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Rajun Jugurnath: l’homme qui traque le gaspillage
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Rajun Jugurnath: l’homme qui traque le gaspillage

C’est en toute simplicité que Rajun Jugurnath nous reçoit dans un bureau qu’il occupe pour l’heure à un département des Finances au bâtiment Emmanuel Anquetil. Les mauvaises langues attribuent sa nomination au poste de directeur du Public Sector Efficiency Bureau (PSEB) à un lien de parenté avec le chef du gouvernement. Chose qu’il récuse. «Zot pe invante. Tout au plus, j’ai rencontré sir Anerood Jugnauth à trois ou quatre reprises pour lui remettre mon rapport lorsque je dirigeais le Management Audit Bureau. Un point c’est tout.» Il avoue qu’après lecture du manifeste électoral de l’alliance Lepep où il était question de l’institution prochaine d’une Public Expenditure Control Unit, devenue la PSEB, cela lui a effleuré l’esprit qu’il avait le profil professionnel requis pour la diriger.
Cet homme de 63 ans, qui s’était retiré en novembre 2013 après 11 années en tant que directeur de l’Audit, déteste l’inactivité. Au lendemain de son départ à la retraite, il a rejoint une firme comptable comme partenaire et a fait de l’audit pour une poignée d’organisations. «Je n’aime vraiment pas rester inactif. C’est ainsi depuis ma jeunesse», confie-t-il.
Son enfance, il l’a vécue à St-Paul aux côtés de quatre jeunes soeurs, d’un père laboureur et d’une mère qui, bien qu’étant analphabète, le pousse à étudier. La scolarité étant à l’époque payante, elle va jusqu’à élever des vaches et l’oblige à aller couper la canne aux aurores pour contribuer au paiement de sa scolarité. C’est au collège Adventist qu’il entame la première partie de ses études secondaires. Il fait la Form IV et V au collège Presidency et complète la Form VI au collège Bhujoharry. À l’issue de sa Form V, il abandonne la filière classique pour les sciences en Form VI après avoir réalisé qu’il a plus de chance de trouver un emploi dans cette filière. Après le collège, il reste au chômage pendant un an, puis il obtient un emploi d’enseignant de chimie et de mathématiques au collège Stratford. Son franc-parler le voue aux gémonies de la direction qui lui donne sa feuille de route.
«Il faut savoir écouter les chiffres.»
Il obtient alors un poste comme Trainee Inspector à la défunte Development Works Corporation où il est chargé d’inspecter les constructions gouvernementales et les travaux agricoles. Ce boulot ne lui convenant pas, il se fait embaucher comme Trainee Student Radiographer à l’hôpital Victoria pendant deux ans. Bien qu’il apprécie le contact humain, il rêve d’études supérieures. Le futur mari de sa cousine, Jaylall Bungsy, actuel Financial Controler à la Wastewater Management Authority, qui a complété ses études de l’Association of Chartered Certified Accountants en Grande-Bretagne, l’encourage à suivre le même parcours. Rajun Jugurnath fait donc son ACCA et prend des cours de comptabilité avec son futur cousin, des cours d’économie avec Vijay Appanah, ex-directeur du Pay and Research Bureau, et découvre l’aspect légal avec Prem Bissessur.
Pour avoir de la pratique, il postule comme Trainee Examinor au bureau de l’Audit et est recruté. Au départ, il trouve le travail minutieux, voire ennuyeux, mais il s’y fait. À l’époque, l’Audit est encore dirigé par un Britannique qui cède quelques années plus tard sa place à Kadress Pillay. Rajun Jugurnath fait son bonhomme de chemin, devenant Examiner puis Senior Examiner. Et les chiffres lui parlent. «Il faut savoir les écouter et surtout les interpréter.»
Il est marié à Radhika, Senior Officer aux Affaires étrangères, et a un fils nommé Ravish lorsqu’il décide de prendre un congé sans solde pour aller compléter son ACCA à Londres, plus précisément au Emile Woolf College of Accountancy. Dès qu’il découvre la capitale anglaise, il a le vague à l’âme. L’absence de ses proches et le climat gris et froid lui pèsent. S’il s’écoutait, il prendrait le prochain avion pour regagner Maurice. Mais son billet aller lui impose une attente de 15 jours. Il plie bagage après ce laps de temps et à l’arrivée, son épouse le raisonne. Il repart donc la mort dans l’âme après trois mois de pause à Maurice. Ce qui l’aide à tenir trois ans à Londres, c’est le fait que sa femme le rejoint après un an. Elle travaille et tient le fort pendant qu’il suit ses cours et travaille comme auxiliaire de santé pour payer ses études et envoyer de l’argent à sa mère à qui lui et son épouse ont confié leur fils.
