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Ashok Subron : « Depuis 1982, chaque élection devient plus dangereuse

1 janvier 2011, 10:54

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L’homme de l’année 2010 de «l’express» commente les événements qui ont marqué 2010. Une préoccupation s’en dégage : le communalisme dans notre système électoral.


Qu’est- ce qui vous a le plus marqué en 2010 ?

L’événement politique principal était les élections générales, qui étaient, pour moi, un non- event . E lles n’ont pas représenté de changement fondamental, ce qui contraste avec les contestations politique, économique et sociale de ces derniers cinq ans.

Ces élections générales n’ont été qu’un réaménagement effectué par Navin Ramgoolam pour absorber une partie de l’opposition. Dans le cadre de la campagne électorale, il y avait une prétention qu’il allait y avoir des changements de fond par rapport au ministre des Finances.

Nous voyons déjà, qu’en fait, ce n’est que la continuité.

Vous pensiez que les gens allaient voter différemment ?

Je ne m’attendais pas que les gens votent différemment et la faute incombe à l’opposition. D’ailleurs, une moitié de l’opposition a rejoint le gouvernement et l’autre moitié a, jusqu’au dernier moment, négocié avec Navin Ramgoolam. Comment voulez- vous que les gens votent dans ce cas- là ? Les contestations ne se sont pas traduites par une opposition effective.

Que faut- il en conclure sur nos acteurs politiques ?

Qu’il faut absolument un renouvellement.Pas qu’un renouvellement de personnalités, mais un renouvellement d’idées, de programmes, de projets, d’utopie... Il nous faut l’élaboration d’un projet politique alternatif assez simple pour que les gens comprennent et y adhèrent.

Nous l’avons fait en 2010 quand Rezistans ek Alternativ a défi é ce système politique communal lors des élections. Le parti a refusé de se catégoriser en groupes ethniques et cela a eu un écho favorable : 16 % des candidats aux élections en ont fait de même.

Il y a donc une nécessité de voir émerger une force politique alternative non communale et égalitaire.

Mais le système politique actuel bloque ce changement. Malgré tout, je pense que nous avons toutes les raisons d’espérer car l’écho a été très favorable .

Seulement auprès d’une petite tranche de la population.Nous avons une population assez conservatrice. Pensezvous que les gens sont prêts pour cette force alternative ?

Vous savez, grâce aux gens que je côtoie, j’ai compris qu’ils adhéraient parfaitement à notre combat.Le défi est de traduire cette volonté en termes d’élections. Ce qui bloque, c’est justement ce que nous contestons : la communalisation de notre système électoral. Une fois cet élément communal enlevé et une dose de proportionnelle introduite, la porte sera alors ouverte à des forces alternatives non communales.

Ce qui peut aider aussi c’est que les deux grands partis politiques traditionnels sont essouffl és avec des leaders qui ne sont plus de prime jeunesse et des partis qui ne se renouvellent pas...

Oui, dans un certains sens.

Toujours est- il que, quand ils renforcent cette logique communale dans le système électoral, cela n’aide qu’eux.

Les politiciens répondentils à une demande du public ou est- ce qu’ils l’imposent ?

Je crois que nous vivons dans une société dans laquelle il y a différentes formes de conscience. Il y a, certes, une conscience communale mais elle fait partie d’autres consciences. Je ne pense pas que nous pourrons éliminer la conscience communale. Mais s’il y a un système politique qui est là pour perpétuer la mauvaise conscience…

Mauvaise conscience, selon qui ?

Je dis mauvaise conscience parce que la conscience communale est ce qui a apporté la plus grande tragédie dans ce pays : la bagarre raciale. Le processus de l’Indépendance de Maurice a été fait dans le contexte d’une bagarre raciale.

L’élaboration de la Constitution a été faite dans ce contexte- là. Donc un système électoral qui perpétue cela, représente un danger.

Je pense vraiment que la grande majorité de la population n’est pas communale. Notre histoire fait que nous ne le sommes pas dans notre vie de tous les jours, dans nos habitudes, dans notre façon de vivre. Ce n’est que quand il y a une question de pouvoir et d’intérêts économiques ou de privilèges que cela prend de l’ampleur.

