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Emmanuel Richon: «Je n’ai jamais vu un ministre au Blue Penny Museum»

4 mai 2015, 06:49

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Emmanuel Richon: «Je n’ai jamais vu un ministre au Blue Penny Museum»

Rendre hommage aux héros mauriciens de la Seconde Guerre mondiale. C’est le thème de la prochaine exposition gratuite au Blue Penny Museum. L’occasion pour son conservateur de faire le point sur son action culturelle.

 

■ Vous faites des expos gratuites – dans un musée payant – qui durent six mois. Quel est leur impact réel ?
Quand vous apportez un dugong (NdlR : mammifère marin) et que vous vous apercevez qu’il y a encore des gens qui ne savent pas ce que c’est, vous vous posez forcément des questions.
 

En plus, le monde publicitaire à Maurice ne comprend pas l’existence des musées. La plupart du temps, les publicistes finissent par me traiter d’imbécile. Parce que je n’ai pas recours à la publicité moderne, ils pensent que les gens ne vont pas venir. De toute façon, je n’ai pas le budget qu’ils réclament. Un an après mon arrivée, j’ai supprimé d’urgence la pub du musée dans Islander (NdlR : magazine d’Air Mauritius). Cela me coûtait Rs 280 000 pour trois trimestres.

 

Combien d’entrées enregistrez-vous par an ?
C’est variable. Au total, je dirais environ 25 000 visiteurs, maximum 30 000.

 

Majoritairement des touristes ?
Oui, mais beaucoup de Mauriciens viennent pour les expositions gratuites. La tendance est à la hausse. Il y a des gens que je revois et qui n’ont pas pris d’abonnement. J’ai la faiblesse de penser que dans ces expos, on y apprend des choses quelque fois.

 

Même quand c’est gratuit, les gens qui fréquentent le Caudan n’entrent jamais au Blue Penny Museum. Où estce que cela coince ?
À mon avis, cela coince de partout. L’État n’a pas fait son travail depuis 50 ans. Vous n’avez pas de références culturelles. En France, il y a le Louvre. Ici, la référence, elle est limitée. C’est le Blue Penny Museum, à la limite.

 

Vous faites une croix sur les musées de Port-Louis et de Mahébourg ?
Je suis bien placé pour le savoir, j’ai été coopérant pendant trois ans auprès de ces deux musées, et c’est catastrophique. Les collections vont à vau-l’eau et sont en train de disparaître, de même que les bâtiments. La collection Rochecouste est d’ailleurs dans un piteux état et personne ne lève le plus petit doigt.

 

Concrètement qu’est-ce qui ne va pas dans ces institutions ?
Elles ne mettent pas les collections en valeur, les conservent mal et surtout, la politique ne s’exprime pas là-dessus. Il s’en fout. Et ce n’est pas uniquement dans le domaine des musées, c’est dans la culture en général. Il y a une rancoeur des artistes envers le ministère qui est phénoménale. Je n’ai jamais vu un pays où les gens ont quasiment de la haine pour ce ministère. Quand j’y vais, je ne suis pas très à l’aise car c’est toujours pour supplier.

 

Vous demandez quoi ?
Les rares fois où j’y vais, on ne parle pas la même langue. La dernière fois, j’ai vu Choonee (NdlR : Mukeshwar Choonee, le précédent ministre) pour demander de l’aide pour une exposition sur la culture chagossienne. Je ne lui ai demandé que des sous, c’est plus simple. Et j’avais aussi rencontré Arvin Boolell (NdlR : précédent ministre des Affaires étrangères), qui sur le coup m’avait dit qu’il était d’accord mais par la suite, il m’a complètement ignoré. Je n’ai jamais compris pourquoi il avait changé d’avis. Il m’a renvoyé au ministère des Arts et de la culture.

