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Covid et guerre en Ukraine: le ministre Padayachy au pied du mur pour son budget

16 mars 2022, 14:00

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Covid et guerre en Ukraine: le ministre Padayachy au pied du mur pour son budget

Le ministre des Finances avait déjà établi ses projections post-Covid pour le prochain exercice budgétaire. Il s’appuyait sur un début de reprise économique après l’exécution de mesures budgétaires durant deux années d’affilée en pleine crise pandémique. Mais le déclenchement de la guerre en Ukraine est venu le contraindre à revoir son scénario de perspective économique. Plus que jamais, il voit ses prévisions s’éloigner comme ces centaines de milliers d’Ukrainiens fuyant la guerre, forçant le pays à entrer de nouveau dans une longue phase d’incertitude, où l’instabilité économique mondiale se fera sentir d’une manière pérenne.

Renganaden Padayachy n’a décidément pas de chance. Comme les deux derniers exercices budgétaires, ce troisième sera préparé dans un contexte économique difficile, où l’effet économique du Covid dont le pays subit toujours les conséquences, est venu s’ajouter l’impact de la guerre avec, à la clé, un éventuel choc pétrolier et gazier couplé à une envolée des prix des matières premières.

Le ministre des Finances a insisté auprès des opérateurs économiques, réunis le 4 mars, que le facteur guerre devra être considéré objectivement dans le cadre des futures rencontres budgétaires avec les instances patronales. Mais, plus important, dans leurs propositions budgétaires où un devoir de sobriété est réclamé, dans leurs revendications, trop souvent corporatives, où ils se comportent fréquemment comme des lobbyistes, cherchant toujours des avantages fiscaux pour des secteurs qui sont généralement au bord de l’asphyxie.

Or, le gouvernement doit revoir son train de vie, tout comme le privé, qui a bénéficié d’investissements de l’État à travers la Mauritius Investment Corporation (MIC) à hauteur de presque Rs 30 milliards, cela bien souvent pour vivifier des canards boiteux alors que certaines sociétés ont sans gêne osé parallèlement déclarer des dividendes à leurs actionnaires. Or, l’effet du Covid entraînant moins de revenus fiscaux l’année dernière et probablement cette année encore, suivant la morosité latente au niveau de la consommation et un manque à gagner de Rs 100 milliards au pays avec la fermeture des frontières de mars 2020 à septembre 2021, exercera de fortes pressions sur les finances publiques.

«Le gouvernement doit revoir son train de vie, tout comme le privé, qui a bénéficié d’investissements de l’état à travers la MIC à hauteur de presque Rs 30 milliards…»

Quand on sait que le gouvernement a déjà appliqué l’année dernière la nouvelle grille salariale des fonctionnaires recommandée par le PRB au coût de Rs 4,8 milliards annuellement, ce qui creusera le déficit de presque 1 % du PIB, et a promis d’augmenter la pension de vieillesse à Rs 13 500 en juin 2023, il y a de sérieuses questions que le ministre des Finances doit se poser pour équilibrer son prochain Budget national. D’autant plus que le FMI dans un back-to-office report soumis au ministère des Finances, en préambule aux réunions que ses experts projettent d’avoir du 20 avril au 4 mai à Maurice pour préparer l’Article IV, fait état d’un déficit budgétaire filant à 10 % alors qu’il est projeté à 5 % du PIB au terme de l’année fiscale 2021-22..

Sur la corde raide

Renganaden Padayachy avait déjà été critiqué par des spécialistes l’année dernière pour avoir maquillé le chiffre du déficit budgétaire en comptabilisant comme revenus les Rs 60 milliards transférées de la Banque de Maurice au Trésor public en 2020, alors que c’était purement un financement. Ce qui aurait donné la taille réelle du déficit budgétaire d’alors, excluant les Rs 60 milliards, à 19,7 % du PIB (incluant les 5,6 %). Or, la dernière édition de l’Article IV a déjà mis en garde la Banque de Maurice de ne pas venir une nouvelle fois à la rescousse du Trésor public. Estce que celui-ci s’abreuvera une nouvelle fois à la fontaine de la BoM et évitera de présenter un Budget qui ne suscite aucune polémique ?

