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Ashok Kumar Aubeeluck : «La dette pèsera lourd dans la préparation du budget»

27 octobre 2011, 03:10

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Le management de la dette pèse-t-il lourdement dans la préparation d’un budget ? Peut-être de plus en plus lourdement ?

La gestion de la dette publique peut se voir en fonction des techniques et des objectifs mais aussi des moyens disponibles à court terme ou à long terme. Les transactions de la dette publique en 2009 avaient atteint 12,3 % du revenu national, ce qui donne la dimension de son importance dans la gestion du budget. Les paiements des intérêts sur la dette publique se situent dans la fourchette de 15 % à 22 % durant la période de 2003 à 2009. La dette externe ne représente pas un danger pour le pays et démontre une gestion saine des gouvernements successifs.

Cela dit, on se demande la raison d’être de plusieurs prêts ou de la conversion de la dette interne en des dettes externes. En voulant éviter une spirale inflationniste, c’est fort possible qu’on frise une augmentation du service de la dette en devises étrangères, surtout à un moment où les exportations souffrent. Evidemment, la gestion de la dette publique pèsera lourdement dans la préparation du budget. Cependant, la dette est source de financement du développement et de revenus quand le projet financé par la dette est bien géré. Mais ce n’est pas souvent le cas.

La dette réduit-elle drastiquement la marge de manoeuvre du grand argentier ?

La priorité est à la stabilisation progressive des dépenses de l’Etat. La dette publique aujourd’hui a atteint Rs 175,5 milliards, ce qui représente Rs 135 000 par tête d’habitant. Le montant absolu est astronomique et fait peur à certains observateurs non initiés. Le poids de la dette publique représente 55,9 % du PIB en juin 2011 contre 59,6 % en décembre 2009. De ce fait, cela ne pose pas un problème insurmontable pour la gestion mais n’offre pas un grand champ de manœuvre surtout à la lumière des récents évènements chez les PIGS (NdlR : Portugal, Irlande, Grèce et Espagne).

Pour élargir la marge de manoeuvre, les enveloppes d’aide ou les prêts étrangers sont-ils essentiels ?

Une politique de stabilisation et d’ajustement structurel continue est une condition sine qua non pour créer le climat propice à un développement rapide et durable. Cela éviterait toute dépendance de l’aide étrangère. On a besoin de plus d’opportunités pour une croissance du commerce extérieur que de l’aide. Toute aide est assortie de conditions. De toute façon, Maurice n’est que rarement éligible compte tenu du parcours de développement.

Les lignes de crédits étrangères ont quand même été très utiles...

Dans un contexte défavorable de l’érosion des tarifs préférentiels et de la réduction des quotas de sucre exporté, nous avons bénéficié des enveloppes d’aide comme support financier au budget, ce qui a réduit notre déficit budgétaire. C’est vrai, cela est venu à la rescousse de notre gestion du budget, sinon le déficit aurait été plus lourd. C’est à penser que le sucre bien qu’en nette perte d’importance continue à apporter son lot de support à l’économie.

Et les emprunts de l’Etat, aujourd’hui c’est plus dangereux ?

On ne peut prétendre développer un pays qui n’a pas de ressources naturelles sans contracter de dettes. La récente crise financière et la dette publique des pays tels que la Grèce sont venues compliquer les choses. Plusieurs banques européennes, par exemple, sont dans la tourmente. Elles vont maintenant être plus prudentes et exigeront des garanties plus poussées. Les institutions financières pencheront vers une tendance des «risques averses». Désormais, la nation doit exiger que des prêts doivent être analysés en profondeur et négociés habilement avec beaucoup plus de transparence que jadis.

Concrètement, ça veut dire quoi ?

Le plus important c’est de s’assurer qu’un projet est monté judicieusement et qu’il génère des revenus à un taux interne attrayant. Par exemple, les prêts chinois sont actuellement fort attrayants. Le hic c’est que certains de ces prêts ont comme condition des remboursements partiels en yuan, qui est appelé à s’apprécier dans un avenir proche. Les remboursements de prêts alléchants peuvent finalement peser très lourd. Certains ex-ministres des Finances le savent très bien.

Les salaires de la fonction publique, les pensions, la santé et l’éducation, sont des postes de dépenses fixes et conséquents, et on imagine mal le ministre des Finances couper là-dedans. Comment donc alléger les factures de l’Etat pour financer de nouveaux projets sans creuser la dette ?

C’est vrai, difficile d’y faire des coupes. Cependant, il n’est pas impossible qu’on gèle les recrutements ou qu’on ne remplace pas les postes vacants. Des stratégies similaires ont cours : l’annonce de projets fait miroiter des recrutements. Mais il suffit de prendre du retard dans le déboursement pour retarder le projet et donc pas de recrutement. Du coup, certains officiers du ministère des Finances se vantent d’avoir réduit le déficit budgétaire !

L’augmentation des revenus de l’Etat n’est-elle tributaire que de la taxation ?

Pour être précis non. Car l’économie mauricienne est une économie mixte et l’Etat n’est pas que régulateur. L’Etat est aussi engagé dans la production. Il participe dans la production de services comme la télécommunication (Mauritius Telecom), les finances (SBM, Sicom, Mauritius Housing), le transport (Air Mauritius) ou l’investissement (State Investment Corporation). Il perçoit des revenus lorsque ces entreprises font des profits.

Mais c’est l’impôt qui rapporte le plus...

Tout à fait. Une autre source de revenus est l’aide étrangère mais Maurice a fait un tel progrès au cours de ces trois décennies que cette source de financement s’est amoindrie sensiblement au fil des années. Elle représente à peine 4 % en moyenne. La taxe représente entre 75 % et 79 % des revenus totaux. La taxation devient ainsi la principale source de revenu pour financer les dépenses de l’Etat. De ce fait, l’augmentation des revenus est tributaire de la taxation. Si les dépenses de l’Etat ne cessent d’augmenter, cela impliquerait-t-il une augmentation de la taxe ? Pas nécessairement.

C’est-à-dire ?

La taxe varie directement avec la croissance économique. Un faible taux de croissance résulterait en un manque à gagner conséquent et élargirait le déficit budgétaire. C’est pourquoi il est impératif d’atteindre une croissance dans la fourchette de 6 à 8 %. Un taux de taxation trop élève ne signifie pas nécessairement plus de revenus. Cela pourrait provoquer une réduction du montant total et par ricochet une décélération de la croissance. Une lecture de notre histoire économique ainsi que la théorie économique devrait faire pencher la balance en faveur d’un taux de taxation raisonnable qui n’encouragerait pas l’évasion fiscale et ne détruit guère l’incitation de bosser.

Entretien réalisé par Gilles RIBOUËT
(l’express iD, jeudi 27 octobre)

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