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Ananda Devi et Carl de Souza : ces écrits déshabillés
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Ananda Devi et Carl de Souza : ces écrits déshabillés

L’écriture, parce que solitaire, est un processus mystérieux. Qu’est-ce qui constitue l’ADN des romans signés Ananda Devi et Carl de Souza ? Une littérature abreuvée de vécus et de tabous mauriciens. Heureux dialogue que cette rencontre entre Ananda Devi, actuellement à Maurice pour un nouveau projet de cinéma, et Carl de Souza, dans le rôle de l’intervieweur complice. C’était la semaine dernière à l’Institut Français.
Pourquoi est-ce qu’Ananda Devi, femme à la voix posée, est un écrivain qui donne voix à des personnages qui hurlent douleur, désespoir et injustice ? Quelle trajectoire depuis les premiers romans, «douloureux, pratiquement morbides», comme l’a dit Carl de Souza, jusqu’à L’ambassadeur triste, recueil de nouvelles, paru en début d’année chez Gallimard.
Qu’est-ce qui a poussé Carl de Souza à autopsier Maurice dans ses quatre premiers livres, avant de nous embarquer dans un, «faux roman sportif», En chute libre, son dernier roman, paru aux Éditions de l’Olivier en 2012 ? Un «faux roman sportif», qui baigne dans la sueur du sport que l’auteur a pratiqué pour de vrai, pendant longtemps: le badminton. À quel point est-ce que ces auteurs racontent leur propre histoire, à travers celle de leurs personnages ?
Pour Carl de Souza, la matière première qu’est Maurice, est un pays dont, «je ne sais pas si on est sorti encore de l’indépendance». Vu de la frontière entre la France et la Suisse où Ananda Devi est installée, Maurice renvoie aussi à sa mère qui parlait le télougou. «C’est la première langue dans laquelle elle nous parlait. Mon père ne la parlait pas. On va à l’école, on apprend l’anglais, le français. J’ai très vite perdu le télougou. J’ai refusé de parler à ma mère. Enfant, on ne se rend pas compte. C’est une sorte d’envie d’appartenir à sa société, à son petit groupe. Cela a été un questionnement douloureux. Ce n’est pas ma langue maternelle, c’est la langue de ma mère. À chaque fois qu’on me demandait quelle était ma langue maternelle, je disais le créole. J’avais beaucoup de mal à le dire parce que j’avais l’impression que j’avais un peu renié ma mère, qui était morte entre-temps. Finalement, je me suis rendu compte que c’est l’écriture qui est vraiment la langue maternelle».
Pour y faire écho, Carl de Souza raconte qu’il est engagé actuellement dans un travail au Mauritius Institute of Education, pour, «amener la graphie créole à un niveau beaucoup plus avancé afin que cette langue mauricienne puisse se retrouver dans les livres». Est-ce à dire que la langue du colonisateur est devenue celle des auteurs mauriciens publiés en France ? Le débat est ouvert.
Est-ce qu’aujourd’hui, la société mauricienne est prête à lire l’image que lui renvoient ses auteurs ? Images sans complaisance, qui vont aussi fouiller aux interstices entre les communautés, les ethnies et les religions. «Je connais tellement de personnes qui sont contre les livres sans les avoir lus, ça, c’est le danger», lâche Carl de Souza. «Quand j’ai fait Le sang de l’Anglais (NdlR : paru en 1993), on m’avait dit que j’avais fait un livre raciste contre les franco mauriciens. Par la suite, ces personnes l’ont lu et ont trouvé qu’il y a des gens formidables, d’autres qui sont moches, comme partout ailleurs».
Ce à quoi Ananda Devi a réagi en réaffirmant que pour elle, «il n’y a pas de tabous en écriture. Mais c’est l’intention qui compte. Il ne faut pas que ce soit juste pour faire sensation ».
MORCEAUX CHOISIS
■Ananda Devi : «Ni Carl, ni moi ne sommes des best-sellers. Cela ne va pas atteindre des millions de personnes. Un travail d’écriture n’est pas complet tant que le lecteur ne l’a pas complété par son regard».
■Carl de Souza : «Ananda allait d’enfermement en enfermement. On voit très bien dans ses romans des personnes qui sont absolument oppressées, opprimées par leur situation. En ce moment, c’est plutôt moi qui vais d’enfermement en enfermement alors qu’Ananda elle s’éclate, elle a dû fumer son sari».
■Ananda Devi : «Le langage politique n’est pas un langage de vérité, ni de sincérité. C’est une construction. De manière simpliste, on va dire ce que l’autre a envie d’entendre pour avoir son vote».
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