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Nelly Ardill: «Le patrimoine devrait être utilisé conjointement par au moins deux ministères»

29 mars 2016, 06:00

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Nelly Ardill: «Le patrimoine devrait être utilisé conjointement par au moins deux ministères»

Dans deux jours, Nelly Ardill ne sera plus l’emblématique présidente de SOS Patrimoine en Péril. Retour sur dix ans de cheminement pour cette Bourguignonne aux yeux bleus déterminés, dont le leitmotiv pourrait être: «pas peur».

Vous quittez la présidence de SOS Patrimoine sans regrets ?
(Sourire) Je suis presque mariée à Thierry Le Breton (NdlR : son bras droit dans l’association). Je pense, il écrit. On est un binôme de travail.

En gros, vous ne partez pas vraiment. Votre dernier cheval de bataille, c’est la collection Rochecouste et les tableaux disparus du musée de Port-Louis?
Après la visite de deux experts du musée du Louvre, en février, c’est Michèle Malivel (NdlR : historienne de l’art et conférencière) qui s’est proposée pour un inventaire. Si elle n’y arrive pas, personne n’y arrivera. Je lui fais confiance, c’est son métier. Il faut savoir où sont tous les tableaux.

C’est un nouveau chantier, alors que celui de l’Hôtel de Ville de Curepipe n’est pas encore ouvert.
Ô rage, ô désespoir. Au bout de trois ans et Rs 350 000 que nous avons dépensées, la mairie demande un nouvel état des lieux. Il faut tout recommencer. On voulait aussi s’occuper de la collection Mauriciana de la bibliothèque Carnegie. Cela a été un échec. On nous a fait comprendre : «Pas touche».

Les autorités vous ont dit la même chose quand SOS Patrimoine s’est intéressée au Morne, non?
Au début, le village du Morne n’était pas dans la zone tampon. On a commencé un travail de responsabilisation des villageois. C’est une région où il y a des hôtels, mais les gens se plaignent de ne pas avoir de boulot. Ce n’est pas du patrimoine, mais il y avait un minimum à faire. Il y avait aussi une personne disposée à les intégrer dans son projet d’éco-village. Et puis, d’un seul coup, Le Morne Heritage Trust Fund nous a viré manu militari, en disant que le village, c’est de leur ressort. Je n’ai pas que des amis.

Le Morne, c’est un échec à plusieurs niveaux. D’abord institutionnel. Nous n’avons pu aider les gens, qui n’ont pas voulu s’aider eux-mêmes. Les villageois s’attendaient à ce que l’on fasse les choses pour eux. Il y a de grands désespoirs comme ça. Le patrimoine, c’est quelque chose d’utile que tous les pays riches exploitent. Et nous, on est à la traîne.

Les centres commerciaux ont construit des cheminées. Ils voient bien que c’est un patrimoine. Ils pensent que ça fait partie de l’image de Maurice. Il y a aussi des hôtels qui se sont servis du patrimoine. Ils n’ont pas exploité le côté patrimonial mais en ont fait un décor. C’est une autre approche, une certaine manière de sauvegarder le patrimoine mais qui ne les fait pas partager.

En une décennie, avez-vous noté une réelle prise de conscience ou considère-t-on que le patrimoine, c’est l’affaire d’une certaine catégorie de possédants ?
C’est eux qui nous financent. Et les projets sont faits dans l’année. C’est passé dans le vocabulaire «sa nou patrimwann», du genre, ça nous regarde. Par contre, là où cela ne marche pas, c’est dans la défense du patrimoine. Les gens ne dénoncent pas leurs camarades. Même s’il y a un camion énorme qui vient trois jours de suite pour enlever de vieilles pierres, quand vous demandez aux gens aux alentours, ils vous disent : «Défwa zot vinn lanwi.» Ou alors, un peu foutan, on vous dit : «Sa so zafer, pa mo zafer.» Il y a la peur des représailles. C’est décourageant.

SOS Patrimoine bénéficie de fonds du CSR, vous siégez au conseil d’administration du National Heritage Fund (NHF). Qu’est-ce qui manque à l’association ?
Des jeunes. Ils n’ont pas le temps. Tous ceux qui sont chez nous ont un travail. Nous prenons sur le temps de loisir. C’est beaucoup demander. Il y a aussi des gens autonomes, qui veulent bien dire quand quelque chose ne va pas, mais qui ne vont pas se mettre avec une association. Ne faites pas que dénoncer. Regardez avec le conseil de village ou la mairie s’il n’y a pas quelque chose à faire. Prenez vos responsabilités. Les gens ne s’engagent pas.

Au début de votre engagement en faveur du patrimoine mauricien, est-ce que vous vous êtes dit: «Tout tombe en ruine, par quoi est-ce que je vais commencer?»
Pas du tout. Quand je suis revenue à Maurice après 25 ans d’absence, en 2005, mon projet initial était de monter un musée des arts à Maurice parce que je connaissais les peintres. J’avais vu ailleurs comment les artistes avaient la chance d’être connus et vendus. Ici, vous achetez un tableau, à qui pouvez-vous essayer de le revendre? À un autre Mauricien. Il y a une école mauricienne de la peinture, qui a duré 150 ans, qu’on peut mettre en valeur. Mon combat, c’était ça. Au fur et à mesure, je me suis rendu compte que cela allait être difficile. Alain Gordon-Gentil a essayé, il n’y est pas arrivé non plus (NdlR : l’ancien conseiller culturel de Navin Ramgoolam, qui a initié le projet de galerie d’art nationale en 2011).

