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Confinement: «Une occasion en or pour se poser des questions essentielles sur notre manière de vivre», dit Yannick Lincoln

23 avril 2020, 16:15

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Confinement: «Une occasion en or pour se poser des questions essentielles sur notre manière de vivre», dit Yannick Lincoln

Sportif d’endurance et grand amateur de pleine nature, Yannick Lincoln s’adapte tant bien que mal à la vie en confinement. Ne pouvant s’entraîner en extérieur, le cycliste/vététiste se «contente» du Home Trainer qui reste tout de même efficace pour garder la forme. Manager du Synergy Sport & Wellness Institute, il continue à travailler à distance. Il se réjouit aussi du fait de pouvoir consacrer plus de temps à sa fille de 4 ans.

Le confinement national décrété depuis le vendredi le 20 mars n’est-il pas trop dur à vivre pour le sportif de haut niveau que vous êtes ?
Oui, d’une certaine manière c’est dur. Je suis un sportif dit « d’endurance » et de surcroît, un grand amateur de pleine nature. C’est un peu comme mettre un oiseau migrateur dans une cage. Je suis aussi un « addict » de la compétition… d’où le fait que je la pratique encore à 37 ans ! J’adore ce feeling de ligne de départs, des objectifs, des échéances à prépare, etc. Cela fait partie de mon ADN à présent et depuis le 20 mars, on « navigue à vue » : impossible de dire quand et comment nous allons retrouver les lignes blanches verticales. Mais, je dois avoer que l’on peut voir les bons côtésde ce confinement. Cela m’a permis de faire un « break » psychologique, de ne plus être dans de l’objectif pur mais juste de jouir du plaisir présent que le présen m'offre. De ne plus être de la course en permanence en suivant un programme construit tout en menant la vie de père de famille (enfant, boulot). C’est un rythme effréné que je ne quitte d’habitude que deux semaines par an ! Il faut donc trouver d’autres sources de motivation pour rester en forme.

Pour un cycliste/vététiste, ne pas pouvoir s’entraîner en extérieur est un inconvénient majeur. Est-ce que le home trainer peut compenser, un tant soit peu, ce manque ?
Ah oui !!! Je ne sais pas comment j’aurais fait sans mon Home (Smart) Trainer. J’en avais fait l’acquisition il y a 2 ans lorsque j’avais fracturé ma clavicule 2 semaines avant les Jeux du Commonwealth. Cela m’avait permis de rester en forme et de pouvoir participer aux Championnats d’Afrique  de VTT en Egypte, 6 semaines après seulement, avec une forme quasi contenue. Donc, je connaissais bien les avantages d’un tel outil, même dans une préparation globale. Je fais une séance quasiment une fois par semaine. Cela a l’avantage de ne pas être contraint par les caprices de la météo et permet d’effectuer un entraînement de qualité en moins de temps. On peut chauffer le moteur  en 5 minutes seulement ! Maintenant les faire tous dessus… ça fait bizarre dans un premier temps, mais je dois dire qu’on s’habitue assez vite. Au début cela me paraissait inconcevable de faire plus d’une heure, et j’ai terminé cette semaine avec une « sortie » de 3h30. Comme quoi, tout est relatif.

Etes-vous devenu, comme de nombreux cyclistes dans le monde entier, adepte de l’application Zwift qui permet de rouler virtuellement ?
Le mot adepte est faible. C’est une vraie drogue, ce truc ! Depuis que j’ai commencé à faire des courses avec les potes et même d’autres organisées avec des coureurs du monde entier, je retrouve un peu cette flamme perdue. On s’y accroche avec une force qui fait parfois peur, en ayant un regard extérieur. 

Vous aviez déjà atteint une bonne forme comme en témoigne votre victoire aux Championnats de Maurice de contre-la-montre individuel, le 12 mars dernier. Combien de temps vous faudra-t-il pour retrouver une forme appréciable quand il sera possible de s’entraîner en extérieur ?
Oui, effectivement, ma forme était plutôt bonne et mon degré de motivation assez élevé. Les Championnats d’Afrique de VTT étaient en ligne de mire et entre-temps je voulais me faire plaisir sur le contre-la-montre par équipes des championnats continentaux organisés à Maurice. Pour l’instant, je dois dire qu’avec le Home Trainer et la préparation physique générale faite en indoor, j’ai mieux  conserver mes aptitudes. Avec plus de temps, du coup, j’ai pu combler certaines lacunes. Maintenant c’est sûr que lorsqu’on sortira de là, il y aura forcément le rythme de compétition qui va manquer et surtout le « feeling du terrain » mais là, tout le monde sera sur un pied d’égalité !

Avez-vous déjà songé à l’après-confinement ? Comment pensez-vous que les compétitions se dérouleront ?
Oui, on y pense forcément, mais je dois dire que c’est vraiment flou. Il règne tellement d’incertitude que c’est difficile de se projeter. La logique voudrait que les compétitions reprennent « normalement » sur un plan local à un moment donné mais qu’en sera-t-il des échéances internationales ? Pourra-t-on voyager ?  Pas de contact physique entre les cyclistes, comme dans  de nombreux autres sports mais pas mal de public (mais pas dans un stade). Nous sommes donc plutôt avantagés dans cette perspective.  

