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Ahmed Parkar : «Ce qui est grave, c’est que l’investissement privé continue à baisser»

11 avril 2012, 07:46

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Le président du JEC fait un plaidoyer en faveur de l’investissement mauricien qui, dit-il, aidera le pays à traverser la crise. Il estime que les investissements dans les infrastructures portuaires notamment sont insuffisantes.


? La confiance est-elle revenue chez les opérateurs du privé avec la récente baisse du taux d’intérêt ?

Oui, un peu. La baisse du taux d’intérêt est un bon signal, mais on ne peut pas dire qu’il y a une amélioration au niveau du business avec la crise dans la zone euro. La baisse du taux d’intérêt est une partie de la solution aux problèmes des entreprises. C’est vrai qu’aux Etats-Unis, la situation s’améliore. Les exportations vers l’Afrique du Sud augmentent de trois fois. Mais les exportations vers l’Europe ont baissé de 30 % à 40 %. L’Afrique du Sud compense un peu cette baisse, mais cela n’est pas suffisant.

? Pourquoi ?

Car les coûts de production, de l’électricité, de l’huile lourde et de la main-d’oeuvre ont augmenté. Les revenus tant du secteur du textile que de l’hôtellerie ont chuté avec la baisse de la valeur de l’euro et de la livre sterling, et les dettes s’accroissent. Mais ce qui est encore plus grave, c’est l’investissement privé qui continue à baisser. Si on n’arrive pas à investir, c’est la qualité du service qui est affectée. Or, c’est ça qui a fait notre succès, dans le textile, l’hôtellerie et bien d’autres secteurs. Si ces entreprises ne font pas de profits, elles ne vont pas investir. Ce sont les investisseurs mauriciens qui investissent le plus, et qui vont aider le pays à traverser la crise, et ça, c’est la chance que nous avons.

? Donc il reste encore beaucoup à faire au niveau des investissements dans les infrastructures ?

De gros investissements ont été faits dans la modernisation du réseau routier et de l’aéroport, mais tout ça n’est pas suffisant. C’est important pour le port d’avoir un partenaire stratégique afin d’attirer de plus gros navires et de faire de Port-Louis un hub, un centre de transbordement, comme Singapour. Pour cela, il faut encore des investissements dans les infrastructures portuaires. Cela va rendre le port de Port-Louis plus compétitif et améliorer la fréquence de services. L’accès aux marchés est indispensable, tant aérien que maritime. Si on veut minimiser le coût de fret maritime, si on veut exporter des marchandises plus vite à leurs destinations et avoir un accès direct aux marchés et dans les délais dont on a besoin, il faut un partenaire stratégique. Un exemple : nous avons perdu les marchés de tee-shirts des pays du Maghreb, parce que ces produits prenaient trop de temps pour arriver à leurs destinations. Il y a aussi Madagascar qui investit gros dans les infrastructures portuaires, et le port de Port-Louis doit faire attention.

? Des craintes au niveau du climat des affaires persistent donc ?

Des craintes au niveau de la demande à l’étranger et à Maurice. Les activités commerciales locales tournent au ralenti. Les gens ont peur de dépenser, car les économies vers lesquelles on exporte se portent mal. Ils ne savent pas s’ils vont préserver leur emploi.

? Il y a des prévisions plus pessimistes pour le taux de croissance cette année que les 3,6 % estimés par «Statistics Mauritius».

Si on prend les 3,6 % prévus par Statistics Mauritius, même cela n’est guère suffisant pour créer des emplois. Il faut au moins une croissance de 6 %. Il est urgent de créer les conditions nécessaires pour installer plus de confiance dans le camp des opérateurs afin que l’investissement reprenne, pour créer de l’emploi, et surtout pour empêcher des entreprises de fermer leurs portes. Un taux de croissance de 6 % est le minimum qu’on doit avoir pour être confiant que l’économie est en train de bouger.

? Et que proposez-vous ?

La crise économique internationale a déjà commencé à nous affecter énormément. Nous avons un taux de croissance qui a été révisé à la baisse. Les exportations sont affectées, et les compagnies sont endettées. Des actions s’imposent. Il faut une stratégie économique à long terme, pour cinq, dix, quinze et même vingt ans, comme Singapour. Cela permettra aux stakeholders de mieux connaître la vision du gouvernement, d’avoir plus de visibilité de la direction dans laquelle le gouvernement veut aller. Les operateurs pourront mieux planifier leurs investissements. Cela va améliorer le climat des affaires et accroître la confiance. Quand un investisseur vient, c’est qu’il croit dans l’économie du pays. Les relations gouvernement-secteur privé ont permis ces dernières années la création d’un Business Friendly Environment et la Facilitation of Business. Nous continuons les efforts pour améliorer encore les choses afin que Maurice puisse monter en grade.

? Et les autres bénéfices ?

Une stratégie économique à long terme comporte certainement des bénéfices en termes de stabilité économique, de taux de croissance, de créations d’emplois, au lieu de faire du firefighting. Pour avoir un taux de croissance à deux chiffres, il faut une augmentation des investissements et du chiffre d’affaires des compagnies. Un investisseur investit dans le long terme.

