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Christel Wai Choon: «Les autorités ne cessent de scander des slogans creux mais ne font rien de concret pour la production locale»
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Christel Wai Choon: «Les autorités ne cessent de scander des slogans creux mais ne font rien de concret pour la production locale»

Cette femme entrepreneure, bourrée de talent et d’idées, bosse à cent à l’heure. Répondant à l’appel du gouvernement pour venir lancer une entreprise à Maurice, elle a fait face à tellement de barrières qu’elle a décidé de retourner en France, sa situation financière étant devenue trop critique.
Vous qui avez vécu près de 30 ans en France, pays que vous affectionnez particulièrement, dites-nous ce qui vous a poussée à revenir, en 2016, à Maurice, votre pays natal ?
J’avais entendu à maintes reprises le gouvernement mauricien demander aux membres de la diaspora de venir investir et lancer des entreprises à Maurice. Cependant, le déclic s’est produit quand j’ai vu le rebranding du pays : «Maurice, c’est un plaisir». Moi qui suis dans la communication,j’ai trouvé que ce slogan faisait penser à certains pays connus pour attirer les touristes grâce au plaisir physique facilement accessible. Connaissant Maurice, je me suis dit que cela donnait une image inexacte, voire dégradante, du pays et de ses habitants. Après une longue réflexion,j’ai fait mes valises pour venir sur place et essayer d’apporter ma pierre à l’édifice,nonsans avoir déjà travaillé sur un projet.
Une fois à Maurice, avez-vous pu proposer vos idées et projets ?
Non, et ce n’est pas faute de l’avoir tenté à plusieurs reprises. J’ai essayé en vain de rencontrer les trois ministres du Tourisme qui se sont succédé depuis 2016ainsi que les responsables des autorités concernées. Du côté de la Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA), j’ai bien rencontré un responsable qui m’a promis de revenir vers moi. J’attends toujours depuis 2017.
Est-ce que c’est le contenu de votre projet qui ne les a pas intéressés ?
Je ne peux l’affirmer puisque dans certains cas, je n’ai même pas pu le leur montrer. Et quand j’ai pu le faire, je n’ai obtenu aucune réponse, positive ou négative.
En gros, dites-nous ce que contient votre projet ?
Premièrement, changer l’image de Maurice telle que véhiculée par les logos et slogans choisis. Deuxièmement, je voulais transmettre un message aux touristes, businessmen étrangers,mais également aux Mauriciens vantant et encourageant le vivre-ensemble. «Maurice, c’est un plaisir» fut suivi d’un autre qui est loin d’être meilleur pour ne pas dire pire, avec «SUS ISLAND». Celui-ci véhicule, lui, un message ambigu, qui d’ailleurs a fait les choux gras de la presse et des réseaux sociaux.
De plus, c’est tellement loin de ce qui se fait à Maurice dans le domaine de la soutenabilité.Je dirais qu’aujourd’hui «SUS ISLAND» fait figure de publicité mensongère.Communiquer d’une manière si mauvaise, surtout concernant un point aussi important, risque de créer une réelle déception pour les touristes. Ces derniers, face à la réalité sur place, n’auront plus envie de renouveler leur visite. Une contre-publicité, quoi !
Donc, pas de succès pour votre premier projet de la MTPA ni pour celui du rebranding, qui est en cours par l’Economic Development Board ?
On a été short-listed pour ce dernier. Mais devant les conditions imposées,notre manque de moyens ne nous a pas permis d’aller plus loin. De toute façon, vous savez…
Vous avez aussi fait fabriquer à Maurice ces dodos en peluche que vous comptiez vendre au gouvernement. Avez-vous pu le faire ?
C’est un nouveau venu que j’ai baptisé le Rainbow Nation’s Dodo (Le Dodo de la Nation Arc-en-ciel), qui représente toutes les races et communautés du pays. Il est destiné à imprégner nos enfants dès leur jeune âge du sentiment de vivre-ensemble, surtout à un moment où ce principe est menacé. De plus, le dodo est le symbole même de la protection de la faune et de la flore et plus généralement de l’environnement. Mais,pour le moment,aucun retour des trois ministères concernés que j’ai contactés.
Qu’en est-il des acheteurs privés de ce dodo et de vos autres produits ?
Alors là, c’est incroyable ! J’ai conçu divers slogans, dont celui vantant le vivre-ensemble surde nombreux articles (casual, beachwear, sportswear). J’étais surprise de constater qu’environ 80 % des commerçants veulent tout sauf le Made in Mauritius. Et pourquoi ? Les produits importés des pays parfois plus riches que nous coûtent moins cher ! Là, le gouvernement doit voir ce qui ne tourne pas rond dans le système économique. Est-ce que les produits importés sont subventionnés directement ou indirectement ?
Toujours est-il qu’avec ces produits importés à bas prix, ces commerçants peuvent dégager de plus grandes marges. Car ils revendent les produits importés avec parfois des marges de 100 à 200 %! Mais ne veulent même pas rogner Rs 40 sur leurs bénéfices pour protéger le local. Et moi qui favorise toujours par principe et par patriotisme le produit mauricien (c’est un comble pour une binationale !), j’ai fait face à énormément de refus. Il y a des fois où le commerçant ne regarde même pas la qualité du produit. Le seul fait que le produit soit local ne l’intéresse plus.
Ce qui m’a encore le plus choquée, c’est de voir les soi-disant Craft Markets ne vendre que 30 % de produits locaux quand ce n’est pas zéro. Que voulez-vous, si même le gouvernement n’est pas impliqué à fond pour promouvoir le prodwi dan Moris, alors les citoyens… Je me demande d’ailleurs à quoi servent toutes ces campagnes pour promouvoir la production locale quand les actions concrètes ne suivent pas et que le mauvais exemple vient d’en haut. Savez-vous qu’il y a des milliers de Mauriciens qui sont habiles et peuvent fabriquer des produits artisanaux de qualité ? Mais non, on préfère importer des souvenirs de Maurice fabriqués en Chine, à Madagascar ou ailleurs.
