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Rodrigues: de l’eau, de l’eau tout autour mais pas une goutte à boire …*

20 mars 2021, 05:27

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Rodrigues: de l’eau, de l’eau tout autour mais pas une goutte à boire …*

Ces derniers jours ont été marqués à Rodrigues par des expressions de frustrations de la population, surtout dans le sud-ouest de l’ile. Nous avons vu des habitants excédés, protestant contre leurs robinets demeurés à sec – certains depuis presque deux mois. Ce manque d’eau chronique, pour l’accomplissement des taches ménagères de base, a fait descendre sur la chaussée les habitants des régions de Cascade Jean Louis, Cité Patate, Grand la Fourche Mangues, Petite Butte, Montagne Cabri et Montagne Goyave. La tension y est montée de plusieurs crans comme l’attestent les nombreux live qui ont animé les réseaux sociaux cette semaine écoulée.

Au-delà des images habituelles de ce type de manifestations, qui nous ramènent à celles d’Ile Michel en 2017, une image nous a interpellé : Celle de cette dame que l’on a vu remplir un seau d’eau de mer «pou ale lav vaisselle…» Oui nous sommes bien en 2021 sur un territoire de la République de Maurice, dont nous assure-t-on Rodrigues est source de fierté... L’ile autonome depuis 18 ans, dispose d’une Assemblée Régionale et d’un Conseil Exécutif élus au suffrage universel, d’un budget conséquent, d’un ministère a part entière et d’une administration pléthorique depuis 1982. Malgré cela, et après 40 ans, des citoyens de la République doivent encore puiser de l’eau de mer pour pouvoir accomplir certaines taches ménagères….

Cette question de l'eau ou plutôt du manque d’eau chronique risque de prendre des allures de véritable tragédie. En tout cas, elle illustre la chronicité de mauvaise gestion et surtout de non-respect caricatural de ce droit fondamental décrété par l’Assemblée Générale des Nations Unies dans sa résolution en date du 28 juin 2010 qui énonce que le droit à une eau salubre et propre «est un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme.»

La résolution appelle les Etats et les organisations internationales à «fournir des ressources financières, à renforcer les capacités et a procéder a des transferts de technologie grâce à l’aide et a la coopération internationale en particulier en faveur des pays en développement,» l’objectif étant d’accroître les efforts «pour fournir de l’eau potable salubre propre accessible et abordable pour tous».

Certes, si l’on se réfère aux montants dépensés entre 2014 et 2019 à Rodrigues dans ce secteur– Le chiffre avoisine le demi milliard de roupies – Les unités de dessalement se taillant la part du lion avec près de Rs 300 millions dépensés et leur gestion représentant environ Rs 20 millions par an. Rs 300 millions ayant été consacrés à la production de l’eau sur la même période de 2014 à 2019 d’après des réponses données suite à des questions posées a l’Assemblée Régionale.

Dans un récent post sur son mur Facebook, le syndicaliste Alain Tolbize a rappelé la posture du Commissaire des Utilités Publiques, dont dépend la Water Unit de Rodrigues, en faveur de l’option tout dessalement pour ne pas avoir à revivre la situation de crise et l’agitation qui ont secoué l’ile en 2017. Or tout semble indiquer que la situation présente apparaitrait comme plus grave qu’il y a 4 ans, alors que la population s’attendait légitimement à «ene gestion delo efficassman ek san gaspillaz». 

Certes le dessalement, quand il fonctionne, aurait été un moyen de palier le déficit chronique en eau par rapport aux besoins qui ne cessent d’augmenter. Toutefois, sur une ile aux ressources limitées, c'est la méthode la plus chère et inefficace qui a été mise en place. Cela sans un plan innovateur de formation technique, d’étude de faisabilité rigoureux et surtout au vu du rendement des stations sans véritable parti pris de formation technique initiale et continue, afin de promouvoir une véritable culture de maintenance. 

Ceci, alors que la population dans son ensemble est sans doute championne du monde du captage d’eau de pluie domestique, l'approche systémique au plan public demeure archaïque. Il suffit de rappeler que la connection et la desserte en eau est facturée Rs 22 par an, que ce soit pour un établissement hôtelier, un restaurant, un immeuble ou une modeste case... Cela ne nous mène pas très loin CQFD.

Il y a donc une impossibilité systémique de pouvoir disposer d’une visibilité au-delà du court terme dans de telles conditions. La résolution d’une telle situation nécessite une approche volontariste sur le moyen long terme, en matière d’investissements, de planification, de mise en oeuvre de grands travaux. Nous parlons ici de l’urgence de la réhabilitation des bassins de rétention d’eau existants, eh oui, il y en a. Il en va de même pour les réservoirs laissés à l’abandon un peu partout sur l’ile faute d’entretien, la réhabilitation des bâtards d’eau dans certaines vallées, l’identification des zones de retenues collinaires et la création de barrages, voire de réservoirs. A cela il convient de rajouter des centres de traitements d’eau, revoir l’ensemble des réservoirs et le raccordement au réseau devant être réhabilité. Pour sur tout cela représente des moyens, de l’assistance technique, de l’expertise et du temps – Lorsque nous prenons connaissance des sommes déboursées sur 5 ans pour le statu quo, il y a matière à opter pour une approche plus volontariste pour assurer à l’avenir une fourniture en eau potable sur demande.  Il y a urgence de briser le cycle et cela demande la compréhension de tout un chacun. Nous sommes à la limite du point de rupture mais il est encore temps. La sècheresse des années 70 a laissé des traces, la population va continuer d’augmenter, ses besoins vont constamment évoluer et se sophistiquer. 

Dans tout cela, et depuis des décennies, a aucun moment un plan directeur sérieux et ambitieux n'a été élaboré dans une perspective durable. Les sources et barrages ont été laissés à l'abandon sans entretien ni gestion. Le captage, le stockage et la distribution sont des plus archaïques. Enfin nous le constatons régulièrement, la quantité d'eau qui part à la mer après chaque averse est catastrophique en termes d’érosion, de détritus qui finissent dans le lagon et de gaspillage de cette eau de pluie si précieuse et qui en ce moment fait gravement défaut, alors que les agriculteurs attendent la sezon, pour les semis 

Dans ce flot d’incertitudes, un spectre se profile et des ombres se précisent : Sans gestion sérieuse et volontariste de l'eau, l'ile s'enfoncera irrémédiablement dans le quart monde...

Jean Marie F. Richard

*Libre adaptation du Ancient Mariner Poeme epique de Samuel Taylor Coleridge

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