Publicité

Retour sur une semaine de lutte citoyenne

13 août 2020, 12:42

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Retour sur une semaine de lutte citoyenne

Sur le front de mer de Mahébourg, l’odeur des hydrocarbures, portée par les alizés du sud-est, a remplacé l’air marin. Heureusement qu’on porte des masques, Covid-19 oblige !

On n’y voit plus des pêcheurs qui rangent leurs filets, casiers et pirogues, en papotant joyeusement. Il n’y a plus de «banians» qui se battent pour les plus belles prises. À leur place, des milliers de citoyens, venus des quatre coins de l’île, le visage crispé, se démènent pour confectionner des kilomètres de «boudins» (qu’on désigne aussi comme ‘booms’, le terme en anglais) rembourrés de paille et de bouteilles en plastique. Ces «boudins» sont devenus de véritables bouées de sauvetage face à la marée noire qui s’échappe du MV Wakashio et qui se mélange aux eaux turquoise de ce coin paradisiaque de Maurice. La carte postale est souillée.

Depuis que le Premier ministre Pravind Jugnauth a lancé, le 6 août, un SOS à la communauté internationale, les citoyens ont compris qu’il n’y a plus un instant à perdre, que le compte à rebours a commencé. L’élan est spontané. Les consignes des autorités de se tenir à distance sont largement ignorées. Le peuple, connecté aux réseaux sociaux qui s’enflamment, prend les choses en main. «Rien n’avait été fait depuis 12 jours. De jeudi à vendredi dernier, nous avons passé une nuit blanche pour fabriquer un prototype de bouée pour contenir les huiles lourdes. On a utilisé un tissu de construction, de la paille de canne et des bouteilles en plastique. Ce sont des matériaux simples qui peuvent être accessibles facilement à l’ensemble des Mauriciens. On a testé le prototype vendredi matin vers 5 heures. Les autorités nous ont alors demandé d’en déployer davantage car l’huile se répandait. On a ensuite lancé un appel à l’ensemble des citoyens pour unir nos forces et continuer sur ce que nous avons déjà commencé. L’île Maurice se construit dans ces moments douloureux et dans le combat pour protéger notre patrimoine», confie David Sauvage, activiste écologique et membre du groupe Resistanz ek Alternativ, un chapeau vissé sur la tête.

Natty Gong, David Sauvage, Jay Hurlall, Jeevesh Augnoo.

Le 25 juillet, peu avant 19 h 30, quand le monstre en acier vient s’imbriquer lourdement dans la frêle barrière de corail de Pointe-d’Esny, c’est le choc. Personne ne l’avait vu venir : aucun radar, aucune autorité, aucune police. Tout le monde pensait que tout était sous contrôle, du moins ce que se ressassaient les autorités sur l’unique télévision nationale, la Mauritius Broadcasting Corporation. Jay Hurlall, pêcheur connu de Mahébourg, est parmi les premiers qui se sont rendus sur place lorsque le MV Wakashio s’est échoué. Dès le départ, il a demandé aux autorités de faire éloigner le vraquier du rivage : «Avant que l’huile ne commence à se déverser, je voyais des traces de fioul à proximité de l’épave mais les autorités me mettaient en garde contre la propagation de Fake News. J’ai alors dû me taire. D’autres pêcheurs et moi-même avons offert notre aide pour mieux nous préparer à un éventuel déversement mais les autorités ont refusé toute aide. Aujourd’hui, nous nous retrouvons dans une situation pénible. Les poissons suffoquent et meurent devant nous. Nous ne savons pas jusqu’à quand l’interdiction de pêcher dans ce lagon sera étendue. Après la période difficile du confinement et la fermeture des frontières, nous voilà encore plus dans la merde…»

Ce ne sont pas que les habitants du Sud qui sont mobilisés. Benoît Giro, aussi connu comme le chanteur Natty Gong, est de ceux qui viennent d’ailleurs pour aider. «C’est une bonne expérience de se retrouver avec tous ces Mauriciens et d’être impliqué aussi comme un seul peuple.» Pourquoi a-t-il ressenti le besoin de participer à cet élan de solidarité ? «C’est notre île, c’est notre patrimoine. Beaucoup de Mauriciens vivent de ces lagons et c’est notre devoir de protéger notre territoire. Je suis un peu frustré vis-à-vis des autorités. Elles auraient pu éviter cette catastrophe si on avait pompé le fioul pendant les premiers jours suivant le naufrage, mais maintenant c’est trop tard. On choisit de s’entraider pour éviter le pire. L’heure n’est pas aux discours mais à l’action.»

