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Barbara Smith : «Le système politique mauricien a plutôt bien marché depuis 1968»

5 octobre 2010, 03:59

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Votre époux a grandement contribué à l’élaboration de la Constitution de Maurice. Avez-vous conservé des liens forts avec notre pays et suivez-vous de près la politique mauricienne ?

J’éprouve toujours beaucoup de bonheur et d’émotion quand je viens à Maurice. C’est un pays auquel je suis très attachée et que j’ai souvent eu l’occasion de visiter depuis 1979. Je garde surtout un excellent souvenir de la fois où j’ai été invitée par le gouvernement mauricien pour le dévoilement d’un mémorial dédié à feu mon époux au Sir Seewoosagur Botanical Garden.

Je suis depuis de nombreuses années avec beaucoup d’attention le développement économique de Maurice. J’ai été un témoin privilégié de l’immense progrès que votre pays a réalisé depuis son indépendance. J’essaye aussi de me tenir informée autant que possible de la situation politique à Maurice. Cela fait malheureusement quelques années que les journaux mauriciens ne me parviennent plus. Je me fais cependant un devoir de suivre l’actualité politique mauricienne à travers internet.

Parlons un peu du contexte dans lequel la Constitution de Maurice a vu le jour. Votre époux vous aurait-il relaté quelques anecdotes intéressantes sur les débats autour de son élaboration?

Je ne pus hélas pas assister aux débats car ceux-ci se déroulèrent à huis clos. Mon époux était, quant à lui, tenu au secret et ne pouvait me divulguer ce qui se passait durant les négociations. Je sais toutefois que les pourparlers se déroulèrent de façon très civilisée et respectueuse. Les débats étaient sans doute passionnés car la délégation mauricienne comprenait des personnes ayant des points de vue très différents. Il y avait, par exemple, les indépendantistes et ceux qui prônaient, au contraire, l’intégration au Royaume-Uni. Néanmoins, une fois les séances de travail terminées, à ce que m’a dit Stanley, il régnait une ambiance très conviviale entre tous les participants, fussent-ils Mauriciens ou Britanniques. Mon époux était quelqu’un d’assez réservé mais il n’a pourtant pas tardé à se lier d’amitié avec les membres de la délégation mauricienne dont il appréciait particulièrement le sens de l’humour et le savoir- vivre.

L’on pensait, en Grande-Bretagne, que l’île Maurice irait droit dans le mur après son indépendance. Mon mari était quant à lui d’un tout autre avis, surtout après avoir rencontré pour la première fois la délégation mauricienne. Il me disait souvent qu’il avait eu affaire à des hommes de grande classe, très intelligents et pourvus de qualités humaines exceptionnelles.

Stanley était certain qu’ils parviendraient à faire de l’île Maurice un pays prospère. Le chemin que votre pays a parcouru depuis son indépendance confirme ce qu’il pensait. Je tiens à ajouter que durant les débats sur la Constitution, mon mari agissait en tant que consultant. C’était un technicien en droit constitutionnel très avisé mais il n’a à aucun moment influencé les membres de la délégation mauricienne dans leurs décisions.

En quoi notre Constitution est-elle différente de celle des autres anciennes colonies britanniques ?

La Constitution de Maurice accordait un plus grand pouvoir au gouverneur général que dans la majeure partie des autres anciennes colonies. Il me semble que ces pouvoirs ont par la suite été conférés au président lorsque Maurice a accédé au statut de République en 1992. L’île Maurice n’est également pas pourvue d’une chambre haute comme c’est le cas dans la plupart des anciennes colonies britanniques. C’est sans doute parce qu’un système bicaméral (NdlR : système politique comportant deux assemblées législatives) est beaucoup plus onéreux.

L’un des éléments les plus discutables de la Constitution est le «Best Loser System». Cette formule de discrimination positive a souvent été décriée à cause de son caractère communal. Etes-vous d’avis qu’il faut y renoncer ?

Je crois que l’élaboration du Best Loser System a été suggérée par Sir Veerasamy Ringadoo à un moment où les discussions semblaient mener à une impasse. Je suis d’accord qu’il est difficile, dans un pays avec une telle diversité de races, de cultures et de religions comme Maurice, de compartimenter la population en fonction de l’appartenance ethnique ou religieuse de ceux qui la constituent.

Cependant, ce système, malgré quelques anicroches, a relativement bien marché depuis l’indépendance puisqu’il a permis aux minorités d’être représentées. Maurice est de surcroît un pays où les différentes communautés vivent en paix. Néanmoins, il ne m’appartient pas de dire si les Mauriciens doivent se défaire ou non du Best Loser System.

Certains politiques ont exprimé le souhait de voir l’instauration d’une Deuxième République. Pensez-vous que notre système parlementaire doit être revu et qu’il est nécessaire d’enclencher de profondes réformes constitutionnelles ?

Là encore, je ne peux prendre position. C’est vrai que le modèle westminsterien n’est pas parfait. Il est source de problèmes même en Grande Bretagne. Je trouve, par exemple, que le Parlement britannique comprend trop de députés et qu’il faudrait qu’on se penche enfin sur la rédaction d’une Constitution. Je pense toutefois que le système politique mauricien a plutôt bien marché depuis l’indépendance. Il est aussi indéniable que Maurice est parvenu à une grande prospérité et que votre modèle de démocratie pourrait servir d’exemple à de nombreux pays.

Par ailleurs, il est vrai que nous vivons dans un monde en pleine mutation et qu’il faut peut-être réactualiser certaines choses. Les Mauriciens, s’ils veulent une nouvelle république, doivent tout simplement être pragmatiques et adopter la formule qui convient le mieux au pays.

Interview réalisée par Kenneth BABAJIE
Photo : Ludovic AGATHE

 

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