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Pharmaceutique: l’industrie locale pas prête à produire des vaccins
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Pharmaceutique: l’industrie locale pas prête à produire des vaccins

La production locale de vaccins contre le Covid-19 a été annoncée dans le Budget 2021/2022. Cette mesure prend de court les opérateurs pharmaceutiques alors que ce secteur fait déjà face à des manquements évoqués dans le dernier rapport de la Competition Commission. L’île est-elle donc outillée pour relever un tel défi ? Comment s’aligner sur les pays africains qui émergent déjà comme centres deproduction ?
Rs 1 Millard : c’est la dotation budgétaire pour la production locale de vaccins anti-Covid-19. Et peu de temps après, l’Economic Development Board (EDB) a lancé un appel à manifestation d’intérêt aux firmes souhaitant intégrer ce nouveau créneau. Y at-il déjà un engouement ? Nous n’avons pu avoir de réponse de l’EDB à ce stade. Cela dit, pour d’autres acteurs de la filière médicale, cette stratégie semble résonner comme un effet d’annonce.
Pour un importateur, le succès d’un tel projet repose sur trois critères : l’expertise en la matière, la disposition d’un bon marché local et la possibilité d’exporter. Or, Maurice devra forcément recourir à des investisseurs étrangers puisqu’elle ne possède pas le savoir-faire en production de vaccins contre le Covid-19. Ceci nécessitera la venue et la contribution d’expatriés, estime-t-il. Paradoxalement, il distingue une restriction du marché local et une dépendance sur la clientèle internationale. «Pour rentabiliser un tel secteur d’activité, la compétitivité s’impose. Maurice devra donc braver de grandes nations déjà bien rodées, dont l’Inde et la Chine», soutient-il.
D’ailleurs, un récent article de Reuters présente l’Afrique du Sud, le Sénégal, le Rwanda et le Nigéria comme de potentiels production hubs. Une concurrence internationale qui pourrait bien tuer ce créneau dans l’œuf. Et l’exportation de vaccins made in Mauritius va requérir d’innombrables certifications de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’Agence européenne des médicaments (AEM), entre autres autorités étrangères, poursuit-il. Pour produire, confirme le Dr Laurent Musango, représentant de l’OMS à Maurice, l’expertise et le transfert de technologie sont impératifs. «Je ne connais pas la spécificité de ces pays africains dans cette filière mais avec une formation intensive et les infrastructures, Maurice serait outillée», déclare-t-il.
Transparence exigée
Pour Deshmuk Kowlessur, Executive Director de la Competition Commission, les compagnies locales sont majoritairement engagées dans l’importation et la distribution de produits pharmaceutiques. «Celles-ci ne produisent pas des médicaments. Il n’y a donc pas de capacité de production à proprement dit», précise-t-il. Rejoignant les propos de l’importateur, il renchérit sur la nécessité d’expertise et les droits de propriété intellectuelle. Toutefois, poursuit-il, ces mesures facilitatrices et l’allocation budgétaire de Rs 1 milliard visent à inciter les entreprises pharmaceutiques à implanter des centres manufacturiers dans l’île.
D’après le responsable de la Competition Commission, à long terme, ces stratégies pourraient attirer des multinationales pharmaceutiques qui considèreront les opportunités d’investissement en recherche. À son avis, la création d’un bon environnement commercial, propice aux investissements, est vitale. Il en va de même pour la transparence exigée dans l’enregistrement des produits pharmaceutiques. Une faille étayée dans le rapport de la Competition Commission publié le 8 juin 2021. «Il est crucial d’adopter des règlements et procédures en toute transparence, comme souligné par notre rapport sur le marché pharmaceutique, afin de promouvoir l’in- vestissement et l’entrée d’un nouveau produit sur le marché local», affirme Deshmuk Kowlessur.
Business de la santé en contexte pandémique
Outre le manque de transparence, l’étude fait état d’autres lacunes, dont les prix onéreux des médicaments. «Peut-être que les autorités doivent considérer ces éléments en détail. Nous faisons un constat à notre niveau. D’autres facteurs entrent en jeu. Les volumes d’achat varient selon les pays. Par exemple, l’Afrique du Sud est productrice de médicaments, contrairement à Maurice. Aussi, le prix initial du fournisseur peut être cher face aux coûts de la logistique, à la distance géographique et à l’évolution des devises étrangères face au Covid-19», indique-t-il.
