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Yoshio Kuba, 10e dan: «Le plus important, c’est l’esprit, c’est le cœur»
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Yoshio Kuba, 10e dan: «Le plus important, c’est l’esprit, c’est le cœur»

Pendant que le 6e championnat de karaté open de l’océan Indien se déroulait, samedi, au gymnase de Phoenix, nous nous sommes entretenu avec le So Shihan Yoshio Kuba, 10e dan, 70 ans, responsable et fondateur de l’«Okinawa Karate Do Kenpokai Kenbukan Goju Ryu Karate». Avec l’aide de Noor Dulloo, responsable de la branche mauricienne, l’illustre visiteur s’est livré patiemment au jeu de questions-réponses. Ses mots sont traduits ici mais il était évident, samedi, qu’il y avait encore autant de mots et de pensées dans ses sourires, dans ses silences, dans ses non-dits et dans ce relais expressif que prennent ses mains et ses bras quand un terme éveille en lui une notion qui lui est chère. Voyage à l’intersection de la force dure et de la souplesse.
Vous effectuez vos premiers pas dans les arts martiaux avec le judo à l’âge de 9 ans. Était-ce le choix de vos parents ? Étaient-ils eux-mêmes des adeptes des arts martiaux ?
Non, c’était un choix personnel, il y a bien longtemps. Il existe une forme de jeu à Okinawa connu sous le nom de tegumi. Les pratiquants appliquent diverses méthodes d’écrasement avec le pied et de coups de pied. Ils saisissent, crochètent et font dévier avec les avant-bras et les mains, percutent avec le corps, luttent, font des clefs articulaires et frappent sur les points vitaux avec une phalange, du bout des doigts etc. Ce sont des mouvements ininterrompus et continus, des enchaînements relative- ment courts qui consistent en des compositions de défense extraites des kata traditionnels. Il y a là un mélange de judo et de ka- raté. Cela m’intriguait et je voulais découvrir ce qu’est le tegumi.
Quant à mes parents, seul mon père était pratiquant d’arts martiaux. Il était un fervent kendoka. Mon père est resté peu de temps à Okinawa. Il est né sur l’île principale, au Japon. Ma famille appartient à la noblesse okinawaïenne. Elle descend des Chinois venus s’installer à Kumemura. Je suis moi-même originaire de Shuri, au cœur d’Okinawa.
Que vous ont apporté ces années consacrées à la pratique du judo ?
J’ai pratiqué le judo pendant deux ans seulement. C’est le karaté qui m’attirait.
Vous passez en- suite au kendo à 14 ans. Ce sera la passerelle conduisant au karaté de par la diversité de techniques que renferme cet art martial ?
Oui, beaucoup de mouvements en karaté s’inspirent de ceux du kendo. Le karaté y puise autant ses techniques que sa stratégie et sa philosophie.
Vous commencez la pratique du karaté à l’âge de 15 ans. Avec le sentiment de faire le choix capital ?
Oui, j’étais très heureux de ce choix. J’allais découvrir ce que voulaient dire symboliquement «les mains vides» et «un cœur fort».
Pourquoi l’école Goju Ryu ?
Elle est, à mes yeux, la meilleure école, celle qui répond le mieux à mes aspirations.
Quelles sont les spécificités et la philosophie de cette école ?
Elles se résument à l’équilibre à trouver entre la force dure et la souplesse. Tant sur le plan physique que sur celui des valeurs humaines. Le style Goju Ryu est bénéfique aux muscles, aux ligaments et aux organes internes. Le cœur se renforce quand on apprend à se détendre.
Au début, ce style n’avait pas de nom. Dans la «bible» des arts martiaux, le Bubishi – Wupeichi en chinois –, il y a un poème qui dit que tout l’univers est un mélange de douceur et de dureté, de yin et de yang, deux aspects complémentaires. C’est cela qui a donné au maître fondateur de notre style l’idée de l’appeler Goju Ryu (NdlR : initié par le maître Kanryo Higashionna [1853-1915] et transformé par Chojun Miyagi [1888-1953]). Dans cette «bible» des arts martiaux, il est aussi question de stratégie militaire, médecine, bunkai, katas anciens etc.
Vous devenez le disciple de Seikichi Toguchi à l’âge de 17 ans. Que vous enseigne ce maître ?
C’est le maître qui choisit le disciple. J’étais un uchi-deshi, un disciple interne. Il m’a fallu treize ans pour parvenir à convaincre le maître de me dispenser ses enseignements. Pendant tout ce temps, je l’observais de loin, en cachette. Puis le maître a accepté que je devienne son disciple comme cela se faisait dans la tradition des arts martiaux. Les secrets ne sont pas enseignés à tout le monde.
Pourquoi avez-vous choisi ce maître en particulier ?
Il habitait tout près de chez moi, à dix minutes seulement. Il m’a tout enseigné, notamment les techniques respiratoires spécifiques au Goju Ryu. Toute la transmission se faisait selon le mode de communication tacite ishin denshin, de cœur à cœur, d’âme à âme, d’être à être.
La filiation a-t-elle une importance particulière en karaté ?
Oui. J’ai beaucoup appris hors du dojo, dans la convivialité. Mon maître souriait toujours, même quand il combattait. C’est dans la souplesse que réside le secret. Ce qui est dur ne dure pas. C’est difficile à dire. Au Japon, c’était la société de la lame. À Okinawa, c’était celle du cœur.
Vous accédez au grade de maître à l’âge de 34 ans. Quelles en sont les implications ?
