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Amrita Auckloo Dyalah: «Le ministère néglige les plasticiens»

26 janvier 2015, 04:01

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Amrita Auckloo Dyalah: «Le ministère néglige les plasticiens»

Dans sa galerie vitrée de Grand-Baie, Amrita Auckloo Dyalah, artiste peintre et galeriste, laisse libre cours à son expérience, stigmatisant certaines pratiques du ministère des Arts et de la Culture.

 

Le sentiment prévaut parmi les artistes que le ministère des Arts et de la Culture néglige les plasticiens et favorise les chanteurs et musiciens. Partagez-vous cet avis ?

Définitivement. Je crois que le ministère a tendance à négliger les plasticiens. C’est bien de donner de l’importance aux autres formes d’art, mais c’est pénible de voir qu’on néglige les artistes peintres. Je suis un peu déçue. Depuis environ un mois, le nouveau gouvernement est en place. Mais, je ne connais pas le nouveau ministre…

 

… Avez-vous sollicité une rencontre comme beaucoup d’autres artistes ?

Pas encore. J’attends. Je ne veux pas qu’on puisse dire qu’Amrita Dyalah a sollicité une rencontre parski li ti pe rod si, li ti pe rod sa.

 

Enn bout ?

Zame mo pa rod bout ar personn. Je dépends de moi-même. D’ailleurs, je participe à de nombreuses expositions internationales et cela, à mes propres frais. Je paie notamment mon billet d’avion et le stand qui coûte vraiment cher. 

 

Je ne joue pas à la loterie et aux cartes à gratter. Je crois tout simplement en mon talent. J’ai d’ailleurs exposé au Grand Marché d’art contemporain à Cannes en 2004. Et tout était à mes frais. Je suis partie en France en trimballant 25 tableaux grand format avec moi. En effet, je vois tout en grand, notamment l’avenir du pays.

 

Pourquoi ne pas demander une subvention du ministère ?

Jusqu’à l’heure actuelle, j’ai eu zéro sou du ministère des Arts et de la Culture.

 

Rappelez-nous depuis combien de temps vous exercez.

Depuis 1996.

 

Zéro sou cela veut dire que vous avez demandé et que vous n’avez pas obtenu d’aide ?

Il y a deux ans, j’ai demandé de l’aide pour la première fois. Mais le ministère avait fait tout un cinéma. Ma demande a été refusée. Par conséquent, j’ai raté un événement international organisé dans la Drôme, en France.

 

Qu’entendez-vous par «faire un cinéma» ?

Je me rappelle avoir rencontré un ex-ministre des Arts et de la Culture – qui n’est pas l’ancien ministre – lors d’une exposition dans la rue à Port-Louis. Il m’a parlé des subventions du ministère proposées dans le domaine culturel et artistique auxquelles j’ai droit (sur papier, il est dit qu’une subvention de Rs 250 000 est accordée à chaque artiste). Je l’ai alors pris au mot et fait une demande trois mois à l’avance.

 

Le ministère, qui était censé donner une réponse dans un délai de 15 jours, n’avait pas donné signe de vie. Ne voyant rien venir, j’ai appelé plusieurs fois. Je pense même que le coût de mes appels téléphoniques équivaut en fin de compte à un billet d’avion pour Paris.

 

On m’avait par la suite expliqué qu’il fallait attendre le feu vert de l’ambassade de Maurice à Paris. J’ai finalement décliné l’invitation. Le jour où l’événement a débuté en France, j’ai appelé le ministère et on m’a affirmé qu’un attaché à l’ambassade de Maurice à Paris a confirmé que Maurice ne figurait pas au programme de cette manifestation. Mais c’est évident que Maurice n’y était pas. On ne pouvait pas confirmer une invitation tant qu’on n’obtient pas une réponse du ministère. On m’a par ailleurs dit d’aller à cet événement et qu’à mon retour, on me remboursera les frais. Cependant, il était trop tard. L’exposition avait déjà commencé.

 

Donc plus jamais ?

Cela a refroidi mes ardeurs. Pourtant, j’ai des amis qui Dieu sait combien de fois ont obtenu la subvention. Ena sertenn artis ki bann proteze minister. Moi, je n’ai pas besoin de béquilles, mais je suis révoltée parce que je considère que c’est mon droit de bénéficier de l’aide de l’État. Ce n’est pas parce que j’ai des contacts au gouvernement, que j’ai des liens de parenté avec untel. Tous les artistes ont droit à des subventions.

 

Pour revenir à ma déception, j’ai vu la semaine dernière qu’un groupe de chanteurs irait en Inde. C’est très bien mais je m’attendais que le nouveau ministre convoque les chanteurs, danseurs, écrivains, poètes et plasticiens. J’ai nommé plasticiens en dernier parce que nous avons été délaissés. J’ai par ailleurs beaucoup de choses à dire qui pourraient intéresser l’Independent Commission Against Corruption.

 

Par exemple ?

Moi, je n’ai pas envie de faire du sensationnalisme mais de voir les gens agir. J’ai grandi avec Malcolm de Chazal, un homme qui a cru en moi. Je ne suis pas présomptueuse mais si je fais une oeuvre et que vous me dites que mon travail c’est de la merde, je le mettrais à la poubelle. Si à Paris et à Cannes, on accepte mes tableaux, tant mieux. Si Bondie beni, j’espère créer un jour un musée à l’étage de ma galerie. Mais je ne peux pas accepter qu’on choisisse des artistes sur des critères obscurs au cours de réunions en catimini.

 

Mais pourquoi est-ce que les choses doivent être ainsi ? Nous sommes une petite communauté d’artistes à Maurice. J’ai l’espoir qu’on pourra y mettre de l’ordre. Il faut dire que le système d’allocation de subventions par tranches est ridicule.

 

Depuis 15 ans, la National Art Gallery existe de nom, sans lieu d’exposition, ni collection. Est-ce vraiment un manque ?

La galerie existe grâce aux impôts que paient les Mauriciens. Je peux me permettre de le dire parce que je suis en règle avec les caisses de l’État. Je paie le salaire de ces employés qui, au moment d’un événement, ne peuvent même pas vous envoyer un courrier ou un e-mail pour vous informer de la situation. Nous sommes une poignée d’artistes à Maurice. Nous avons une galerie de nom qui n’est autre qu’un simple Salon d’été.

 

Avez-vous déjà vendu un ou plusieurs Amrita Dyalah à l’État et savez-vous comment fonctionne le système ?

Je ne suis pas prétentieuse. On m’a relancée pour être cotée chez la maison Drouot à Paris. Mais jamais l’État ne m’a acheté un tableau.

 

Pourquoi ?

Question à mille balles. Quand il y a des visiteurs de marque, on leur donne des oeuvres d’artistes mauriciens. Savez-vous que c’est pratiquement toujours les oeuvres de quelques personnes qui servent de cadeaux ? En d’autres termes, les autres artistes ne servent à rien. Sa vedir pe dir zot al met pandi.

 

C’est le fait des conseillers qui sont au coeur de l’État ?

Si un ministre, peu importe lequel, n’a pas de flair artistique, il ne peut pas lancer un appel à candidature et choisir quelle oeuvre servira de cadeau d’État, il vaut mieux qu’il arrête la politique. Même si vous êtes ministre des Sports, vous devez avoir des notions. C’est cela la culture.

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