Pourquoi cette prégnance du business de la santé en pleine pandémie ? D’après Mosadeq Sahebdin, président de la Consumer Advocacy Platform (CAP), «leBig Pharma n’est pas une organisation caritative». «Certains fabricants n’ont pas hésité, avec l’acquiescement de certains importateurs nouvellement convertis dans le big business des pharmaceutiques, à plumer les gouvernements et, par extension, les contribuables. Il est impératif que les consommateurs réalisent cela. Par exemple, refuser la sur-prescription de médicaments par des médecins sous influence des laboratoires, insister sur l’achat de génériques ou de substituts moins chers et faire pression pour le changement du régime d’importation devront être les priorités des consommateurs», insiste-t-il.
Sur cette question, plusieurs organismes militent pour prôner l’ouverture plutôt que l’exclusivité de l’importation, prérogative de certains prestataires, explique le responsable de la Competition Commission. De son côté, l’importateur explique que des stocks de médicaments pour quatre mois sont généralement prévus, ce qui peut prévenir des ruptures majeures en cas de pandémie. Néanmoins, les nouvelles commandes ont accusé un retard de livraison, des ruptures de stocks du laboratoire international, le manque de vols réguliers et le triplement du fret.
Revenant sur le manque de transparence dans la détermination des prix à la production, le président de la CAP s’aligne en faveur d’un regressive mark-up, qui pourrait contrecarrer les prix élevés des médicaments. Sous un tel système, les produits les moins chers seraient alors sujets à une plus grosse marge de profit et vice versa. «Entre le prix à l’arrivée en douane et celui pratiqué en pharmacie, il y a 35 % d’augmentation comme maximum markup. La différence est partagée entre le grossiste et le pharmacien. Sans un tel modèle, un produit à Rs 100 pourrait alors coûter Rs 200, voire plus», précise le responsable de la Competition Commission qui recommande une évaluation de la faisabilité de l’introduction de ce système. Or, Mosadeq Sahebdin craint que cela ne vienne différer la mise en application.
Nouvelle loi sur l’industrie pharmaceutique Pour préconiser plus de transparence, le projet d’informatisation pour enregistrer les médicaments serait un atout, indique Deshmuk Kowlessur. Idem pour la nouvelle loi sur l’industrie pharmaceutique à l’agenda des autorités. Cela dit, d’autres problèmes nécessitent des solutions dont l’over-invoicing, qui peut hausser le prix des médicaments et le potentiel conflit d’intérêt des membres du Pharmacy Board et du Trade and Therapeutic Committee, composés de pharmaciens privés déjà engagés dans le wholesale business. «Ceci insinue que ces derniers peuvent être parties prenantes dans la prise de décisions qui peut impliquer les produits qu’ils représentent et ceux des concurrents», indique le rapport de la Competition Commission. Cette situation nécessite la recomposition de ces comités et de meilleurs règlements de bonne gouvernance, soutient l’importateur.
Déjà confrontée à ces problématiques, comment l’industrie pharmaceutique peutelle se jeter dans l’arène de la production locale de vaccins contre le Covid-19 ? D’autant que l’importateur rebondit sur le long délai pour l’entrée en opération des centres de production. Car si ces derniers se consacrent uniquement à la manufacture des vaccins contre le Covid-19, ils ne feront pas long feu, d’autant que la pandémie sera alors sous contrôle et que la demande risque de s’amenuiser. Sollicités, plusieurs opérateurs pharmaceutiques ne pipent pas mot.
En revanche, Arshad Saroar, pharmacien, affiche son optimisme. «Objectivement, cette mesure ferait progresser Maurice. Nous disposons des capacités et des ressources professionnelles. Bien sûr, nous devrons importer une expertise de qualité pour nous encadrer. Cependant, la structuration d’une industrie pharmaceutique full-fledged et la production de médicaments prendra de 10 à 15 ans.» En dépit du temps nécessaire pour la mise en place de ce nouveau pilier, il faut se préparer dès à présent en prévision de tout autre virus, ajoute-t-il. Cela permettra parallèlement aux pharmaciens de se spécialiser. Pour lui, Maurice doit vraiment se lancer dans la production médicale et fournir les pays africains. Une étude de faisabilité est également indiquée pour déterminer si la production médicale revient à moins cher, comparée à l’importation directe des produits.
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