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Pour s’occuper de son fils autiste et faire vivre les siens: Bruno Limbiraza est contraint de cumuler trois boulots

6 septembre 2020, 13:00

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Pour s’occuper de son fils autiste et faire vivre les siens: Bruno Limbiraza est contraint de cumuler trois boulots

Cet homme bien bâti de 47 ans, originaire de Madagascar, et vivant à Maurice depuis 1998, s’est laissé aller à pleurer deux fois au cours de son existence. La première, c’était lorsque le médecin lui a annoncé que son fils, en bas âge, souffrait d’un handicap appelé autisme, avant de lui expliquer de quoi il en retournait. «Mo enn zom wi, mé ler ou réalizé ki ou zanfan diféran dé lézot ek zamé sa pou sanzé, mo larm inn koulé. Ki pou fer? Ou bizin aksepté. Ou pa kapav al kont Bondié mais toujours ou sagrin», raconte-t-il.

La deuxième fois, c’était lundi dernier. «Pou enn zom ploré, li pa fasil. Ler mo maziné ki mo finn met mo garson lopital Brown-Séquard, mo sagrin. Mé mo pa ti éna swa», répète Bruno Limbiraza, presque au bout du rouleau. À la Cité NHDC de Tamarin, où vivent les Limbiraza et leurs trois enfants, il est connu comme «Bruno rasta». Son physique bien charpenté, il le doit au football, même s’il est détenteur d’un diplôme d’arabe, langue qu’il a étudiée en Égypte et qu’il voulait, dans un premier temps, enseigner.

Il était un si bon joueur de football dans la Grande île que son compatriote Bruno Randrianarivony l’a conseillé de jouer en professionnel. Il a pu signer avec un club mauricien et venir s’installer à Maurice. Il a d’abord évolué dans l’équipe de St-Benoît, puis dans celle de Black-River, avant de passer dans l’équipe de Rivière-du-Rempart puis dans celle de Pamplemousses. Une vilaine blessure a mis fin à sa carrière.

Lorsqu’on lui fait remarquer qu’il maîtrise bien le kréol, Bruno Limbiraza réplique que «ler ou pé rod 35, ou bizin débrouyé. Sinon kouma pou fer sa». La «35» qui a conquis son cœur est Virginie, qu’il a épousée en 2002 et qui lui a donné trois enfants, Yrena, 15 ans, Nolan, 13 ans, et Melky, six ans. Lorsque Nolan naît, il pèse 3,5 kg et semble un bébé comme les autres. Virginie travaille comme employée de maison et Bruno Limbiraza a pris de l’emploi comme vigile. Depuis plusieurs années, il est chez Transinvest Construction Ltd.

Nolan fréquente une garderie à Tamarin, mais est régulièrement malade au point où il faut l’hospitaliser souvent. L’enfant développe une phobie des médecins et des infirmiers. Lorsqu’il entre en garderie, la responsable, qui a flairé quelque chose, conseille à ses parents de l’emmener chez un spécialiste. C’est en y allant qu’ils apprennent la vérité sur l’état de santé de leur fils.

De temps à autre, Nolan a une petite crise et pince ses parents mais c’est sans conséquence. Il traverse l’étape de la maternelle sans heurts. Il est très attaché à la responsable, Elsie, qui, selon Bruno Limbiraza, «ti kontan mo garson plis ki mo kontan mo garson». Pour des raisons de santé, toutefois, la responsable est obligée de fermer la garderie et recommande aux parents de Nolan de le faire admettre dans une école spécialisée dans la région et qui s’occupe de différents handicaps, à savoir Rêve et Espoir.

La direction de cet établissement trouve un parrain pour Nolan et il y est admis. Les années passent et Nolan grandit. Les coups de tête, les coups tout court et les morsures remplacent les pincements, mais la situation reste gérable pour ses parents et éducateurs. Sauf que depuis janvier, Nolan est devenu agressif. Lorsqu’il a une crise, il frappe et détruit tout sur son passage. Un état sans doute exacerbé par la puberté. Si bien que l’institution qu’il fréquente ne veut plus le garder.

Nolan est certes un patient de l’hôpital Brown-Séquard, où on lui donne des médicaments, mais son état ne s’améliore pas. Par contre, son poids a doublé, passant de 60 à 80 kg et son appétit a décuplé. Le quotidien finit par devenir invivable pour la famille Limbiraza. Nolan entre dans des rages folles et frappe ses proches. Un jour, il a même empoigné sa petite sœur et l’a projetée sur le sofa. Même si la gamine n’a rien, ses parents sont conscients qu’elle aurait pu avoir été sérieusement blessée.

Nolan brise table, chaises, téléviseur. Mardi, lorsque nous allons à la rencontre de Bruno Limbiraza, il n’y a plus d’électricité dans la maison car ce matin-là, il a arraché tous les fils électriques. Les moments d’affection succèdent à l’agressivité. «Li kapav inn fini kraz partou. Apré sa, li vinn may ou ek ser ou. Ou léker fermal ler ou trouv sa. Li pa facile.»

Comme Nolan est imprévisible, Virginie ne peut plus travailler toute la journée. Elle ne le fait que deux heures par jour et passe le reste du temps aux côtés de Nolan. Pour le surveiller, Bruno Limbiraza dort avec son fils, tandis que Virginie couche dans la même chambre que ses filles. Dormir pour son père, c’est beaucoup dire car Nolan ne dort pas plus de trois heures par nuit. Et dès qu’il est réveillé, il va dans les autres pièces de la maison. Son père doit le suivre comme son ombre pour éviter qu’il n’allume le gaz ou ne fasse des bêtises.