 

Mon idée, c’était de monter la même expo à Londres. Ce n’était qu’une question de fret. La Haute Commission mauricienne à Londres n’aurait fait que son travail. C’était mon rêve, mais aussi celui de Fernand Mandarin. Mais on est passé à côté. Je ne prétends pas que l’exposition était extraordinaire, mais c’était la première fois qu’on en faisait une et il y avait un impact politique à tout cela.

 

Quelle était la signification de cette expo ?
Dans les discours londoniens, on dit que les îles n’étaient pratiquement pas habitées, or là, on démontrait le contraire.

 

Que vous a répondu le ministère des Arts ?
Il m’a dit que c’était une bonne idée, mais pour Londres, ce n’est pas de son ressort. Par contre, ce serait une bonne idée d’amener l’expo à Rivière-du-Rempart, Mahébourg et je ne sais plus où. J’étais consterné. Je lui ai dit - mais attendez, dans quel supermarché vous voulez la mettre ? C’est là où on ne parle plus du tout la même langue. Vous ne croyez pas que c’est plus facile de faire venir les gens pour qu’ils voient des cartes du XVIIe dans un endroit construit à cet effet ? Si les gens ne sont pas venus voir l’expo au Caudan, ils n’iront pas là bas. Votre truc, c’est juste de pouvoir dire qu’électoralement parlant, vous ratissez large. C’est moche.

 

Le ministère des Arts a-t-il déjà soutenu le Blue Penny Museum ?
Au dernier moment, il m’a donné Rs 30 000 pour l’exposition sur les Chagos. J’aurais vraiment aimé pouvoir refuser, parce que c’était une insulte. De toute façon, je n’ai jamais vu un ministre au musée. Sauf quelqu’un pour qui j’ai de l’admiration et c’est Cassam Uteem. Lui, il est déjà venu. Le soir même, il écrivait dessus dans la presse. Il est venu de son propre chef. Je ne lui ai rien demandé et je ne l’ai même pas rencontré.
 

Les ministres, quand on les invite, ils viennent très rarement. Une fois, on a fait une manifestation à l’extérieur du musée avec des gajak et tout. Un ministre était là. À aucun moment, il n’est entré dans le musée.
 

Si Ramgoolam était cultivé, il n’aurait pas été dans sa situation actuelle. Il aurait acheté un Modigliani avec ses Rs 200 millions. S’il avait acheté les deux timbres (NdlR : Blue Penny et Penny Red), les enquêteurs seraient arrivés chez lui et personne n’aurait remarqué les Rs 200 millions. C’est pour dire que les politiques n’ont pas d’imagination.
 

La Galerie d’art nationale, elle, a été inaugurée. Mais aujourd’hui, où est-ce qu’elle est ? Nulle part. Le temps de la politique et le temps de la culture n’ont rien à voir. Chaque année, depuis que je suis au musée, j’envoie une lettre au ministère des Finances lui demandant tout ou une partie de dégrèvements des taxes que paie le musée. Sur Rs 5,5 millions de chiffres d’affaires par an, j’ai Rs 1,1 million de taxes. Nous ne faisons pas de bénéfice. Cela ne suffit même pas à financer le musée. J’ai une TVA à 15 % et je trouve la taxe municipale inadmissible. J’ai rencontré des maires et je leur ai dit, qu’à 250 km d’ici, c’est vous qui m’auriez donné Rs 300 000 et pas l’inverse.
 

Le musée fait vivre l’État mauricien. Quand vous faites un CD inédit de Ti-Frer, c’est taxable. Pourtant la Mauritius Revenue Authority m’a dit que les CD à caractère pédagogique, ce n’est pas taxable. Mais Ti-Frer, pour eux, c’est du divertissement pur, pas de la pédagogie. Alors que pour moi, c’est comme si je vendais Victor Hugo en France. C’est parfois le Mauricien lui-même qui est en divorce avec la culture. Je suis un étranger qui a organisé des expos sur des sujets qui a priori, n’intéressaient pas les Mauriciens.

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