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Raj Bhujohory, ex-directeur commercial d’Air Mauritius: «MK n’a pas appris de ses erreurs»
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Raj Bhujohory, ex-directeur commercial d’Air Mauritius: «MK n’a pas appris de ses erreurs»

Raj Bhujohory, actionnaire et ancien directeur commercial de MK, s’est retiré de la compagnie début 2009 dans le sillage du «hedging» de 2008. Six ans après, il revient sur les dessous de ce scandale tout en faisant des propositions pour donner un nouvel envol à la compagnie nationale d’aviation.
◗ Est-ce que le second épisode de «hedging» à Air Mauritius, évoqué par le leader de l’opposition, s’annonce aussi important que celui de 2008 ?
Je ne dispose pas de chiffres officiels. S’il est vrai que le bilan financier 2014-15 fait état de pertes de Rs 800 millions (20 millions d’euros), cela veut dire soit que le bilan intérimaire pour les neuf mois de l’année financière se clôturant au 31 décembre est complètement erroné soit qu’un événement énorme s’est produit durant les trois premiers mois de l’année étant donné qu’à décembre 2014, MK a accusé des pertes de Rs 360 millions (neuf millions d’euros). Ce volcan pourrait être un nouveau hedging.
◗ Les actionnaires n’ont pas attendu la publication du rapport annuel vu la dégringolade des actions en Bourse durant la semaine.
C’est l’inquiétude. En l’espace de trois jours, le cours des actions a chuté de 25 % à 30 %. Mais, je lance un appel aux actionnaires, aux employés et aux institutions financières pour qu’ils ne vendent pas leurs actions qui ont une valeur intrinsèque. Car je suis confiant que la compagnie va redécoller. Un fait est qu’à décembre dernier, la valeur des actifs nets (net asset value) de MK était de Rs 26.
◗ Quelles seront les conséquences si le «hedging» est aussi accablant qu’en 2008 ?
Si cela s’avère, on ne parle pas des conséquences immédiates uniquement pour MK mais sur le long terme. Pis, si cela se confirme, cela signifie que MK n’a pas appris de sa leçon. C’est pour cela que je pense que ce sera trop tard d’attendre juin pour la publication du bilan financier comme le veut le conseil d’administration. Les actionnaires et le public réclament des explications au plus vite.
◗ Le «board» peut-il rendre ce bilan plus tôt ?
J’ai fait des bilans à MK. Si je ferme le compte le 31 mars 2015, je peux vous donner le bilan non vérifié (unaudited) fin avril. D’autant que le bilan intérimaire pour les neuf mois se terminant en décembre est connu et que la compagnie a un système vraiment sophistiqué où tout est informatisé, dont la saisie de données.
◗ Selon MK, le «hedging» est une pratique régulière des compagnies aériennes. L’épisode de 2008 est-il à mettre sur le coup de la malchance ou de l’incompétence ?
En 2008, ceux qui avaient la responsabilité de faire le fuel hedging ont eu tort. Ils ont acheté du carburant pour les avions bien en avance à un prix fort. Le fait qu’ils ont acheté pour une si longue période veut dire que ce n’est plus du hedging qu’ils ont fait mais du betting. Jamais n’auraient-ils fait une telle chose si cela avait été leur argent.
◗ Sur quelle période doit–on faire un «hedging» ?
Le hedging est pratiqué pour pouvoir garder le prix auquel vous achetez votre carburant constant au cas où il y aurait une majoration sur le marché. Le but n’est pas de faire des profits.
J’ai travaillé avec un pétrolier de Dubayy. Un jour, je lui ai demandé sa politique de hedging. Ce multimilliardaire qui exerce dans l’industrie pétrolière et gazière m’a répondu qu’il ne couvre (hedge) pas sur plus de six semaines à deux mois. Ici à Maurice, on a fait un hedging sur deux ans. Cette fois-ci, il faut attendre pour savoir sur quelle période le nouveau hedging dont ils parlent a été réalisé et combien ça a coûté à la compagnie.
◗ Comment est-ce que le pot aux roses a-t-il été découvert ?