Vous dites que la Constitution a été élaborée dans un contexte de bagarre raciale. L’argument pourrait être que cela a très bien marché puisque, depuis, il n’y en a pas eu d’autres...

Non, je crois que c’est une analyse erronée. S’il n’y a pas eu de bagarres raciales, c’est à cause de l’existence d’un mouvement anticommunal.

C’est la force de toute une génération qui est née, qui a grandi dans les années 70 et qui a été tellement affectée par ce qui s’est déroulé, qu’elle s’est dit : plus jamais cela. C’est cela la pertinence historique des années 70 que le MMM a incarnée. C’est cela l’antidote. Mais le venin est toujours là il essaie d’intégrer la société à cause des dynamiques de cette Constitution.

Chaque élection, depuis 1982, depuis cette force qui s’est opposée au communalisme, est rentrée dans la logique de la Constitution. Et chaque élection devient de plus en plus dangereuse. Je vous avoue que j’ai peur quand j’entends des gens parler des élections municipales car il y aura une forme de « bate rende » .

Comment voyez- vous l’avenir des partis politiques traditionnels en 2011 ?

Je crois que nous allons assister à la continuation du déclin du MMM. Cela ne découle pas que du vieillissement de son leader mais de l’abandon des projets de transformation dont le MMM était porteur. Cela ne veut pas dire que le MMM ne sera pas capable d’un sursaut aux élections municipales.

Mais nous nous dirigeons vers le déclin d’un parti qui a représenté le progrès à un moment donné et nous allons avoir un Premier ministre avec des caractéristiques monarchiques qui donne d’ailleurs déjà des signes bien inquiétants.

Quels sont ces signes ?

Par exemple, quand on voit la froideur avec laquelle une employée de la MBC, dirigée par un protégé du Premier ministre, est traitée.

Quand on voit la situation dans les corps parapublics. Je pense que ce travaillisme Ramgoolamien est absolument terrible. Tout le monde doit allégeance totale au parti et au PM. Sinon, on est persécuté.

Vous croyez que Ramgoolam en est conscient ?

En tous cas, dans le cas de la MBC, il a toléré la situation et il doit une explication. On ne peut pas mettre cette dame à la porte comme cela. Tout le monde sait que Dan Callikan est le protégé de Ramgoolam.

Je ne sais pas s’il croit qu’il est en train de diriger la Pravda ou la télévision du parti communiste chinois mais Ramgoolam devra le rappeler à l’ordre parce qu’il ne peut pas traiter des dirigeants syndicaux de cette façon.

Je fais aussi une autocritique du mouvement sur ce même sujet.

Nous n’avons pas pu montrer notre force et je considère cet épisode comme une des plus grandes tragédies du mouvement syndical. Je pense que la situation découle de cette tendance au sein des corps parapublics. Tendance qui affecte aussi les syndicats car ils font face à des conditions très diffi ciles, avec des menaces et des chantages des plus indignes et ignobles. Je crois que le cas de Rehana Ameer expose cette situation.

Y a- t- il eu de bonnes nouvelles en 2010 ?

( Long silence et rires….) Oui, il y en a eu. Sans que je ne ramène tout à ma personne, il y a eu, en 2010, une reprise de la mobilisation chez les travailleurs de l’industrie sucrière. Il y a eu une unité extraordinaire nous parlions de l’anti- communalisme, en voilà bien l’expression ! Je note aussi une certaine prise de conscience des jeunes et un ralliement autour des mouvements sociaux tels que PILS et Chrysalide. Il y a eu un anti- conservatisme assez rare dans une société conservatrice comme Maurice. Avec un début de prise de position d’intellectuels et de journalistes qui sont en opposition au discours du mainstream .

Votre nomination comme le Mauricien de l’année de « l’express » en est la preuve !

( Rires…) Oui et je remercie les journalistes de l’express. J’en profi te pour dédier cette nomination à tous mes camarades de Rezistans ek Alternativ et aux travailleurs de l’industrie sucrière car je ne suis que le véhicule d’un combat. C’est la reconnaissance d’un combat.

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