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Florence Boivin-Roumestan : «Il faut casser le business de l’adoption»
5 novembre 2015, 07:29
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Florence Boivin-Roumestan : «Il faut casser le business de l’adoption»

Juriste canadienne, africaine de coeur, Florence Boivin-Roumestan de la Fondation Justice and Equity dénonce l’ampleur prise par le trafic humain à Maurice. Un trafic qui concerne notamment les mineurs et l’adoption d’enfant.
Le trafic humain peut prendre quelle forme ?
Le trafic humain concerne les mineurs et les adultes : trafic d’organes, prostitution forcée, vente d’enfants à des fins d’adoption, maltraitance des travailleurs migrants (travailleurs séquestrés, passeport confisqué), mariage forcé…. Des cas où la dignité de la personne humaine disparaît complètement, la personne étant vendue comme un objet et son droit de vivre dans la dignité totalement annihilé.
Depuis deux mois et demi, vous enquêtez sur le trafic humain à Maurice, qu’en est-il ?
Le résultat de notre enquête va dans le même sens que les rapports que nous avons consultés, celui réalisé il y a deux ans par le professeur Gopaul à l’Université de Maurice et les rapports annuels successifs de l’ambassade américaine et d’une organisation internationale australienne qui publie The Global Slavery Index. Selon le rapport américain, votre pays est en train de tomber ! Une descente régulière : «Classe 2», puis «Classe 2 Watch List». Pourquoi ne pas craindre la «Classe 3» pour l’an prochain ? Une «Classe 3» qui aurait de sérieuses conséquences pour la coopération entre les deux pays. Le rapport américain a été critiqué par certains, car jugé «exagéré». Or ce n’est pas le cas. Ce travail est sérieusement documenté, pour ne pas donner lieu à des poursuites légales, donc je dirais même que ce rapport sousestime la réalité du terrain.
Lors de la conférence de presse conjointe avec l’association DIS-MOI, vous souleviez le cas des adoptions internationales douteuses de mineurs mauriciens par des familles étrangères. C’est une information avérée ?
C’est un fait que des enfants mauriciens sont vendus pour partir à l’étranger. Il est grand temps que Maurice mette en place une agence publique de l’adoption avec des contrôles stricts pour lutter contre le trafic humain, qu’il soit local ou international. Nous avons reçu plusieurs cas avérés d’enfants enlevés à Maurice. Pour n’en citer qu’un, une jeune femme de 28 ans a été contrainte à un mariage arrangé puis à la prostitution par sa belle-famille. Proches qui ont ensuite enlevé l’enfant qu’elle a mis au monde pour le vendre ! Aberrant ! Beaucoup de lois sont à revoir à Maurice pour mettre des garde-fous efficaces en place contre le trafic humain, dont la loi sur l’adoption d’enfant.
Maurice a adhéré à la Convention de La Haye sur l’adoption internationale le 28 septembre 1998. Les grands principes éthiques et pratiques de cette convention seraient-ils suffisants s’ils étaient mis en place correctement ?
Les grands principes de la Convention de la Haye sont bons bien entendu. Les pays se sont empressés de ratifier ce texte, mais beaucoup de pays malheureusement ne respectent pas du tout ces principes. À part les pays très avancés en matière de protection de l’enfance du Nord de l’Europe. Aux États-Unis même, si on prend une problématique connexe, les foster care houses, les familles d’accueil, elles sont très très mal gérées ! À Maurice, j’ai eu connaissance que les familles d’accueil pouvaient adopter les enfants qu’elles accueillaient, alors que l’adoption et le foster care doivent être bien clairement distingués dès le départ et d’un point de vue légal ! Prendre en charge temporairement un enfant, ce n’est pas le même projet qu’envisager d’adopter un enfant. Par ailleurs, à mon sens, une bonne loi sur l’adoption à Maurice devrait commencer par casser le business de l’adoption. Un organisme public devrait enclencher gratuitement les démarches légales liées à l’adoption. Qu’est-ce que c’est qu’un système qui discrimine les familles qui n’ont pas les moyens de se payer des conseils légaux ? Sont-elles moins légitimes à adopter un enfant que les gens plus aisés ?
Dans certains pays africains, le business de l’adoption a pris une ampleur telle que l’image des pays est discréditée, quels sont les risques pour Maurice? La France, dans le passé, ayant déjà suspendu pour quelques mois l’adoption d’enfant mauricien par ses ressortissants.
