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Ashok Subron: «Les APE ne sont pas le remède miracle à tous nos problèmes»

15 septembre 2009, 04:15

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Rezistans ek Alternativ a été le premier parti à prendre position contre la signature des Accords de Partenariat Economique (APE).

Son porte-parole et principal animateur, Ashok Subron, revient sur ce dossier et explique la position de son parti.

Rezistans ek Alternativ a toujours tiré la sonnette d’alarme sur les APE. Maintenant que Maurice a signé les premiers accords intérimaires, quelle est votre réaction?

C’est malheureux de voir que des initiatives, qui ont des implications directes sur l’économie et sur notre existence même, n’a pas fait l’objet d’un débat démocratique. C’est, au contraire, un processus qui a été téléguidé par une élite économique et technocratique. Cette élite a justement présenté les APE comme des bénéfices à tirer. Elle a, pour une raison quelconque, fait abstraction du côté face de la pièce. Qui dit accord parle d’accord entre deux partis. Or, l’Etat Mauricien ne parle pas de ce qu’il donne en contrepartie.

L’Alliance sociale avait, et dans son programme gouvernemental et dans son discours programme au Parlement, pris l’engagement devant l’électorat que toutes les discussions concernant les accords économiques passeraient par le Trade Negotiations Forum, qui aurait regroupé tous les acteurs socio-économiques. Mais une fois au pouvoir, l’Alliance sociale est revenue sur sa position et ses initiatives ne prennent en compte que les stricts intérêts des capitalistes qui contrôlent les organes tels que le Joint Economic Council ou encore la Chambre de Commerce et de l’Industrie.

Pourquoi avez-vous choisi de prendre positions contre les APE?

Nous ne sommes pas contre des APE entre les pays de notre région et l’Union Européenne (UE). Notre crainte, c’est que ce ne soit pas des accords de partenariat mais plutôt de accords qui servent uniquement les intérêts d’un petit groupe. Un accord de libre-échange implique une certaine réciprocité dans le fonctionnement et remet en question la souveraineté de Policy space dont l’Etat dispose pour choisir l’orientation de sa politique économique. Un full APE signifie une ouverture sans conditions des portes permettant la pénétration des marchandises mais aussi l’entrée de multinationales géantes de l’Europe dans les secteurs stratégiques tels que dans celui des services essentiels, des utilités publiques et des services sociaux.

Mais notre survie économique dépend largement de notre secteur de l’exportation. Quel mal y a-t-il à s’assurer un accès garanti sur nos marchés les plus porteurs?

Il y a, effectivement, un fort courant qui est en faveur des APE et qui a justifié l’urgence des accords par cette dépendance. Mais, c’est, justement, à cause de notre dépendance qu’on aurait dû faire plus attention et non pas s’empresser de s’enfermer dans un système qui va accentuer cette dépendance. L’UE s’appuie, précisément, sur cette dépendance pour nous forcer à privatiser et à libérer les secteurs stratégiques. Ce sont des questions centrales pour un pays comme Maurice. Et ce qui nous chiffonne, c’est qu’on escamote ces questions. Comment ces points ont-ils été traités pendant les discussions? Nous avons le droit de savoir. L’entrée des géants européens dans notre économie va mettre en danger les petits entrepreneurs locaux et, de ce fait, nos appréhensions sont légitimes. On ne peut pas nous dire: silence l’élite est en train de décider.

Mais n’est-il pas judicieux en cette période de crise économique de consolider son économie avec de tels accords?

Avec cette crise multi-facette qu’ont subi les économies du monde entier– crise alimentaire, crise financière, crise économique et maintenant crise climatique et on peut même parler de crise sanitaire- c’était le moment qu’il ne fallait pas rater pour repenser le modèle économique. Il fallait faire très attention avant de sceller, à travers ces accords, notre avenir économique. Nous devons tirer des leçons des accords de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Avec le temps, nous avons pu constater les effets néfastes que ces accords ont sur les pays du tiers-monde et les pays africains. Le concept même des APE est une conséquence directe des mauvais résultats du nouvel ordre économique, prôné par l’OMC. C’était l’occasion, à mon avis, de nous donner l’espace nécessaire pour une réévaluation de ce modèle de développement qui a prédominé depuis l’indépendance. Les questions fondamentales ont été occultées. Il est essentiel de situer les APE en parallèle à ce qui se passe au niveau de l’OMC, surtout après l’échec des négociations qui ont eu lieu récemment à Hong Kong. Nous avons le sentiment que l’UE est en train de pousser les pays ACP vers un accord de libre-échange et essaye de faire passer des points sur lesquels les pays du tiers monde et de la région africaine font encore de la résistance au niveau de l’OMC. L’UE met la pression en vue d’aller au-delà de l’accord de l''OMC surtout en ce qui concerne les services. Elle essaie, en quelque sorte, d’imposer un OMC-plus, en y incluant le service, l’investissement et le public procurement.


Revenons à vos appréhensions…

Nos appréhensions sont basées sur la rigueur analytique propre à Rezistans ek Alternativ, mais, également, sur des rapports officiels qui, dans certains cas, ont été commandités par l’Etat mauricien, lui-même. Je prendrai, pour exemple, le Capacity Building in Support of Préparation of Economic Partership Agreement, commandité par le ministère de l’Industrie en 2004 à un groupe de consultants de l’Université de Nottingham. Ce rapport très sérieux, qui a été préparé par des professionnels, souligne, entre autres, que les APE provoqueront une contraction de la production au niveau du marché local de 24%. D’autre part, il prévoit aussi une chute de 12% du niveau de l’emploi et affectera principalement le secteur manufacturier et les femmes. Ce même rapport décrit les bénéfices pour le pays, s’il y en a, comme étant «modestse» et avance des estimations de 0.06% du Produit national brut. C’est clair que les APE ne sont pas, comme on les a décrits, le remède miracle à tous nos problèmes et, de ce point de vue, il était important pour Rezistans ek Alternativ de porter le débat sur la place publique.

Aussi il est important de savoir quelle sera l’impact des APE sur l’intégration régionale naissant. Avec la crise que nous avons connue, la coopération régionale est salutaire. Mais que voyons-nous? Un petit groupe de pays, mené par Maurice, s’engage dans des accords de libre-échange avec le plus gros bloc économique. Il faut aussi savoir qu’il y a une clause qui s’appelle le «Most Favoured Nation». Cette clause stipule que si l’Etat décide de donner une faveur quelconque à un pays ami, cette faveur s’appliquera automatiquement à l’UE. Il est inacceptable de nous enlever le droit d’avoir des relations particulières avec ceux que nous choisissons. N’était-il pas important de poser ce genre des questions? Nous sommes conscients que notre point de vue ne plaira pas à l’élite économique et technocratique. Quoiqu’il en soit, ce sujet mérite, tout au moins, un débat démocratique.

 

 

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