Virginie Limbiraza ne pouvant plus travailler comme avant, les revenus du ménage ont diminué. Son mari doit y remédier et, de ce fait, il a pris deux autres emplois. En sus de son emploi chez Transinvest, quand il ne fait pas la nuit, il loue ses bras comme jardinier chez un particulier. Et deux fois la semaine, il entraîne les jeunes au football au club de Riverland. «Mo oblizé fer trwa travay pou mo kapav soigne mo fami. Mo péna swa.»

Sentant que ce rythme de vie déséquilibré physiquement et émotionnellement va finir par l’épuiser et l’user, Bruno Limbiraza a fait une demande pour obtenir un Carer’s Allowance auprès du ministère de la Sécurité sociale. Il a été obligé d’emmener son fils au bureau de Bambous. Ce jour-là, il a eu beau avertir les préposés que Nolan était autiste sévère et incontrôlable, on ne l’a pas pris au sérieux. Jusqu’à ce que l’adolescent, effrayé par ce milieu étranger, fasse une grosse crise. «Dé doktores inn trouv sa ek zot inn dir mwa zot pou ranpli tou bann papié ek anvoy minister sékirité sosial pou nou gagn sa Carer’s Allowance-la. Zot ti dir tou pou OK.»

À sa stupéfaction, à la levée du confinement, il a reçu une lettre du ministère concerné lui signifiant son refus de lui verser cette allocation, pourtant si nécessaire à sa paix d’esprit. «Si mo ti gagn sa alokasion-la, mo ti kapav les enn travay tonbé ek nek gard dé. Mo ti pou mwin fatigé.» Aucune raison ne lui a été avancée pour justifier ce refus. Il lui a été conseillé de faire appel et, pour cela, Bruno Limbiraza aura à se rendre au bureau de la Sécurité sociale à Rose-Hill, sans doute avec Nolan, pour attester de sa bonne foi et tenter de convaincre qu’il a besoin de cette allocation pour pouvoir tenir le coup.

Lundi dernier, Nolan était debout plus tôt que d’habitude, soit à 3 heures du matin. Et, cette fois, il s’en prenait à lui-même, s’arrachant la peau, se griffant et pleurant. «Linn kraz partou. Zamé mo’nn trouv li koumsa. Inn ariv kot pa koné.» Nolan est dans un tel état d’autodestruction que ses parents ont pris, à contrecœur, la décision de le faire admettre à l’hôpital Brown-Séquard. C’est après l’avoir fait que Bruno Limbiraza a pleuré pour la deuxième fois de sa vie.

Mardi matin, l’hôpital appelle la famille et leur demande de retirer leur enfant de l’établissement «parski li pa pé manzé ek pa pé korpéré». Les Limbiraza négocient et déclarent qu’ils feront le va-et-vient pour nourrir Nolan. Et à tour de rôle, Virginie et Bruno Limbiraza tiennent parole, même si cela implique de nombreux va-et-vient par autobus. Nouveau coup de fil de l’hôpital et, cette fois, le médecin leur donne le choix : soit ils reprennent leur enfant, soit on augmente ses doses de médicaments. Ses parents refusent.

«Mo’nn dir non, pa kapav donn li bann fort doz médikaman toulézour. Li pa logik.» Lorsqu’ils rendent visite à leur fils, ils sont choqués de son état. Il est dénudé et tremble de tous ses membres. La chambre dans laquelle il a été placé est sombre et le sol des toilettes est sale. «Zot inn abandonn li net.» Ils décident alors de le ramener à la maison, tout en sachant que ses crises peuvent reprendre à tout moment.

Pour empêcher que son fils insomniaque n’aille tout saccager la nuit, il a installé trois portes métalliques qu’il a eues en cadeau d’amis et de collègues à des entrées stratégiques de sa petite maison, à savoir à l’entrée de la chambre qu’il occupe avec Nolan, à celle de la chambre où dorment sa femme et ses filles et la dernière pour barrer la cuisine. Des portes qui sont cadenassées de nuit.

Mais pour que la famille puisse retrouver une vie plus ou moins normale, l’idéal serait que Bruno Limbiraza puisse construire un étage en béton de 14 pieds par dix pieds et y aménager deux pièces, une chambre pour ses filles, avec porte métallique cadenassée pour la nuit et une autre pareille pour Nolan. L’avantage est que son fils aurait son petit monde à lui alors que cela permettrait à ses parents de dormir sur leurs deux oreilles en sachant que les mouvements de Nolan sont contrôlés de nuit. Ce qui fait défaut aux Limbiraza pour qu’ils mènent à bien ce projet et parviennent à souffler un peu, ce sont les finances.

Lorsqu’on fait remarquer à Bruno Limbiraza qu’il travaille pour une compagnie de construction et qu’il aurait pu aller frapper à la porte de son patron, le Français Bernard Hanauer, qui est connu dans le milieu pour sa gentillesse et son humanité, le Malgache se déclare «géné pou dimandé. Mo pa koné kouma pou dimandé. Mo koz ar M. Hanauer lor zafer travay mé zamé lor zafer personel. Mo pa lé li pansé mo pé abizé parski mo travay pou sa konpani-la. Mo per, mo inpé timid, li génan. Inpé tousala ki mo résenti…»

La providence semble avoir donné un coup de pouce aux Limbiraza. En effet, le patron du Malgache, Bernard Hanauer, a vu un post sur son employé que Géraldine Aliphon, fondatrice et directrice d’Autisme Maurice, avait mis sur Facebook en fin de semaine dernière. Bernard Hanauer a téléphoné à Bruno Limbiraza hier, vendredi matin, et lui a promis son aide. Bruno Limbiriza lui en est d’ailleurs très reconnaissant. Rien que le fait de le savoir est un poids en moins sur les épaules du Malgache et des siens.

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