Publicité
Ashok Subron : « Ce sont les travailleurs qui détiennent le vrai pouvoir »
Par
Partager cet article
Ashok Subron : « Ce sont les travailleurs qui détiennent le vrai pouvoir »

Des travailleurs qui font plier les plus puissants, l’oligarchie sucrière et le gouvernement. L’un des artisans de cette victoire, Ashok Subron, explique ce succès par l’unité des travailleurs.
? Avouez-le maintenant que vous avez remporté la victoire : cette lutte contre les sucriers était gagnée d’avance à cause de sa portée politique, n’est-ce pas ?
Quand 98 % des travailleurs votent pour une grève illimitée et ce, malgré un ordre injuste de l’Employment Rights Tribunal (ERT), je crois qu’il est impossible d’aller contre cette rage.
? Cette victoire n’aurait pas été possible sans l’unité des travailleurs de l’industrie. Comment l’avez-vous acquise ?
Les militants de Rezistans ek Alternativ ont contribué, ces dernières années, à une reconstruction du mouvement ouvrier mauricien. Celle-ci est basée sur un point fondamental, la démocratie. Ce sont les travailleurs, à la base, qui décident de la direction de leur combat. Ce sont les travailleurs qui décident s’il faut faire grève ou pas. Aucun accord n’est signé sans l’aval de l’assemblée. Quand le travailleur sait qu’il est respecté, que la décision qu’il va prendre lors d’une assemblée compte, il viendra aux réunions et il sera solidaire.
? Ce sont les travailleurs qui vous ont donné la directive d’ignorer l’ordre du tribunal, qui avait interdit la grève ?
La réaction était immédiate. Ils ont dit : «Nou pou vote ek nou pou fer lagrev la.» (...)
? Comment expliquez-vous cette décision de l’ERT ?
L’ordre de l’ERT est une décision concertée de la classe capitale pour attaquer le droit de grève qui existe sous l’Employment Relations Act. Nous avons été obligés de défi er cet ordre, parce que non seulement les droits des travailleurs de l’industrie sucrière étaient menacés, mais aussi ceux de l’ensemble de la classe des travailleurs. Si on avait respecté cet ordre, cela aurait été un amendement de facto de la loi car la décision de l’ERT aurait créé un précédent.
? «Décision concertée de la classe capitale», dites-vous. Mais, le président de l’ERT ne peut pas faire partie de ce complot ?
Il a droit à son opinion et il l’a exprimé à la veille de son jugement, dans les colonnes de l’express, en disant qu’il faut limiter le droit de grève ! Je fais le lien entre la position de Rashid Hossen et la MSPA parce que eux, voulaient nous forcer à accepter d’abandonner le droit de grève, pour en contrepartie retenir les négociations nationales. C’était donc le droit de grève limitée lui-même qui était sous attaque.
? Vous devrez éventuellement vous rendre à nouveau devant l’ERT, en tant que syndicaliste…
Nous respectons les institutions, mais nous disons que celles-ci doivent être indépendantes des intérêts de classe. Un tribunal doit être impartial, encore plus quand il s’agit de deux parties totalement inégales dans la société capitaliste ! Le tribunal est censé rééquilibrer ce débalancement. Nous sommes en train de parler des plus puissants de ce pays – l’oligarchie sucrière. Et, c’est pour cela que nous appelons tous les travailleurs du pays, de tous les secteurs, à se rassembler le 2 septembre à Port-Louis. D’abord, pour faire passer ce message : never again qu’un tribunal émette une décision ex parte (décision donnée à l’appliquant en l’absence de l’autre partie) dans un conflit industriel de cette nature. Ensuite, pour que les instances judiciaires fassent la balance entre les capitalistes et les travailleurs et qu’elles soient indépendantes. (...) Aussi, il faut dénoncer l’arbitrage privé, qui est en train de ronger la justice mauricienne.
? Vous attendiez-vous au soutien du gouvernement ?