Le ministre des Finances sait pertinemment bien qu’il marche sur la corde raide et qu’il a déjà, par la voix de son secrétaire financier, invité les agents de supervision des ministères à la responsabilité financière. Pas question de se livrer à des demandes de fonds publics pour des projets de prestige qui ne relèvent pas de la priorité aujourd’hui ou encore des dépenses publiques dans le paiement des heures supplémentaires aux fonctionnaires ou accumuler des surcoûts pour des projets qui n’ont pas été achevés. Face au régime à sec de l’État après avoir cramé la caisse avec le financement des promesses électorales et d’autres largesses, le ministre Padayachy sait que chaque roupie compte. Et qu’il s’agit à la fois pour le privé comme pour le public de se montrer réaliste dans leurs demandes pré-budgétaires face à une période de profondes turbulences sociétales à l’échelle mondiale, avec la crise épidémique hier, et aujourd’hui confronté à une guerre qui définira davantage les contours de ce monde d’après.

En fait, le ministre des Finances doit se rendre à la triste réalité que les secteurs traditionnellement porteurs de croissance, comme le tourisme, les finances et la manufacture, seront de nouveau chahutés par l’effet de la guerre, qui plongera les pays du monde occidental dans un climat d’incertitude, avec des pressions sur l’économie mondiale. Alors même que la consommation, défendue toujours par le ministre comme un vecteur de croissance, entrera dans une phase de contraction après la hausse vertigineuse des prix des denrées de base suivant les fortes pressions inflationnistes.

Si on croyait jusqu’à tout récemment que le tourisme constituerait cette planche de salut pour doper la croissance cette année, avec une projection d’un million d’arrivées pour dorénavant engranger Rs 60 milliards de devises étrangères sous forme de recettes touristiques, tel ne sera malheureusement le cas. Avec une moyenne de 52 000 touristes foulant le sol mauricien par mois depuis le 1er octobre, il est fort à parier que le ministre des Finances sera contraint de revoir ses ambitions de croissance dans ce secteur, encore que le déclenchement de la guerre soit venu maintenant changer complètement la donne. Les hôteliers appréhendent sérieusement cette situation.

Dès lors, les analystes du Trésor public et de l’Economic Development Board devront recalibrer leurs modélisations économétriques sur la base du nouveau contexte économique mondial dicté par l’effet d’entraînement de cette guerre. S’il faudra mettre une croix sur l’estimation budgétaire de 9 % au 30 juin 2022, les différentes projections de croissance pour l’année calendaire 2022, établies par les institutions financières locales et les agences internationales, ont été rendues caduques avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie et l’effet contagieux de cette guerre dans le monde. Sauf celle de la Banque de Maurice qui y a intégré le facteur guerre, soit de 7 % à 8 %. Pour le reste, de l’estimation du ministre à celle du FMI, en passant par MCB Focus et SBM Insights, la fourchette est de 6,6 % à 7 %. Nul besoin d’être expert sortant droit de la LSE pour savoir que le bon sens économique nous dicte que le taux sera largement en deçà de ces projections.

Alors que le ministre Padayachy enclenchera prochainement les consultations pré-budgétaires, il devra revoir sa copie au vu des pressions inflationnistes venant du cours du Brent, du gaz et des matières agricoles. Les conjoncturistes travaillent sur les pires scénarios avec un baril du pétrole à USD 150 dans le pire des cas, avec l’administration Biden pouvant infliger un embargo économique total sur la Russie. Pour le moment, c’est encore une option mais les frémissements se font déjà sentir dans certaines capitales qui dépendent encore du pétrole russe dans une grande mesure.

À Maurice, il faudra attendre le pire avec la STC alignant d’autres hausses, entraînant dans la foulée une flambée de prix. On parle déjà de mesures exceptionnelles dans le prochain Budget pour soulager les économiquement faibles de la société afin d’éviter probablement la réplique d’un «printemps mauricien» en plein été. Si, dans le sillage de la pandémie, on évoquait la nouvelle normalité et le monde d’après, il faudra compter maintenant avec la guerre ukrainienne d’une nouvelle géographie politique, économique, voire géopolitique.

 

 

 

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