Publicité
Benjamin Mootoo : «On a demandé pardon pour la Shoah, pourquoi pas pour l’esclavage ?»
Par
Partager cet article
Benjamin Mootoo : «On a demandé pardon pour la Shoah, pourquoi pas pour l’esclavage ?»

L’historien et membre de la Commission Justice et Vérité explique la recommandation de la CJV invitant des institutions à demander pardon pour le traitement atroce infligé aux esclaves. 
? La Commission Justice et Vérité préconise un «official apology» de tous ceux concernés par l’esclavage et l’engagisme, dont l’Eglise catholique. Mais, cela fait quelques années que vous êtes pour une telle démarche de cette institution…
Après être revenu de mes études, où j’avais présenté une thèse sur les pêcheurs de Maurice et de Rodrigues, je suis entré en profondeur dans l’histoire de ces gens qui sont, pour la plupart, des descendants d’esclaves. J’ai vu à quel point ils ont souffert des séquelles de l’esclavage. Et à partir de cette époque, je suis devenu un militant d’un redressement économique, social, culturel…
Quand je parle de pardon, ce n’est pas nouveau. En Australie, l’ancien Premier ministre, Kevin Rudd, avait officiellement demandé pardon à la communauté des aborigènes.
Mais ce n’était pas ma priorité première. Si on regarde un peu le parcours de l’Histoire, on va voir que pour ce qui est des immigrants indiens, il y a eu deux grandes commissions royales : celle de 1872 et celle de 1809. Eux, toutefois, n’étaient pas dans la même situation que les esclaves.
Donc, la Commission vient corriger, après 176 ans, une injustice. Jamais les Britanniques ne se sont intéressés aux descendants d’esclaves.
Ils disent qu’ils ont libéré les esclaves et payé une compensation.
Les esclaves libérés ont eu un parcour s ahurissant, vraiment catastrophique dans l’Histoire. Et plus de 50 % de ces gens-là sont morts dans de grandes épidémies, dans la précarité, dans des conditions d’hygiène déplorables.
? Quel est le but d’une telle démarche ?
Demander pardon, cela a pour but de se réconcilier. Celui qui par sa faute a commis un dommage à autrui doit le réparer. Ça c’est le code pénal qui le dit. Tout tort demande réparation. De plus en plus, nous allons avoir une intelligentsia qui sera de descendance malgache et africaine.
Et elle aura de la rancoeur.
S’il y a un pardon officiel, cela peut faire comprendre que tout ça appartient au passé. Beaucoup de peuples ont commis des atrocités. Le pardon, selon moi, est justifié, approprié à l’heure où on veut tourner la page. Mais cela ne peut pas se faire sans avoir lu cette page. Ce serait aussi réhabiliter. Reconnaître ses torts, c’est déjà bien. L’heure de la grande lessive est arrivée.
Si on a demandé pardon pour la Shoah qui a tué 6,2 millions de juifs, pourquoi ne peut-on pas le faire pour l’esclavage ? Selon l’UNESCO, il y a plus de 80 millions qui sont morts dans les razzias, soit à travers les marchands arabes ou dans les tribus. Personne n’en parle. Surtout lorsqu’on voit comment les choses étaient, le marronnage, le traitement, il faut se réconcilier.
? Vous avez écrit sur l’Histoire de l’Eglise. Quel a été son rôle dans le système esclavagiste?
Si vous regardez le Code noir, il vous dit que les esclaves seront baptisés dans le Christ dans les huit jours suivant leur arrivée. Ce qui veut dire que l’Eglise est partie prenante dans le système. Le Pape lui même donne sa bénédiction pour l’institution de l’esclavage.
Donc l’Eglise, Rome, la Chrétienté sont responsables, mais c’est à une époque où les choses étaient différentes.
Par exemple, si un noir veut se marier à une blanche, le Code noir l’interdisait. Les curés qui célébreront une telle union seront excommuniés et perdront leurs robes. Donc l’Eglise accepte et ne bronche pas.