En décembre, lors d’une réunion de la direction, j’ai vu un gros chiffre dans le cours financier. Étant expert-comptable de formation, j’ai été la première personne à demander des éclaircissements. Le directeur fi nancier Cornwell Muleya a fourni des explications. Nous n’avons rien compris. C’est là que nous avons réalisé que lui-même, il n’avait rien compris à ce qu’il avait fait. Depuis, c’est resté comme un mythe. Beaucoup de personnes ne savent pas ce qui s’est vraiment passé.
◗ Quelles ont été les répercussions du «hedging» de 2008 ?
Depuis, MK souffre car ça a eu un impact sur les profits accumulés par la compagnie au fil des années pour atteindre des réserves de près de Rs 10 milliards. On a pris ces réserves pour les jouer en une nuit au casino. Résultat, MK a dû notamment supprimer sept lignes pour une certaine période en 2012, dont Genève, Francfort, Milan, Durban, Sydney. Il faut ajouter à cela l’arrivée de toutes sortes de personnes pour gérer cette compagnie de façon amateur alors que les Senior Managers de MK sont plus compétents que les CEO qui se sont succédé.
◗ Pourquoi avez-vous quitté Air Mauritius dans le sillage de ces évènements ?
Le Chief Executive Offi cer d’alors Manoj Ujoodha m’ademandé de partir parce quej’ai été la première personne à lui dire qu’il avait fauté pour cehedging. Quelques jours après,il m’a dit : «Premie minis ine dir twa si to envi ale to kapav ale.»En janvier 2009, j’ai fait valoirmes droits à la retraite après 22ans de carrière à MK. J’avaisle choix entre partir avec mesdus et poursuivre la compagnie pour un montant quatrefois plus élevé. J’ai choisi lapremière option.
◗ En quoi Manoj Ujoodha était-il fautif ?
Air Mauritius a perdu Rs 8 milliards à cause de trois personnes dont l’ancien CEO et l’ex-ExecutiveVice-President des finances Cornwell Muleya.Elles ont fait ce hedging en août2008 sans en faire état lors desmanagement meetings et auleadership team. Elles ont prisdes décisions pas calculées.
◗ Vous avez oublié votre beau-frère Sanjay Bhuckory, alors président du «board», qui a démissionné peu de temps après, disant qu’il assumait «l’entière responsabilité» ?
Je ne pense pas qu’il soit responsable. J’ai déjà situé les responsabilités plus haut.
◗ Pourquoi venez-vous avec ces confessions six ans après votre départ de compagnie ?
Maintenant qu’un nouveau gouvernement est en poste, je peux me confier. Auparavant, je ne pouvais le faire car la compagnie et les avions étaient comme les propriétés de l’ex-Premier ministre et de Nandanee Soornack.
◗ En tant qu’ancien directeur commercial, que préconisez-vous pour remettre MK à nouveau sur les rails ?
Il faut doubler les opérations sur l’Europe et exploiter à fond le flux de trafic à travers les hubs Heathrow, Charles de gaulle,Francfort-Munich et explorer un quatrième hub à Amsterdam. Il faut aussi considérer Zurich et Milan. C’est ce qui doublera notre trafic de l’Europe et apportera une baisse du coût par siège qui aujourd’hui dépasse les revenus.
◗ Expliquez-vous.
Le coût de l’aller-retour d’un avion sur la Chine est de Rs 10 millions, dont 75 % représente les coûts variables comme le carburant et la nourriture. Il faut un taux de remplissage d’au moins 80 % pour couvrir les frais. Mais je lis qu’on fait seulement 52 % sur cette destination. Cela signifie que les opérations de MK sur la Chine ne sont plus viables commercialement.
C’est pour cela qu’il faut, outre le repositionnement sur l’Europe, arrêter les vols sur la Chine où la compagnie perd de l’argent. Il faut laisser les compagnies chinoises desservir cette ligne elles-mêmes.
Pour finir, il faut venir avec un moyen-courrier Premium avec un certain type d’avion et un tarif abordable pour desservir la région, l’Afrique et l’Inde. Et s’assurer qu’on couvre les coûts variables. L’objectif est d’atteindre 2,5 millions de passagers en 2020, dont 500 000 viendront faire du shopping pour rentabiliser l’aéroport.
◗ Que pensez-vous de l’achat de six Airbus par MK ?
Si je devais conseiller le Premier ministre, outre un bon plan d’opérations pour doubler le trafic, je lui aurai suggéré de renégocier le contrat avec Airbus.
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