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Lindsey Collen: «La moitié de la population a peur d’entrer dans une librairie»

9 février 2015, 09:31

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Lindsey Collen: «La moitié de la population a peur d’entrer dans une librairie»

Certains regrettent déjà le Salon du livre «Confluences». Vous en faites partie ?

Navin Ramgoolam, pour éviter la bureaucratie, a mis en place une cellule destinée à la culture. Accordons-lui le bénéfice du doute quant à ses motivations puisque la cellule en question a quand même engendré le fameux salon Confluences. Cependant, je pense que ce serait mieux que le Salon du livre ait lieu tous les deux ans et non pas chaque année. D’ailleurs, il faut une équipe au ministère des Arts et de la culture, avec la même capacité de réalisation que celle qui existait avant Piblik finn kontan...

 

Que pensez-vous de l’organistion?

Du point de vue artistique, j’ai trouvé qu’au final, le travail était mal organisé.

 

Qu’est-ce qui manquait ?

J’avais été invitée à la première édition pour prendre la parole et mon nom, qui figurait sur les trois programmes provisoires, ne se trouvait pas sur le programme final. Bien qu’ils m’aient présenté leurs plus plates excuses, je crois que ce genre de situation démontre que les invités ne sont pas assez mis en avant.

 

Par ailleurs, malgré la participation d’un bon nombre d’écrivains venant de l’Afrique du Sud (NdlR : le pays natal de Lindsey Collen), j’ai trouvé que ce salon était occidentalo-centrique et francophile, puisque les autres ne s’intégraient pas au reste. Ce qui est triste pour le monde littéraire.

 

L’invitée d’honneur l’an dernier s’appelait Ségolène Royal.

Mo pa pou rant ladan (...). Les invités n’étaient pas forcément les meilleurs écrivains. Je suis sûre qu’il y a des auteurs du monde entier qui auraient aimé venir. Lors de la première édition de Confluences, j’avais envoyé les noms d’auteurs que j’avais rencontrés lors des manifestations littéraires à l’étranger et qui auraient sans doute accepté de participer. Mais les organisateurs n’avaient sans doute pas de temps à accorder à ces auteurs, qui pour eux sont sans intérêt. Je ne crois même pas qu’ils les connaissaient. Zot ti pe met enn dimoun kinn fini mor. En effet, Harold Pinter (NdlR : écrivain et dramaturge britannique, prix Nobel de littérature 2005), figurait parmi les intervenants.

 

Vous le leur avez signalé ?

Trois fois. Ou pa bizin enn gran foundi dan literatir pou koné linn mor.

 

«Confluences» a-t-il contribué à donner l’envie de lire ?

L’amour de la lecture n’y était pas suffisamment pris en compte. Demander à un écrivain de lire un extrait de son livre devant des petits groupes ciblés n’est pas la solution. Il suffisait pourtant de peu de choses. Notamment, demander aux associations de femmes si un membre aurait aimé participer et faire la même chose avec les élèves de Lower Six, les paroliers et autres écrivains. Ces gens aussi peuvent donner leur opinion.

 

Pendant ces rencontres, l’écrivain peut répondre à des questions terre à terre sur comment il écrit. Dimoun mari anvi koné. On peut aussi demander à des comédiens de lire leur texte, parce qu’il y a des écrivains qui sont timides ou qui ne savent pas lire leur texte. Il manque surtout des groupes de lecture à Maurice.

 

 

 

C’est une occasion d’acheter des livres à prix promo.

Oui, mais en mettant l’accent sur ce qui est utile à l’école, notamment des dictionnaires. La moitié de la population a toujours peur d’entrer dans une librairie, sauf s’il faut acheter des manuels scolaires. D’ailleurs, nous remarquons que certaines personnes hésitent lorsqu’ils partent acheter les livres d’écoles. Ils ne savent pas si le livre qu’on leur donne est bien celui qui se trouve sur la liste des livres. Confluences, quant à lui, se trouvait dans un lieu facile d’accès où les gens se comportaient de façon naturelle. Disons une librairie comme Bookcourt. Il y a des gens qui se disent «Ah, si mo ti ena enn kamarad ki pou amenn mwa ladan». Juste pour lui montrer comment regarder les livres.