Il y a eu quelques hommes d’église qui ont refusé. Comme quelqu’un qui s’appelait Las Casas, un Espagnol, qui a milité contre l’esclavage des peuples Inca, Maya et Aztèques. Même le Pape était tombé d’accord que le type amérindien ne se prêtait pas à l’esclavage. Il l’a aboli par décret.
Pourquoi n’a-t-il pas fait de même pour le peuple africain ? La question se pose. Il y a là deux poids deux mesures.
Mais c’était plutôt les écrivains et les penseurs, comme Bernardin de Saint-Pierre, qui se sont élevés contre.
L’Eglise avait même des esclaves. Mais c’est bon marché de le dire ainsi. L’Eglise a toléré le système. Pouvait-elle faire autrement ? La question demeure.
? Ne faut-il pas voir tout cela dans son contexte historique ?
Normalement, il aurait dû y avoir des hommes d’église pour dire non à cette époque là.
Mais ils ont préféré rester dans le système. C’est malheureux, mais c’est comme ça. L’Eglise, c’est l’Eglise : aime ton prochain comme toi-même. C’est écrit dans la Bible. Si vous le mettez en pratique, à partir de là vous devez rejeter l’esclavage. Mais c’était l’époque. Mais même Jésus Christ a défi é son époque.
? Mais pourquoi est ce que là, en 2011, l’Eglise doit demander pardon ?
L’Eglise est un peu dans une position cornélienne.
Une majorité de paroissiens est de descendance africaine, donc d’esclaves. Si elle veut se rapprocher de cette communauté, elle doit le faire.
D’ailleurs, l’Eglise n’est plus celle des blancs et des gens de couleur s. On cède la place au créole dans la liturgie.
L’Eglise se met au diapason, un peu tardivement certes.
C’est symbolique, mais tout de même important.
? La Chambre de commerce et d’industrie (CCI) et la «Mauritius Sugar Producers Association » (MSPA) se sont, pour leur par t, montrées réfractaires à cette recommandation. La CCI dit ne pas comprendre…
Si on connaît bien la période française de l’histoire de Maurice, ce n’était pas l’agriculture la principale occupation. 6 % des terres seulement étaient occupées. 50 % seulement des esclaves étaient affectés aux plantations. Les autres travaillaient dans le port, dans les fortifications et dans le négoce.
Ce sont ces négociants, qui géraient les entrepôts dans le port, qui ont créé la MCCI.
Je vois ça ainsi. Le lien est là.
? Pour la MSPA, c’est plus évident…
Quand les esclaves ont été rejetés du métier agricole, cela a été un tort immense pour eux. A la demande de l’industrie sucrière, les esclaves ont été écartés du métier agricole au profit des immigrants indiens. Pourquoi les avoir remerciés ?
Il aurait pu y avoir un plan de réhabilitation. Les esclaves qui travaillaient dans les usines ne l’ont pas été. Parce qu’ils connaissaient le métier, alors que les immigrants indiens n’avaient pas ce savoir-faire.
Quand on connaît l’histoire de l’esclavage, on voit qu’il n’y avait pas de raison de se défaire des esclaves de plantation. Et c’est le début de la misère pour eux. Je ne donne pas tort uniquement aux sucriers. Mais aussi aux
Anglais qui faisaient leurs caprices. Les blancs ne veulent pas de ces gens-là, alors we are just sorry for them. Les Anglais reprochent aux créoles deux choses : qu’ils ne sont pas anglicans et pas anglophones.
L’immigrant indien est un peu plus anglophone à sa manière.
? La Commission propose que l’Etat fasse appel aux anciens pays colonisateurs pour qu’ils reconnaissent le mal causé et acceptent de payer une compensation au pays pour financer les recommandations. N’est-ce pas utopique ?
Il y a une méthode. Ces pays font partie de l’Union européenne qui aide déjà de nombreux pays, dont Maurice.
Ce qu’ils peuvent faire, c’est de mettre l’accent sur cette catégorie de Mauriciens.
Ces pays peuvent réorienter leurs aides. Mais ce dont ils ont probablement peur, c’est que cela fasse un effet boule de neige ailleurs.
Propos recueillis par Michel CHUI CHUN LAM
 
Publicité
Publicité
Les plus récents




