Idem pour la santé où les familles ont recours de plus en plus aux cliniques privées pour se faire soigner.

 

Revenons à la politique monétaire. Certaines banques centrales à l’échelle mondiale ont commencé à normaliser leur taux d’intérêt. Estimez-vous que la Banque de Maurice doit leur emboîter le pas lors de la réunion du prochain Monetary Policy Committee ?

La normalisation du taux d’intérêt équivaudrait à une baisse, vu que notre taux directeur est beaucoup plus élevé que celui pratiqué par certaines banques centrales.

 

Il faut comprendre que toute hausse au niveau des taux d’intérêt entraînerait un renchérissement du loyer de l’argent. Ce qui est loin d’être bénéfique aux investisseurs.

 

À Maurice, nous avons des taux qui sont encore raisonnables. Nous sommes loin du Japon où le taux est négatif. Pour déposer de l’argent, il faut payer les banques !

 

Je crois sincèrement qu’on peut laisser le Key Repo Rate inchangé pendant quelques mois encore.

 

Le gouverneur Rundheersing Bheenick a alerté l’opinion sur les inégalités économiques entre les riches et les pauvres et la nécessité d’avoir une croissance inclusive pour éviter l’instabilité sociale. Qu’avez-vous à dire à ce propos ?

Face à cette problématique, la solution reste la recherche d’une croissance inclusive dont les fruits seront partagés entre toutes les classes sociales du pays, dont celles au bas de l’échelle.

 

Aujourd’hui, nous avons moins de poches de pauvreté qu’il y a dix ans, mais je concède qu’il y a néanmoins de la pauvreté absolue, dont des familles entières qui n’ont pas accès à l’éducation, à un logement décent et sont confrontées à d’autres problèmes sociaux graves.

 

Je comprends que les personnes souffrant de la pauvreté absolue ne sont pas nombreuses. Pour les aider à sortir de cette situation, il n’y a pas mille solutions. Il faut se donner les moyens et faire preuve d’une volonté sans faille. Le Corporate Social Responsibility demeure certes un instrument pour combattre la pauvreté mais en fin de compte, c’est l’éducation qui doit être la base pour aider ces familles à sortir du spectre de la pauvreté absolue.

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