 

En Angleterre, c’était le cas jusqu’à l’ouverture du Tate Modern (Ndlr : musée londonien, ouvert depuis mai 2000, regroupant une collection nationale d’art moderne et contemporain). Cette galerie est située dans une station comme Saint-Louis. L’uniforme des employés ressemble aux vêtements des gens ordinaires.

 

J’ai déjà observé comment ils font. J’ai vu cette masse de travailleurs anglais entrant dans le Tate Modern. Il y a encore plus de gens qui ont peur d’entrer dans une galerie. Je me dis que l’ancien hôpital militaire (NdlR : édifi ce historique choisi pour abriter la galerie d’art nationale) est peut-être un endroit que les gens auraient aimé visiter. Pas besoin d’un lieu où l’on fasse des chichis, fode zis ki li kouma dir inpé rough.

 

Dans les grands Salons, c’est plus une foire des droits d’auteur. À Francfort par exemple, c’est l’endroit où l’on peut rencontrer les agents des auteurs pour acheter les droits de traduction. Ékrivin, li kouma dir enn ‘side-show’. Dans Ledikasion Pu Travayer, nous avions décidé de faire des activités en parallèle à Confluences, mais il semble qu’il n’y aura pas de salon cette année. Enn artis zame pa kapav fye lor léta. Tout ce que le gouvernement a à faire, c’est décentraliser. Nous ne parlons pas nécessairement de construire des bâtiments, li kapav enn latant. Ici, l’art est souvent dédié à une élite urbaine. Avec la décentralisation, on peut devenir aussi généreux que Shakespeare qui n’écrivait pas que pour la royauté, mais pour tous les types de publics.

 

Pour la militante des droits des travailleurs que vous êtes, l’intention des autorités de reconnaître le statut de l’artiste est-elle bienvenue ?

Il y a quelque chose que je n’ai pas bien saisi. Le discours-programme parle du statut de l’artiste en tant que projet déjà existant. Mais est-ce qu’il existe déjà ? Je ne sais pas. Les artistes, en particulier les musiciens, sont victimes d’une politique traditionnelle qui consiste à diviser l’art selon des considérations ancestrales. Ils sont pris entre le marteau et l’enclume. La musique est morcelée, avec un conservatoire pour la musique occidentale, les centres culturels, le Mahatma Gandhi Institute. Enn tigit li ouver mé li konsantré plis lor oriental. Alors que le marteau, c’est le produit touristique. Les deux ont un impact négatif sur le développement de l’art.

 

En sus de cela, il y a aussi la récupération politique des artistes. Souvent, des musiciens marchent main dans la main avec un politicien quelconque pour attirer la foule. Sans compter les reklam, à savoir les grands artistes qui ont fait des chansons sur le 24/7. Ou ekrir slogan pou anbet dimoun. Sa ki ou fer kan ou pena kas. Cela veut dire que le patronat récupère et dompte un artiste.

 

Mais malgré cela, il y a énormément de musiciens qui ont un très bon niveau. Comment se sont-ils développés malgré les pressions? Il y a toute une génération qui retient la musique et non pas la division. Il y a aussi une génération d’artistes sans trop de talents qui sont employés dans des hôtels, ki santé kan dimoun pe manzé. Mais il y a d’autres qui ont grandi avec des instruments de musique à la maison. Donc, souvent, les artistes se développent malgré les politiques de l’État, comme un effet secondaire de ces politiques.

 

Est-ce dire que l’État ne devrait pas intervenir dans le domaine des arts et de la culture ?

Sans cette intervention, il n’y aurait pas les effets secondaires. Quand la politique pratiquée encourage l’art d’une façon commerciale, que ce soit dans le cadre du tourisme ou des kazot communalo-religieuses, l’art tout court est favorisé.

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