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Marc Robert: «Le capitaine a la responsabilité de ne pas mettre son navire et son équipage en danger»
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Marc Robert: «Le capitaine a la responsabilité de ne pas mettre son navire et son équipage en danger»
Ayant navigué pendant plus de 30 ans et commandé des pétroliers et vraquiers comme le Wakashio, Marc Robert travaille pour une compagnie belge spécialisée dans le transport de carburant propre comme le LPG. Il commente les théories avancées sur l’échouement du navire japonais…
Selon des informations non vérifiées, le «Wakashio» se serait approché de Maurice pour capter l’Internet. Est-ce une pratique courante ?
Permettez-moi d’abord de rectifier la question. On ne s’approche pas d’un pays pour profiter de l’Internet mais pour utiliser le pays comme relais pour correspondre avec sa famille ou autres par téléphonie mobile. Oui, cette pratique existe. Car, à part les paquebots de croisière ou navires militaires qui accordent la connexion Internet à leurs passagers et leur personnel, cela reste assez coûteux. Elle est, par conséquent, utilisée de façon limitée sur certains navires marchands.
Donc, le navire pourrait s’être approché de Maurice pour la connexion mobile. Mais encore ?
Normalement, quand on veut utiliser la téléphonie mobile, on longe la côte à une distance respectable de 5 kilomètres ou plus et non pour rentrer dedans directement. Car le navire semble s’être dirigé vers votre pays perpendiculairement. Et même s’il voulait avoir la connexion de téléphonie mobile, le capitaine a la responsabilité de ne pas mettre son navire et son équipage en danger.
Mais n’y a-t-il personne que ce soit l’armateur, le propriétaire ou les autorités mauriciennes pour suivre la trajectoire d’un navire ?
Tout est accessible par Internet de nos jours. Encore faut-il qu’il y ait quelqu’un devant l’écran des radars pour surveiller. Je ne sais pas ce qui s’est passé à Maurice mais concernant l’armateur, il semble bien que l’on ne se soit pas rendu compte de la déviation de la trajectoire.
Mais s’il y a eu défaillance humaine dans la surveillance, n’y a-t-il pas d’alerte automatique ?
Un système d’alerte est très souvent disponible en cas de déviation de trajectoire. Encore faut-il que le système ait été armé ou n’ait pas été désarmé à un certain moment.
Mais, même si c’est un navire relativement vieux, il a quand même un système de pilotage automatique ?
Oui, tous les navires marchands disposent d’un pilotage automatique. Il peut y avoir un lien entre l’automatisation omniprésente à bord et le niveau de compétence des officiers qui tend à diminuer, ou en tout cas qui peut poser des problèmes lorsque l’automatisation devient défaillante. De nos jours, l’intervention humaine est minimale et l’esprit critique par rapport à une situation donnée a tendance à diminuer. C’est un problème mondial, et pas seulement dans le cadre maritime. Ceci étant dit, il ne faut pas croire que le personnel indien ou philippin est moins compétent. Il est juste moins cher qu’un équipage européen.
Il y a une autre théorie selon laquelle on aurait organisé volontairement le naufrage pour toucher la prime d’assurance en ces temps de difficultés financières dues au Covid-19. Y croyez-vous ?
Je ne crois pas que les assureurs soient aussi bêtes. De toute façon, ils peuvent retrouver toute la trajectoire du navire a posteriori. Alors, drosser un navire en prétextant un accident serait difficile à faire avaler. Je ne pense pas d’autre part que le personnel pourrait parler de panne de moteur puisque le Wakashio fonçait à 11 noeuds sur les récifs.
Si le capitaine s’est rendu compte qu’il se dirigeait droit sur la côte, aurait-il pu jeter l’ancre ?
Idéalement on jette l’ancre par 30 ou 40 mètres de fond pour un tel navire, mais on peut déjà jeter l’ancre par 50 ou 70 mètres de fond, si nécessaire. En haute mer cela ne sert à rien. De toute façon, à cette vitesse et avec le poids du navire, l’ancre jetée aurait dérapé sans immobiliser le navire.
Une défaillance technique dans le pilotage automatique alors ?
Avoir une défaillance technique et ne pas s’en rendre compte sur une telle distance est incroyable et peu crédible.
Le «Wakashio» transportait environ 4 000 tonnes de fioul comme carburant. Est-ce normal ?
Encore une fois, en raison du contrôle des coûts, on saisit les meilleures opportunités financières pour prendre du carburant et on se ravitaillera là où le fioul est bon marché en prévision des prochains voyages. Il faut savoir qu’un navire comme le Wakashio consomme entre 35 et 40 tonnes de fioul par jour. Typiquement, un trajet Chine-Brésil en passant par l’Afrique du Sud prend environ 45 jours. Il aura donc probablement fait le plein à Singapour pour l’aller-retour.
Vu que vous avez exclu a priori les possibilités d’erreur humaine ou de problème mécanique et électronique, avez-vous une idée de la cause de ce naufrage ?
Cela reste un vrai mystère à mes yeux et chacun y va de sa théorie… J’en ai déjà entendu quelques-unes qui sont toutes possibles. Une chose est certaine : une défaillance est peu probable, vu le manque de réactivité de l’équipage pour éviter l’accident. Cela pousse beaucoup de gens à penser à un acte volontaire, pour lequel il n’y a pas (ou très peu) d’explications. Une des dernières suppositions dont j’ai entendu parler pourrait être liée aux restrictions d’enrôlement et de dérôlement des membres d’équipage en raison du coronavirus. Normalement, le personnel rentre chez lui après quatre à six mois. Vu la fermeture des frontières, il n’est pas impossible que les ports où le navire faisait escale aient refusé des changements d’équipage. Si le personnel navigant devait rentrer en février, ils seraient restés en mer pendant près d’un an. C’est la déprime à bord pour ne pas dire la folie ! La seule façon de rentrer ou de poser pieds sur terre serait d’échouer le navire. Je répète : ce n’est qu’une supposition car, même avec mes 30 années d’expérience, je n’arrive pas à expliquer ce naufrage.
Un acte de désespoir commis d’un commun accord ou par sabotage individuel ?
Seule l’enquête nous le dira.
Maintenant que le mal est fait, pourra-t-on dégager le navire du récif ?
Si le navire se casse en deux, peut-être que la partie avant restera à flot et pourra être remorquée. Mais j’ai de gros doutes quant à la partie restée sur les récifs, qui pèse des milliers de tonnes et qui repose sur le fond. C’est peine perdue même avec le remorqueur le plus puissant.
La pollution aurait-elle pu être évitée, selon vous ?
Comme dans tous les cas similaires, le plus grand ennemi est le temps passé à tergiverser. En agissant vite et bien et avec des moyens considérables mis en oeuvre, on peut pour le moins atténuer les effets de la pollution. À chaque jour qui passe, plusieurs centaines de tonnes de fioul sont probablement déversées dans la mer. Le navire est échoué depuis une quinzaine de jours déjà et a causé des dommages majeurs au récif corallien.
Est-il normal qu’un vraquier navigue à vide et embarque du cargo seulement sur le trajet retour ?
Oui, c’est assez courant. La Chine est demandeuse de minerais provenant du Brésil.
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