Sur l’île-aux-Aigrettes, Vikash Tatayah et sa dynamique équipe de la Mauritius Wildlife Foundation, tentent de sauver les reptiles et les oiseaux endémiques, avec l’aide du parc animalier Casela, qui se trouve, lui, dans l’ouest du pays. D’autres comme Sophia et Sarojini, ne sachant pas comment se rendre utiles, font des sacrifices en se coupant les cheveux. Ces cheveux seront utilisés pour absorber les hydrocarbures. D’autres aussi se rasent la tête pour montrer leur sensibilité écologique, ou leur impuissance face au désastre écologique, ou par sympathie pour les poissons et les coraux qui se meurent…

Jeevesh Augnoo est de ceux qui sont à pied-d’œuvre jour et nuit depuis jeudi dernier. Il encourage simultanément ses nombreux amis sur Facebook afin de faire grossir le mouvement citoyen. Avec succès. «Il y a une coordination qui a lieu sur les réseaux sociaux. Les volontaires arrivent des quatre coins du pays et il y a aussi une participation massive des plongeurs et des pêcheurs de la région. Ces derniers comprennent la situation un peu plus. Ils nous guident en fonction de la marée. En tant qu’habitant, on sent qu’il y a un danger. Pour moi, la vague de marée humaine est plus forte que la marée noire. Il y a beaucoup de frustration, certes, mais il y a cet engagement de la part du public. Il n’y a pas de relâche malgré la fatigue. L’importance est de continuer à chercher les matériaux, confectionner les ‘boudins’ et aider les plongeurs ou pêcheurs qui partent en mer à placer les serpentins flottants.»

Une amélioration est visible, ce qui nous prouve que les efforts ne sont pas vains, alors que la coque du Wakashio ne tient qu’à un fil, et que le pompage du fioul se poursuit…

 

Des volontaires réagissent au commentaire de Zouberr Joomaye

<p>Les volontaires sont coordonnés par le gouvernement sur le terrain.&raquo; Cette déclaration de Zouberr Joomaye, conseiller au bureau du Premier ministre, lundi, concernant les volontaires, n&rsquo;a pas laissé ces derniers indifférents. Indignation, colère, minimisation, les émotions varient pour ces Mauriciens qui, depuis une semaine, sont mobilisés sur le terrain.</p>

<p>David Sauvage, militant écologiste, pense que les propos tenus par le docteur ne sont pas aussi importants. &laquo;Ena pli gro traka ki séki li pé dir la. Ena travay lor térin, la.&raquo; Il est soutenu par Souleyman R, coordinateur des volontaires sur place, qui indique ne pas avoir vu le gouvernement sur le terrain. &laquo;Dépi kat zour nou la, mo pann trouv gouvernma isi mwa. Zot inn vini, pran foto ek fer loss loss parla pou montré figir.&raquo; Il salue les candidats battus, qui ont apporté leur aide aux volontaires et compare la situation à celle du livre &laquo;Animal Farm&raquo; de George Orwell.</p>

<p>Magalie Ratte Allet, habitante de Souillac, venue sur les lieux à 6 heures, mardi, parle d&rsquo;incohérence concernant les propos du Dr Joomaye. &laquo;Pann trouv okenn dimounn gouvernma isi an tou ka.&raquo;.</p>

<p>Quant à Michael Chiffone, de Rezistans ek Alternativ, il pense que l&rsquo;heure n&rsquo;est pas à attribuer une quelconque gloire ou mérite mais de s&rsquo;entraider avant qu&rsquo;il ne soit trop tard. &laquo;Dépi ki nou la pann trouv bann kordinater-la, ein. Nou pé travay pou anpess lépir arivé.&raquo; Ce dernier, qui craint que le bateau ne se brise définitivement en deux, salue les volontaires et indique qu&rsquo;il y a encore du travail à abattre.</p>

 

 

«On ne pourra pas consommer le poisson de la région pendant plusieurs années»

<p>C&rsquo;est le constat fait par Sébastien Sauvage de l&rsquo;ONG Eco-Sud, lors de la conférence de presse tenue hier à Blue-Bay. Pour l&rsquo;activiste écologiste, la vie marine, les mangroves, les rivières et surtout au moins quatre <em>&laquo;zones sensibles&raquo;</em> ont été affectées. Il faudra, selon lui, dépenser des milliards de roupies pour réhabiliter ces sites. Il rappelle que l&rsquo;élan citoyen dès le début de la fuite du fioul du Wakashio a provoqué le déclic auprès des autorités pour qu&rsquo;elles entrent en jeu. <em>&laquo;Maintenant que l&rsquo;État s&rsquo;est engagé à procéder au nettoyage&raquo;, </em>dit Sébastien Sauvage, <em>&laquo;laissons-le faire&raquo;.</em> Il indique aussi que la présence d&rsquo;Eco-Sud au sein du comité technique récemment mis sur pied vise à informer le public. À ce propos, il demande au gouvernement de communiquer en ligne et en temps réel sur la situation du navire et de la pollution <em>&laquo;car il y a trop de rumeurs&raquo;.</em> Il regrette que toutes les autorités concernées ne soient pas représentées à ce comité <em>&laquo;car nous avons des questions à leur poser au sujet de la santé des riverains et des volontaires, par exemple&raquo;. </em>Concernant le <em>Wakashio</em>, le porte-parole d&rsquo;Eco-Sud affirme que le navire continue à se fissurer et que des barrages sont actuellement installés autour de l&rsquo;épave avec l&rsquo;aide des spécialistes étrangers.</p>

 

 

 

Publicité