«Auditer c’est être wise after the event.»
Le succès est au rendez-vous. Le couple Jugurnath regagne Maurice et Rajun reprend son emploi à l’Audit où une promotion l’attend comme auditeur. Pendant quelques mois, il assume l’intérim au poste d’assistant directeur. À un moment donné, il éprouve le besoin de passer de l’autre côté de la barrière et faire les comptes. «Je vérifiais les comptes mais à aucun moment je ne les avais faits. Auditer c’est être wise after the event. Je voulais avoir une vue d’ensemble des choses.» Il prend donc un congé sans solde et postule pour agir comme contrôleur financier à la Mauritius Export Development and Investment Authority.
Avant qu’une année ne soit écoulée, le poste de directeur du Management Audit Bureau (MAB) est vacant. Il postule et sa candidature est retenue. Il reste à ce poste pendant 11 années. En l’an 2000, lorsque l’alliance PTr-MMM arrive au pouvoir, il est question de fermeture du MAB mais ce projet n’aboutit pas immédiatement. Entre-temps, Rajun Jugurnath doit s’acquitter des frais d’études supérieures de son aîné et se préparer à financer celles de son fils cadet, Khusal. La Preferential Tarif Area Bank de Nairobi l’ayant sollicité pour mettre sur pied une Management Internal Control Unit, il prend à nouveau un congé sans solde et passe un an à Nairobi au lieu des trois années initialement prévues car Moosa Taujoo, directeur d’alors de l’Audit, est envoyé à la Commission anti-corruption nouvellement créée. Et c’est Rajun Jugurnath qui est nommé directeur de l’Audit où il reste en poste 11 ans.
«Le public a le droit d’être informé de ce qui se passe pour la bonne marche des affaires.»
11 ans, c’est 11 rapports critiques sur tous les départements du secteur public. Rajun Jugurnath estime qu’il est faux de dire que les rapports de l’Audit se suivent et se ressemblent. «La seule chose qui ne change pas, c’est que le gaspillage persiste. Mais en général, mes recommandations sont appliquées. Ce n’est pas à moi de faire le suivi mais c’est au ministre, au Senior Chief Executive ou au secrétaire permanent de voir si elles peuvent être mises en pratique. Lorsqu’elles ne le sont pas, cela signifie, soit que les procédures sont longues en raison d’un peu de bureaucratie soit que légalement, leur application n’est pas possible.» Il arrive aussi qu’il y ait une part de mauvaise volonté, reconnaît-il, mais ce n’est pas généralisé. Mais il s’estime satisfait que ses rapports ont été acceptés.
Deux choses cependant l’ont frustré. La première est que des ministres, qu’il suppose «mal conseillés», ont publiquement démenti ses constats, portant ainsi atteinte à sa crédibilité. Et comme il est fonctionnaire, il n’a pu leur répondre. Ensuite, il y a quelques années, à la suite de la parution de son rapport, une radio privée l’a invité à venir le commenter en direct. Il a refusé avant de recevoir un coup de fil du secrétaire de cabinet d’alors, Suresh Seeballuck, lui donnant comme instructions de se rendre à la radio. «Comme les instructions venaient d’en haut, je m’y suis rendu. Je n’ai fait que repréciser ce que j’avais déjà écrit dans le rapport. Le lendemain, j’ai appris que mes propos n’avaient pas plu à certains membres du gouvernement. Or, je n’avais rien dit de plus que ce qui figurait déjà dans le rapport.»
Ses nouvelles fonctions au PSEB seront presque similaires à celles qu’il occupait au MAB mais étendues à la bonne gouvernance. Bien que cela ne soit pas encore spécifié, il est en faveur de la publication des rapports qu’il fera. «Même si leur consultation est censée être à l’interne, je sais que ce gouvernement est pour la transparence. Il paraît qu’il ne serait pas opposé au fait qu’ils soient rendus publics. Je crois que c’est une bonne chose car ce sont des fonds publics qui sont en jeu et le public a le droit d’être informé de ce qui se passe pour la bonne marche des affaires.»
Il pense qu’il aura sous sa direction une vingtaine de fonctionnaires et sait d’ores et déjà qu’il sera très vite surchargé de travail. Ce qui n’est pour déplaire à cet homme qui déteste se tourner les pouces…
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