Vous êtes aussi manager du Synergy Sport & Wellness Institute. Etes-vous en mesure de continuer à suivre les adhérents pendant cette période de confinement total ?
J’ai le gros avantage de pouvoir faire une énorme partie de mon travail à distance. C’est un système que j’ai pu établir il y a un moment car il me fallait pouvoir continuer à travailler quasi normalement alors que j’étais en déplacement pour les compétitions. Donc, pas d’énorme changement pour moi à ce niveau. Au contraire, j’en ai profité pour suivre des cours en ligne pour me permettre d’être plus efficace dans cette situation. Mais je dois dire qu’il manque ces petits 20% de contact humain qui me sont très chers, car au-delà des consignes à communiquer, la partie psychologique manque.

Votre club, le Moka Rangers SC, a innové cette année en proposant une ligue nationale de VTT. La première manche, le Heritage 100 km Classic, a eu lieu le 1er février dernier et la deuxième, le Moka Rangers XCO, devait se tenir le 4 avril et a dû être renvoyé. Pensez-vous qu’il sera possible de réaménager le calendrier afin que cette première édition de la ligue comprenant 5 épreuves puisse quand même être complétée ?
Oui, il risque probablement d’y avoir un chamboulement à ce niveau. Je pense qu’il faudra réunir tous les organisateurs de courses pour faire le point : qui sera en mesure de poursuivre et qui devra annuler son/ses épreuves cette année. Certains sponsors, dont nous dépendons essentiellement, risquent de se désister au vu du contexte économique particulier et le sport, dans le sens large, va certainement en souffrir. La priorité sera au redressement et éviter les drames sociaux tels que fermetures, licenciements… etc. Il sera compréhensible que le « marketing sportif » passe au second plan. Au Moka Rangers, nous avons la chance d’avoir un groupe solide, ENL, à 100% derrière nous.  Je suis assez optimiste pour la suite de la ligue si les contraintes sanitaires le permettent. La course du Moka Bike Park aura probablement à être repoussée au printemps si nous ne pouvons la faire avant la fin du mois de mai car en hiver c’est plus compliqué car la piste est moins praticable.

Au-delà de la chose sportive, à quelles réflexions vous inspirent cette pandémie du Covid-19 ?
Oh là ! Il y a de quoi maintenir en éveil le cerveau plusieurs heures d’affilée. Evidemment, les réflexions sont multiples et sont forcément biaisées par ce que nous entendons, lisons…etc. sur les différents supports médias et leurs relais.  On peut se poser des questions sur l’humain. Qu’adviendra-t-il des rapports que nous allons entretenir à petite, moyenne et grande échelle ? Et si le virus ne disparait pas avant un an, ou plus ? Les vaccins ne sont pas pour de sitôt on dirait.  Et l’économie ? Elle risque d’en prendre un sacré coup. Combien de personnes vont perdre leur emploi et que cela va-t-il changer sur l’échelle économique ? Politique ? La prolifération du virus dépend essentiellement de mesures prises par les « chefs des nations » mais tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne, alors quid de la relation entre ces pays qui ont des attitudes différentes ? Bref, il y a de quoi avoir de sérieuses insomnies si on y pense vraiment. Et les médias s’en donnent à cœur joie… c’est à qui essaie d’être le plus percutant – il faut bien être vendeur aussi – à coup de « punch lines » annonçant la fin du monde. Qui vivra, saura comme on dit ! Mais pour l’instant, comme lors de chaque crise, nous avons pu voir l’être humain sous son meilleur jour avec des élans de solidarité incroyables mais aussi sous son pire jour avec la frénésie d’achat compulsif, le vol, le vandalisme…

Pensez-vous que le nouveau coronavirus va au moins avoir un effet positif, celui de créer une prise de conscience chez les gens ? Quels pourraient être les effets favorables de ce grand bouleversement que nous vivons tous en ce moment, à votre avis ?
C’est le moins que l’on puisse espérer mais chacun réagit différemment à une claque : certains s’excusent et disent qu’on ne les reprendra plus, certains donnent une autre claque en retour, certains donnent un coup de fusil et certains passent juste leur chemin comme si de rien n'était. Les plus nombreux feront pencher la balance. Je pense que c’est une occasion en or pour se poser des questions essentielles sur notre manière de vivre et à quel point cela impacte « les autres » mais aussi le lieu où nous vivons : la Terre à plus grande échelle. C’est l’occasion de voir ce que nous pouvons faire de mieux et avoir des plans cohérents pour un futur plus « équitable » (économique et social). Certains grands « penseurs » rivalisent d’ingéniosité en prédisant un tel ou un tel effet à court moyen et long termes mais je n’ai nullement cette prétention et me contenterai de constater un effet immédiat dans mon bocal : ma petite fille de 4 ans est la plus heureuse du monde en ce moment. Elle profite de ses parents à fond, qui sont du coup, plus relaxes et ont largement plus de temps et d’énergie à lui consacrer. Elle ne passe pas 1h30 dans les transports tous les jours, en rentrant épuisée et de mauvaise humeur et quand elle voit ses parents il n’est pas déjà presque l’heure d’aller au lit pour se lever à 5h30 le lendemain. Elle fait un peu « d’école » (une heure par jour) et le reste du temps joue, danse, rit, jardine, grimpe, saute, pédale. Elle ne retiendra pas forcément cet épisode « du méchant virus » mais cela aura un impact à long terme sur sa personnalité, j’en suis sûr !

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