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Arnaud Carpooran: «C’est logique d’enseigner l’enfant dans la langue qu’il comprend»

2 août 2009, 07:33

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Chargé de cours à l’université de Maurice, le linguiste livre ses réflexions sur la pertinence d’introduire le créole comme médium d’enseignement les écoles.

Pensez-vous que chercher à introduire la langue maternelle dans les institutions et écoles mauriciennes soit juste?

Dans la plupart des pays du monde qui n’ont pas été colonisés, l’enseignement dans une salle de classe s’effectue dans la langue que parle l’enfant. Par contre, dans les pays colonisés, la langue qui est venue se superposer à la langue de l’enfant est celle dans laquelle son instituteur s’exprime. Je trouve logique d’enseigner l’enfant dans la langue qu’il comprend le mieux. Si l’enfant doit apprendre quelque chose d’inconnu dans une langue qu’il ne connaît pas, cela fait deux inconnus. C’est donc plus difficile pour lui.

Mais il semblerait que ce n’est que maintenant que tout le monde se rend compte de l’importance de lui enseigner dans sa langue maternelle…

C’est normal. Car c’est la colonisation qui impose des langues autres que la langue maternelle. Il faut beaucoup de temps, quand un pays devient indépendant, pour que la langue, qui a été écartée pendant longtemps, retrouve sa place dans l’institutionnel et le système. C’est plus compliqué quand il s’agit d’une langue non-écrite, comme dans le cas du créole.

Il faut laisser à cette langue le temps de s’équiper et de se développer à la fois, en termes de vocabulaire et de grammaire. Elle doit s’enrichir de nouvelles tournures grammaticales et, particulièrement, de variété sociale et de registre formel ou informel.

Depuis ces dernières 10 à 15 années, il y a eu une accélération dans le processus de normalisation du créole mauricien. Cette progression est due à des facteurs tels que l’échec scolaire chronique dans certains milieux et des groupes d’âge précis, ainsi que le développement des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). Un autre facteur est la perception de la population, elle-même. Aujourd’hui, les Mauriciens sont moins complexés et sont beaucoup plus ouverts sur le monde extérieur. Une des conséquences de la mondialisation est la valorisation de ce qui définit un pays sur le plan local. Les Mauriciens sont plus ouverts au créole, mais bien sûr, certains auront toujours des craintes et des réticences.

L’emploi du créole n’est pas nécessaire qu’au niveau de l’enseignement… Peut-être qu’il faudrait également considérer l’aspect légal. Votre avis.

«Nul n’est censé ignorer la loi». C’est un principe juridique fondamental. Or, pour qu’il soit efficace dans son application, encore faut-il que l’Etat se mette à disposition du «judiciable», en rendant la loi compréhensible pour celui-ci.

Mais si le créole retrouve sa place, cela ne risque-t-il pas d’handicaper les Mauriciens au niveau des langues les plus employées dans le monde?

L’un n’empêche pas l’autre. Le cerveau de l’être humain n’est pas un récipient restreint. Il peut assimiler plusieurs langues. Le cerveau est un muscle. Comme un muscle, il prend de l’ampleur au fur et à mesure qu’on l’entraîne. D’ailleurs, l’Homme devient plus intelligent quand son esprit est ouvert.

Le Bureau d’Education catholique (BEC) vient de rendre publique une étude, menée par des experts, sur la nécessité d’introduire le créole dans l’enseignement. Qu’en pensez-vous?

Je pense que le BEC a bien fait de commander une étude par des experts à ce sujet. Maintenant, nous disposons de données empiriques qui nous permettront de construire une pédagogie à partir d’informations solides. Le BEC sait, aujourd’hui, dans quelle direction avancer. Car auparavant, nous n’avons eu droit qu’à des débats, avec de nombreuses spéculations.

Vous avez produit un dictionnaire en créole, n’est-ce pas?

Oui. La production d’un dictionnaire ne constitue qu’une étape dans le processus d’aménagement d’une langue, en vue de son utilisation dans les institutions.

Mais ce processus est sans fin.

Qu’avez-vous donc à dire sur le créole?

Les langues créoles, en général, sont les plus jeunes de l’histoire de l’humanité. Elles sont plus dynamiques, souples, vivantes…  Elles sont actuellement celles qui sont plus à même d’exprimer ce que le monde moderne vit et s’apprête à vivre, étant donné leur relative jeunesse. Les langues mortes ont décrit le monde d’autrefois.
Je dirai que les langues créoles appartiennent au futur. Aussi, le créole mauricien est la seule et unique langue la mieux armée pour exprimer ce qu’il y a de spécifiquement mauricien en nous. Il n’existe pas un Mauricien, digne de ce nom, qui ne comprenne pas le créole.

 

 

 

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