Sur le continent africain, où je travaille beaucoup, j’ai rencontré une maman adoptive désespérée, qui était allée jusqu’à payer USD 1800 à un avocat, seulement pour voir la photo d’un enfant qu’on lui proposait. Ensuite, elle devait régler environ USD 40 000 au total. Ce qui représente Rs 1,437 million par enfant ! Et elle voulait en adopter deux ! Des pays sont spécialisés dans les faux orphelinats, où les enfants sont kidnappés pour être vendus. Chaque pays se doit d’être très vigilant ! Toute négligence en matière de protection de l’enfance, toute atteinte aux droits de l’enfant que ce soit l’adoption internationale, l’embauche de mineurs de moins de 16 ans (même dans un business familial), la prostitution infantile… sont à dénoncer ! Tous ces cas-là donnent une image pourrie à un pays et à une ile offshore et touristique comme Maurice, aussi paradisiaque qu’elle paraisse au premier abord. Il faut développer des stratégies holistiques pour lutter contre le trafic humain, mettre en place une task force (avec les institutions publiques, les ONG…) pour le déraciner comme le prévoit le mouvement mondial auquel Justice and Equity appartient. Un mouvement baptisé «Déracinons le trafic humain». Mais c’est vrai que certains trafics humains sont pernicieux et plus difficiles à attaquer que d’autres.
Comme la pornographie online, qui se développe, notamment avec l’usage des téléphones portables qui permettent de réaliser facilement des vidéos ?
Oui, pour contrer la pornographie online, il faut des experts pour les enquêtes, une cyberpolice bien formée. On peut cependant diminuer la demande en ajoutant des repérages pour traquer les acheteurs autour du globe qui utilisent leur carte bleue pour visionner des scènes pornographiques, des scènes mettant aussi en scène de jeunes enfants, aussi jeunes que cinq ans, drogués, battus, violés, emprisonnés dans des espaces clos, sans échappatoire. Les diffuseurs sont malins, se sentant surveillés, ils ferment le site web, pour aller l’héberger rapidement ailleurs, en quelques heures…
La traque est sans fin pour les défenseurs des droits humains, mais vous restez une battante ?
Oui, je crois beaucoup à l’appui des médias pour soutenir les ONG et les citoyens engagés et pour les protéger aussi, car combattre le trafic humain, c’est parfois se mettre en danger, recevoir des menaces de mort. Mais la médiatisation des cas et des travailleurs de ce milieu est primordiale. Les journalistes ont un pouvoir énorme, ils ne doivent jamais l’oublier !
Une loi évoquée depuis des années.
Dans son discours programme 2015, le nouveau gouvernement a précisé sa volonté de revoir la législation sur l’adoption d’enfants. Malheureusement, cette nouvelle législation ne fera pas partie du Children’s Bill piloté par le Ministère de l’Égalité du genre, du développement de l’enfant et du bien-être de la famille, en cours de finalisation. Lors de sa conférence de presse conjointe avec le Kolektif Drwa Zanfan Morisien, la ministre Aurore Perraud a annoncé que le Children’s Bill sera présenté à l’Assemblée nationale en première lecture cette année. Quant à la loi sur l’adoption, elle aussi attendue depuis plusieurs années, elle est du ressort du Prime Minister’s Office.
Justice and Equity
La fondation canadienne Justice and Equity a travaillé dans les îles des Caraïbes, au Sud-Soudan, au Rwanda, au Burundi, en République démocratique du Congo et en Afrique du Sud pour dénoncer le trafic humain et agir concrètement pour extraire les victimes de la mafia. Des victimes notamment enrôlées pour la prostitution forcée dans leur pays ou à l’étranger. Justice and Equity travaille en collaboration avec Interpol et en réseau avec une cinquantaine d’ONG engagées autour de la planète au sein du mouvement «Déracinons le trafic humain». Les médias The Guardian et Jeune Afrique ont notamment couvert le travail de terrain de Justice and Equity au Burundi pour sauver des enfants esclaves sexuels. Une lutte menée en collaboration avec Christine Sabiyumva, la responsable nationale de la brigade des mineurs au Burundi.

Une commission contre le trafic humain
L’association DIS-MOI lance une campagne d’un an et met en place une commission pour lutter contre le trafic humain. Menée par l’avocate Me Indranee Boolell-Bhoyrull, cette commission compte sur le soutien des ONG, des institutions publiques, des citoyens. Pour mettre au jour les cas. «L’anonymat de ceux qui nous contacteront sera bien entendu respecté», a précisé Me Indranee Boolell-Bhoyrull. Confronté à un cas frauduleux d’adoption d’enfant, de trafic d’organes, d’abus sur des travailleurs migrants (passeport confisqué, conditions de vie médiocres.), de prostitution forcée de mineurs ou d’adultes, de mariage forcé, il suffit de prendre contact avec l’association DIS-MOI au 54 40 45 01.
Participants à l’atelier de travail organisé le 5 novembre par l’ONG DIS-MOI sur le trafic humain, des membres de la force policière ont tenu à rappeler qu’en plus des 70 postes de police à l’écoute des citoyens, il est possible de composer le 148 pour joindre l’équipe du Commissaire de police et dénoncer des cas.
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