? Que voulez-vous dire ?

Il ne faut pas que le gouvernement revienne sur les politiques décidées. Il faut une cohérence dans la politique économique pour avoir la confiance des investisseurs.

? Cela s’applique pour l’investissement dans l’immobilier ?

Dans l’immobilier et dans tous les autres secteurs. Le plan à long terme va porter aussi sur les infrastructures, la gestion des ressources en eau – qu’il faut améliorer –, la nécessité d’avoir une fourniture d’énergie électrique stable, les infrastructures portuaires.

? Vous craignez les risques d’un black-out ?

Pas vraiment, mais il faut minimiser les risques de blackout dans le court terme. Il faut une garantie d’une stabilité de fourniture d’énergie électrique. Il faut que l’investisseur puisse prévoir le coût des services publics, eau, électricité pour les deux ans à venir au moins afin qu’il puisse calculer la rentabilité de ses opérations. Des améliorations tant au niveau de la quantité que de la qualité de la fourniture d’eau et bien d’autres services, et aussi concernant les tarifs. Quand un investisseur vient investir, il regarde le coût des services publics, la tendance des augmentations des tarifs des services publics des dernières années. S’il ne voit pas qu’il y a une stratégie clairement définie, il hésitera à investir.

? Et le délai de mise en oeuvre de cette stratégie ?

Cela est également important. Dans le contexte de crise économique internationale, cette stratégie aura aussi comme objectifs de protéger les ressources, les industries et les entreprises que nous avons déjà.

? Mais le gouvernement a déjà défi ni ses priorités à plusieurs niveaux dans ses budgets ?

Le gouvernement a ses priorités, la lutte contre la pauvreté, faire de Maurice une plateforme pour l’Afrique, faire de Maurice un hub de services financiers, entre autres. Tout cela sera pris en compte dans cette stratégie économique à long terme. Que veut-on ? Une économie basée sur les services comme celle de la Grande-Bretagne, ou alors une économie basée sur la production comme l’Allemagne et le Japon ? La diversification de l’économie doit continuer, c’est sûr, mais on a besoin d’un environnement propice à l’investissement. Car la diversification de l’économie comporte aussi des risques et des coûts.

? Comment évaluez-vous la décision d’«Air Mauritius » de cesser de desservir certaines routes ?

Il faut augmenter la capacité des sièges. Le business de l’hôtellerie en a besoin. Il faut prendre une décision rapidement sur la manière d’augmenter les sièges sans mettre en danger Air Mauritius. Il ne faut pas oublier l’importance d’Air Mauritius dans la conquête de nouveaux marchés. Une compagnie d’aviation nationale soutient les industries et les entreprises locales et aide à développer de nouveaux marchés. On ne peut pas dépendre d’un opérateur international sur ces questions. Pour un opérateur international, c’est la rentabilité qui prime. Il vient quand le temps est bon, et il part ensuite quand le temps est mauvais. Il ne viendra pas s’il fait des pertes. Il faut donc consolider Air Mauritius, et avoir un autre stakeholder qui entre dans les marchés sans affecter Air Mauritius. Il faut voir si on peut ouvrir le marché. Mais il faut aussi trouver la juste mesure. Cela devra être pris en compte dans la stratégie à long terme qu’il faudra avoir.

? Surtout que le gouvernement veut atteindre deux millions de touristes ?

Pour cela, il faut les infrastructures, les marchés. Il faut savoir quel type de touristes on veut attirer et comment on va atteindre le chiffre de deux millions.

? Les turbulences économiques actuelles n’ont-elles pas un effet sur les affaires ?

Le secteur privé a l’habitude de vivre avec ces turbulences. L’important c’est qu’il n’y a pas de changement de trajectoire dans les politiques économiques décidées pour préserver la confiance chez l’investisseur.

? Comment sont les relations du «Joint Economic Council» (JEC) avec le gouvernement ?

Elles sont bonnes même si nous ne sommes pas toujours d’accord sur tous les points. Le gouvernement a ses priorités. Mais nous, nous disons ce dont nous avons besoin pour que le secteur privé fonctionne bien, au niveau du coût des services publics, du taux de change, du taux d’intérêt, de la Business Facilitation et des incentives pour l’investissement, et nous les justifions. La baisse récente du taux d’intérêt a ramené un peu plus de confiance dans le camp des stakeholders. Pour nous, ce qui est important, c’est que les actions sont prises, et à temps.

? Il n’y a plus ces réunions avec le Premier ministre ?

Il est au courant des problèmes que nous avons. Notre interlocuteur principal, c’est le ministre des Finances, et c’est normal. Il y a une bonne interaction entre lui et le secteur privé.

? Le JEC se restructure-t-il ?

A cause de la crise, nous sommes en train de réfléchir sur la manière dont nous pouvons réduire les coûts, notamment au niveau des secrétariats des associations faisant partie du JEC, pour éviter des doublons. Les discussions sont en cours et n’ont pas encore été finalisées.

Propos recueillis par Alain Barbé

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