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Cassam Uteem: «Beaucoup d’institutions ne fonctionnent pas comme il le faut»

11 mars 2009, 13:43

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L’ancien président de la République analyse le parcours réalisé par Maurice alors que nous célébrons la Fête nationale.

Que représente pour vous le 41e anniversaire de l’indépendance de notre pays et le 17e anniversaire de son accession au statut de République?

C''''est un grand moment pour le pays et pour le peuple mauricien. Un moment de joie pour célébrer la liberté et la dignité reconquises, avec une pensée toute spéciale pour ceux et celles qui ont œuvré pour nous les obtenir, certains au prix de nombreux  sacrifices personnels. C''est aussi un moment de réflexions sur le chemin déjà parcouru, sur celui que nous empruntons aujourd''hui et sur les options qui s''offrent à nous pour la construction d''un avenir toujours meilleur, malgré la crise financière globale, malgré la crise alimentaire dans le monde et malgré les dégâts, dans certains cas irréversibles, causés par le réchauffement de notre planète.

Nous avons la chance de vivre dans un pays  démocratique -  le prix Nobel de l’Economie Amartya Sen disait qu’en démocratie les gens ne meurent pas de faim ou de la famine – pays, ou les libertés fondamentales et les droits de l''Homme sont respectés, malgré les quelques tentations totalitaires qui apparaissent de temps en temps mais qui sont vite maitrisées. L''Histoire a fait de notre pays un lieu de rencontres, riche en couleurs et en cultures.

On ne cesse pour autant d’affirmer que le tissu social mauricien est fragile…

En effet, la fragilité du tissu social fait que, du jour au lendemain, l’île peut devenir un enfer si nous ne sommes pas vigilants. Le 12 mars 1968, au moment ou nous devions célébrer avec faste notre accession à l''indépendance, il régnait à Maurice l''Etat d''Urgence, régime exceptionnel caractérisé par la suspension des provisions de la Constitution, notamment celles ayant trait aux libertés fondamentales et aux droits humains. Un couvre-feu était en vigueur à Port Louis de 18 heures à 6 heures, durée pendant laquelle personne n''était autorisé à sortir de son domicile ou à circuler sur les routes. Sauf ceux détenant un permis spécial délivré parcimonieusement et après enquêtes serrées, avec sur notre sol la présence des soldats britanniques appelés d''urgence pour rétablir la paix et maintenir l''ordre et la sécurité.

La cérémonie du drapeau, qui symbolise le passage d''un Etat de colonie à un Etat souverain, eut lieu à Port Louis, au Champ de Mars à midi au lieu de minuit comme se voulait jusque-là la tradition pour les pays, qui libérées du joug colonial, accédaient à l''indépendance.

Un mois plus tôt, au début de février 1968, suite à une altercation sur fond politico-communal qui dégénéra très rapidement en bataille rangée entre clans rivaux, des émeutes éclatèrent dans une banlieue portlouisienne pour se propager très rapidement dans toute la capitale. En moins de 72 heures, on eut à déplorer des dizaines de morts, des centaines de blessés et d''innombrables maisons incendiées. L''exode des familles vers des quartiers plus hospitaliers vit le déplacement de plusieurs dizaines de milliers de personnes, laissant derrière elles mobiliers et autres objets personnels, qu''elles ne devaient jamais récupérer. Un climat de haine s''était installé entre les protagonistes des deux communautés concernées, qui avaient pourtant toujours vécu en bonne entente.

C''est dans une telle ambiance, lourde et pesante, faite de crainte et de méfiance, que se déroula devant une petite foule d''indépendantistes la cérémonie protocolaire quand pour la première fois, notre drapeau quadricolore fut hissé au haut du mat.

31 ans plus tard, presque jour pour jour, en février 1999, le pays accédait au statut de République. Il s''apprêtait à célébrer son 8e anniversaire lorsque survint la mort, mystérieuse et non élucidée jusqu''ici, du grand chanteur seggae Kaya, détenu en cellule policière. Des émeutes devaient éclater dans différentes parties de l''ile mais heureusement que l''escalade de la violence fut de courte durée car on réussit à la stopper à temps. Autrement, le pays aurait vécu un autre épisode de 1968.

Ce bref rappel historique démontre la fragilité du tissu social mais il sert surtout à nous rappeler qu’il faut continuellement identifier les moyens à mettre en œuvre pour éviter les conflits intercommunautaires et les dérives communautaristes.

Vous avez une idée sur les moyens à mettre en œuvre en ce sens?

On doit sans cesse apprendre et réapprendre aux Mauriciens les vertus de la tolérance et du respect mutuel qui caractérisent notre manière de vivre mauricienne. Cette tolérance implique l''ouverture, le dialogue, la connaissance et le respect de l''autre. A Maurice, chacun a toujours pratiqué sa foi librement tout en respectant celle des autres. Chacun a toujours eu droit à son opinion tout en respectant celle des autres. Chacun a toujours été libre de suivre l''enseignement de son choix- public ou  privé- en respectant le choix des autres. Il faut toujours se rappeler que notre liberté s’arrête là où commence celle de notre prochain, notre voisin.

C''est ainsi que nous devons continuer à évoluer en tant que nation qui est notre vouloir vivre-ensemble, comme le disait Ernest Renan, dans le respect réciproque, sans condescendance, sans tentative d''assimilation ou d''exclusion: «Une nation est une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé elle se résume (pourtant) dans le présent par  un fait tangible: le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune.»

Ce désir de vivre ensemble prend appui sur un certain nombre d’éléments. Dont l’existence de modèles, le fonctionnement des institutions, l’identification à des valeurs et pratiques communes… Avez-vous l’impression que nous jouons le jeu à ce niveau?

Il est qu’aujourd’hui, des institutions comme la famille et l’école courent le risque d’être des échecs. J’entends souvent parler de l’égoïsme des jeunes. Jusqu’à un certain point, cela peut être vrai. Mais il ne faut pas généraliser. La question qu’il faut se poser est de savoir pourquoi on en est arrivé là?

J’estime qu’on en soit là parce que, dans la plupart des cas, les principales institutions de notre pays ne fonctionnent pas comme il le faut, ont cessé de jouer leur rôle et n’assument pas leur responsabilité convenablement. Lorsque la famille, l’école, les lieux de culte, le politique et nos dirigeants se dérobent à leur responsabilité, les conséquences sont prévisibles. Et c’est ce que nous témoignons aujourd’hui. La famille ne garantit plus la sécurité, l’affection, l’amour et la protection qu’elle avait coutume d’assurer. Notre système éducatif encourage l’apprentissage machinal et met l’accent sur l’obtention d’un diplôme, ignorant de surcroît le civisme et une éducation basée sur des valeurs. Dans ce processus, nos jeunes deviennent égoïstes et des individus sans âmes. Si les choses ne changent pas, la situation pourrait devenir irréversible.

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