«‘Maurice, c’est un plaisir’» fut suivi d’un autre qui est loin d’être meilleur pour ne pas dire pire, avec ‘SUS ISLAND’.»
À quand un véritable bazar ou centre ne vendant que les produits locaux artisanaux authentiques, et ce, d’une façon permanente ? Même cas de figure pour l’aéroport, où les artisans qui exposent sont triés sur le volet, ce qui, hélas, laisse peu de chance à la plupart d’entre eux… À l’aéroport, dans le duty free,il y a bien quelques petits corners mais c’est juste pour faire croire que le local est favorisé. Une vraie place pour nos produits n’intéressera-t-elle pas les touristes qui n’aiment pas être dupés sur l’origine des marchandises ? Ils veulent du dépaysement et non ce que l’on trouve de partout fabriqué en série. Et ce n’est pas non plus avec ces expos et boutiques éphémères que les producteurs locaux vont vivre car ils mangent 12 mois sur 12.
À part la communication,la photographie, le designing et l’entreprenariat, votre CV indique également que vous écrivez. Et que vous étiez danseuse professionnelle, chanteuse, animatrice, pâtissière, commerciale… Vous avez même travaillé dans le milieu du cinéma en France. Ne sont-ce pas justement ces talents-là que le gouvernement recherche parmi la diaspora ?
Manifestement non. Sauf peut-être pour leurs proches ou alors pour de riches acquéreurs de villas! De mon expérience en tant qu’entrepreneure à Maurice,je peux affirmer qu’il n’y a eu aucune institution pour me soutenir et encore moins les autorités,qui, elles, ne cessent de scander des slogans creux issus de la novlangue (NdlR, langue fictive du peuple vivant en Océania, créée par George Orwell dans son roman d’anticipation «1984») pour épater, mais qui en pratique ne font rien de concret pour la production locale. Et ce ne sont pas ces traités de libreéchange qui vont arranger les choses. Au contraire.
Vous me disiez votre étonnement des débats économiques à Maurice…
Produire localement sert à créer de l’emploi, de la richesse et du savoir-faire au lieu d’importer. Or, ce genre de débat n’existe pas à Maurice, contrairement à la France, qui pourtant est une puissance industrielle et agricole. Les Mauriciens se rendent-ils compte que plus on produit de la valeur ajoutée plus on donne du travail à ces milliers de pauvres ? Les Mauriciens et les politiciens se rendent-ils compte que c’est le chômage et le travail sous-payé qui engendre la délinquance comme le vol, l’oisiveté ou le trafic de drogue, sans parler de la misère et de la maladie ? Personne n’en parle.
Cela m’a étonnée, d’autant plus que les produits que l’on peut fabriquer nous mêmes sont remplacés par l’importation qui ne favorise qu’une poignée de commerçants, alors que la production industrielle ou artisanale crée de l’emploi pour nourrir des familles. Et ainsi éviter de gaspiller de précieuses devises que l’on ne doit réserver que pour importer les produits de base et impossibles à produire à Maurice. Récemment, en France, la pandémie a été l’occasion pour la population et le gouvernement de réaliser le danger de dépendre de l’étranger pour les besoins en masques, en médicaments et même en produits alimentaires.
À Maurice, qui de surcroît est une île, donc encore plus vulnérable à une menace au commerce international qu’il s’agisse d’une épidémie, d’une pandémie, d’une catastrophe naturelle, voire d’une guerre, le gouvernement n’en parle pas, sauf pour dire qu’il faut remplacer la mondialisation par la glocalisation, terme sorti d’un chapeau. Comme si l’importation des pays riverains peut être la solution. Ce sera toujours les pauvres Mauriciens des banlieues qui n’ont pas de diplômes qui ne trouveront pas d’emploi. Et puis, acheter local sert à réduire notre empreinte carbone. Pour une «SUS ISLAND», c’est un devoir.
Pourtant, avec le Covid-19 et le problème pour s’approvisionner de l’étranger, on a entendu les ministres parler de promouvoir la production locale…
Comme vous dites, ce ne furent que des paroles qui sonnent bien aux oreilles. Sauf peut-être un peu dans la production alimentaire.
Après toutes ces déconvenues, vous avez décidé de plier bagage et de retourner en France ?
Exactement, c’est une désillusion totale. Je suis venue à Maurice avec toutes mes économies. D’ailleurs, à mon arrivée, je me suis autofinancée, je n’ai fait appel à l’aide d’aucune banque ou au gouvernement. Par contre, quand les choses se sont corsées, et que j’ai eu besoin de leur soutien, rien. Pour faire court, l’argent appelle l’argent. Si vous n’en avez pas et que vous développez une activité, vous avez du souci à vous faire. Il faut espérer que des gens vous aiment, ou que vous ayez de très bons amis. Je n’ai pas honte de dire qu’aujourd’hui, ma situation financière est des plus critiques. J’en suis réduite à faire du marketing par le bus, dont le service, surtout dans la région rurale, est déplorable… Si depuis toutes ces années, le gouvernement n’est même pas en mesure d’organiser un système de transport efficient, peut-on s’attendre qu’il se penche sur les questions complexes de production et de commerce international ?
Pas de version de la MTPA
<p>Nous avons contacté la MTPA pour avoir sa version sur le dossier présenté par Christel Wai Choon et aussi sur comment elle encourage les projets locaux. Malheureusement, le responsable nous a déclaré qu’il est très pris et le sera toute la journée.</p>
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