People power. Ce sont tous les travailleurs qui détiennent le vrai pouvoir, parce que ce sont eux qui votent. Nous sommes en train de parler de plus de 700 000 citoyens. Malgré tous les discours sur la mort de l’idéologie, la réalité est que ce sont ceux qui travaillent pour vivre qui ont le pouvoir. Les travailleurs de l’industrie sucrière, en exerçant leur pouvoir, ont forcé les partis politiques et Navin Ramgoolam à s’aligner sur leur combat.
? Cet alignement, justement, est idéologique ou simplement politique ?
Nous avons un gouvernement qui s’aligne avec la philosophie néolibérale que prônent le JEC et la MEF, mais ils réalisent qu’ils ne peuvent pas défendre la politique de Sithanen aux élections, par exemple. Les lois du travail sont le produit du lobby du patronat. Mais les luttes sociales et leurs conséquences influencent aussi la politique. La balance du pouvoir dépend de la balance des forces sociales. Dans une société capitaliste, les capitalistes sont plus puissants que les autres, la plupart du temps. Mais quand les travailleurs construisent leur force, ils peuvent changer cette balance de force. C’est ce changement qui explique le positionnement de différents partis politiques.
? Quid du positionnement du MMM lors de ces négociations ?
D’abord, je voudrais dire que je suis mandaté par les délégués de l’industrie sucrière pour faire part de notre appréciation du positionnement de Nita Deerpalsing par rapport à la décision de l’ERT. Ce soutien est venu à un moment crucial. Le MMM a été égal à lui-même : vacillant. Le MMM n’est pas en mesure de prendre une position catégorique par rapport aux travailleurs. Et ces derniers l’ont noté. Mais ce parti ne réalise pas qu’il est en train de se distancier de la classe ouvrière par son incapacité de prendre position pour elle.
? Quand Nita Deerpalsing a pris position, elle a été prise à partie par Shakeel Mohamed. Ce dernier a changé de position au fil des jours. Comment l’expliquez-vous ?
(Hésitations…) Il était le médiateur et nous avons noté son changement de position. Je crois que les gens au gouvernement n’avaient pas réalisé l’ampleur qu’allaient prendre les choses. Shakeel Mohamed a fait une erreur au début en ne réalisant pas que ce que les patrons demandaient était inacceptable. C’est en cours de route qu’il l’a réalisé.
? Qu’on lui a fait comprendre, vous voulez dire ?
La position de l’Etat était qu’on ne pouvait remettre en question le modèle des relations industrielles, alors que la réforme est en cours.
? C’est la première fois que je vous vois embarrassé par une question !
(Sourire…) Disons que nous étions très remontés contre Shakeel Mohamed. Très remontés. Parce qu’il ne défendait pas une position qui correspondait à l’intérêt des travailleurs. Parce qu’il nous a soumis des papiers avec comme condition l’abandon du droit de grève par les travailleurs. C’est 48 heures après qu’il a changé de position.
? Vous avez dû mettre le couteau sous la gorge de la MSPA pour demander des conditions de travail décentes et humaines pour les travailleurs. Comment est-ce qu’en 2012, on peut encore débattre sur des choses pareilles ?
Cela a toujours été l’attitude de la MSPA. Toutes les améliorations des conditions de travail obtenues l’ont été après de grandes luttes. Le capitaliste et la bourgeoisie mauricienne dans son ensemble sont encore bloqués par ce mindset d’un rapport de forces complètement inégal qui a existé avant l’indépendance. Couplé avec l’arrogance de l’ultralibéralisme. Quand quelqu’un peut venir demander qu’on lui donne un droit absolu pour licencier des gens, que le travailleur n’a le droit de contester que quand il aura été licencié et qu’il est puni parce qu’il conteste son licenciement en n’ayant pas d’allocation, il faudrait que ces gens-là pensent qu’ils sont des êtres supérieurs.
? Au-delà des négociations, comment avez-vous trouvé l’attitude des sucriers ?
(...) Après la lutte de 2010, lorsque nous avons accepté que le ministère réfère un certain nombre de points au National Remuneration Board, personne à la MSPA n’a contesté. Je les mets au défi de dire le contraire. Ils ont attendu un an après la paix industrielle pour aller en Cour, pour contester ce point.
Propos recueillis par Deepa BHOOKHUN
Publicité
Publicité
Les plus récents