Un maître est celui qui a atteint la maîtrise de son corps et de son men- tal. Il y a les grades et les titres. Les titres reflètent une échelle de valeur. Il y a maître et grand maître, So Shihan. Il y a des échelons à gravir : Renshi, Kyoshi, Hanshi et puis So Shihan.
Le So Shihan, c’est celui qui conserve le kaiden, le parchemin des secrets. Il a traversé les trois étapes internes et externes : celle du Shu, de l’apprenti qui ne sait pas encore ce qu’il doit savoir ; celle du Ha, qui prend conscience de son incompétence ; et celle du Ri, qui se détache de son maître et qui vole de ses propres ailes. La voie qui s’arrête n’est pas la voie.
Vous avez atteint aujourd’hui le grade de 10e dan. Dans l’ancien système de grades chinois, le neuvième ni- veau représentait l’approche du divin ou de la perfection. Est-ce le cas en karaté également ?
La perfection… tout est relatif. Le plus important, c’est l’esprit, c’est le cœur. Le système de karaté d’Okinawa doit tout aux temples shaolin du Sud qui expliquaient l’usage des membres supérieurs et inférieurs.
«Le karaté moderne n’a rien à voir avec l’art martial vrai.»
Le style «Goju» se caractérise par un équilibre entre la force dure – go – et la souplesse – ju. Qu’est-ce que cela veut dire au juste ?
À un niveau supérieur, on fait appel aux techniques souples. La souplesse est plus forte que la force dure. Le débutant mise sur la force dure. Le karatéka expérimenté fait appel à la souplesse à chaque fois.
Il est évident que les acquis s’étendent bien au-delà de la dimension médiatique du sport de combat. Quelle place occupe le karaté que vous pratiquez dans la vie quotidienne ?
Le karaté sportif est régi par des règlements. Il s’arrête à la compétition. Le karaté traditionnel est souplesse et amour. Les jeunes font tout avec la force dure. Les plus vieux adoptent la souplesse. La souplesse est plus efficace et plus proche du vrai karaté. Le karaté moderne n’a rien à voir avec l’art martial vrai.
Quand on parle de karaté, on a tendance, et c’est normal, à s’attarder à l’aspect extérieur. Mais ne serait-il pas plus intelligent en fait de parler de l’aspect interne du karaté et de sa relation avec la maîtrise de l’énergie ?
C’est une notion difficile à exprimer. Tout dépend du vécu, de l’expérience. C’est difficile d’extérioriser un tel concept. Seuls ceux qui ont le vécu nécessaire peuvent en prendre conscience.
Cette maîtrise de l’énergie explique-t-elle votre passion pour et votre maîtrise de l’acupuncture ?
Le saika-tanden, dit tanden, est le centre de l’homme. C’est là que réside la quintessence de l’énergie qui anime toutes les manifestations de la na- ture, qui relie l’univers, les êtres et les choses. L’énergie vitale dont nous disposons réside dans notre ventre, au niveau du nombril.
Si on touche ici au niveau de la main, cela peut aider au niveau des dents. Il y a correspondance entre les points vitaux et les organes. On peut s’en servir pour détruire l’adversaire ou pour guérir. Tout dé- pend de l’intention. Toutes les grandes civilisations dé- signent cette énergie par un nom particulier. Au Japon, nous disons ki, en Chine, on dit chi.
Sinon, quelle place occupe l’écriture dans votre vie ?
J’ai consacré une bonne partie de ma vie aux techniques. Maintenant, je me consacre au karaté situé au-delà de la technique. Je me concentre sur les sujets chers aux adeptes des arts martiaux.
Je lis souvent Le Traité des cinq roues, écrit au XVIe siècle par le samouraï invaincu par une vie de com- bats, Miyamoto Musashi. Ce maître ès-armes donne l’essence des arts martiaux et le secret d’une stratégie victorieuse dans un texte lumineux qui décrit sa tactique nommée École de Niten, Niten Ichi Ryu. Sa stratégie transcende la violence et devient art de vivre et d’agir.
Le Traité des cinq roues, le Gorin-No-Sho, bien qu’étant un texte sur le kenjutsu, la stratégie militaire et la philosophie, attire des responsables d’entreprises qui utilisent ses enseignements pour la gestion au quotidien ou la résolution des conflits. Ce texte est une référence à Harvard.
L’écriture est-elle une forme de transmission du savoir aussi efficace que l’enseignement des arts martiaux dans un dojo ?
Le plus important est d’enseigner la philosophie, le savoir être. Cet enseignement se fait de cœur à cœur. Cela n’a rien à voir avec l’enseignement de techniques dans un dojo. Le traité que m’a transmis mon maître ne m’a pas été transmis en écrit.
À notre époque contemporaine, peut-on encore parler de transmission et de filiation ou vaut-il mieux parler d’enseignement ?
La transmission a toujours lieu mais elle se déroule dans un cercle restreint. Il y a le travail qui se fait pieds nus sur le tatami et puis il y a ce qui se passe à un autre niveau.
Les origines chinoises du Goju Ryu
<p>Le Goju Ryu est issu de concepts du combat tirés du Naha-te et du kempo chinois, pratique connue au Japon sous le nom de Ryuko Ryu. Le Naha-te est le style propre à la ville de Naha, à Okinawa. C’est une des pratiques du To-de qui signifie «la main de Chine» en okinawaïen. On dit Naha-te, en opposition à Shuri-te, style de la ville voisine de Shuri qui est devenue un quartier de l’actuelle Naha. Le Shuri-te est devenu Shorin Ryu, prononciation okinawaïenne de Shaolin, en référence à ses origines.</p>
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