Il y a beaucoup plus de choses intéressantes que je ne le croyais. Mais, vous allez au jardin botanique, il y a trois zigotos qui racontent n’importe quoi sur les plantes, sans parler des voyeurs. Il faut que quelqu’un prenne cela en main et il faut que ce soit le Tourisme. Le patrimoine, ça ne fait pas partie de la Culture… 

Il y en a qui vont bondir.
Si on veut exploiter le patrimoine,  ce n’est pas le ministère des Arts et de la culture qui peut le faire.

Parce qu’il n’en a pas les moyens ?
C’est sûr. Ça ne l’intéresse pas.

Le NHF est sous sa tutelle…
Ils ont eu bien des misères. SOS Patrimoine est aujourd’hui membre du conseil d’administration. Les choses s’arrangent. C’est dommage que tous ces gens-là soient liés d’une manière ou d’une autre à la politique. Il faudrait remanier la loi du NHF. Il y a déjà plusieurs listes qui attendent d’être classées patrimoine national. Le texte qui définit le NHF dit qu’il peut classer quelque chose patrimoine national. Et puis, il y a deux petites lignes qui disent que si cela ne plaît pas à un ministre, il peut le déclasser. On m’a dit que les ministres ne s’en sont jamais servis. Je ne suis pas trop sûre dans le cas de l’école Beaugeard.

Encore un échec ?
Ce n’est pas un échec, on n’a pas fini avec. Maintenant que nous sommes au conseil d’administration du NHF, nous avons une chance de faire avancer les choses. Cela nous a coûté des sous cette affaire. Il y a des membres qui prennent des initiatives au nom de SOS Patrimoine et après, nous avons payé les frais d’avocat.

L’Aapravasi Ghat, c’est la dernière chose que j’aurais fait classer patrimoine mondial. Au début, les touristes se sont dits : «On nous prend pour des imbéciles. Circulez… Il n’y a rien à voir là-bas.»

Vous auriez commencé par quoi ?
Par former des gens, former les taxis, faire des circuits. Et compiler un inventaire.

Vous auriez fait classer quoi ?
Le bâtiment Surcouf (Ndlr : situé à l’angle des rues Pope Henessy et Desforges, en face de la mairie de Port- Louis. Le célèbre corsaire a habité là au 18e siècle)

Encore un de vos nombreux combats.
Ce bâtiment est patrimoine à deux niveaux. Il date de l’époque française. Ensuite, c’est un symbole de l’indépendance de Maurice. Il y a eu des notaires et des médecins qui ont travaillé là, gratuitement, pour les pauvres.

Vu de l’extérieur, c’est un vieux bâtiment aux volets clos. Qu’est-ce qu’il y a à voir ?
Il est en bon état. Il a une plaque.

Je suis un touriste et je viens voir une plaque ?
Les murs sont comme des mâts de bateau. C’est vrai que là il n’y a rien, c’est un trou à rats même, mais ça date de l’histoire française. C’est en plein Port-Louis, dans une zone touristique. J’aurais mis les bureaux du NHF là, par exemple. Au rez-de-chaussée, j’aurais mis des magasins d’artisanat de l’océan Indien. Il y a toutes sortes de moyens de l’exploiter.

Deuxième, je pense que c’est le jardin de Pamplemousses. Sans parler du Réduit, mais ce n’est pas ouvert au public tout le temps. Il faut toujours commencer par ce qui est en meilleur état. Si on ne peut pas mettre en valeur un patrimoine, ce n’est pas la peine de le réparer. Il faut absolument raisonner en termes économiques. Il faut attirer les gens, qu’ils trouvent cela joli, qu’on leur raconte ce que c’est ou qu’il y ait des panneaux d’information.

Je suis convaincue que le patrimoine devrait être utilisé conjointement par au moins deux ministères, la Culture et le Tourisme. Ou le Tourisme et l’Environnement. Le patrimoine, c’est un problème de gestion. Il faut qu’il y ait un corps étatique indépendant où privé et gouvernement pourraient s’entendre. Il faut qu’il y ait des volontés politiques en dehors des politiciens.

Vous avez vu de la volonté au ministère des Arts et de la culture ?
Le ministre fait de la politique. Ils en sont tous là, les pauvres malheureux. De temps en temps, il y en a un qui sort du lot, du genre Joseph Tsang Man Kin.

Défendre le patrimoine, cela vous colle une étiquette de nostalgique ?
Je n’aime pas spécialement les cimetières, ni les vieilles pierres. Je suis plutôt pour la modernité. Je crois qu’il faut s’inspirer des maisons créoles sur le plan environnemental, sur le plan de l’économie de l’eau. Ce sont des objets d’études dont il faut prendre toute la mesure. Les moulins à vent ont des choses à nous apprendre par rapport à l’éolienne d’aujourd’hui. C’est ça pour moi le patrimoine, qu’on le préserve à des fins utiles. On apprend toujours des plus anciens. Il y va du patrimoine comme des humains.

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