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Daden Venkatasawmy : «La rentabilité financière du métro : une fausse question»

26 août 2010, 04:42

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? On ressort le dossier du métro léger. Pourquoi une telle inaction depuis 20 ans ?

Le problème des transports colle au calendrier politique et c’est cela, entre autres, qui l’enlise.

Pour un projet tel que le métro léger, il faut lancer les travaux dès la première année de mandat sinon il y a de gros risques que les travaux soient encore en cours lors de l’échéance électorale cinq ans après. C’est un mauvais point dans le calcul politique.

L’autre problème tient à la communication. Non seulement on ne dit pas tout sur le sujet mais en plus, on ne consulte pas les citoyens qui tous les jours sont coincés dans les embouteillages.

Il faut se dire que ces citoyens lambda réfléchissent au problème et sont finalement des experts puisqu’ils vivent le calvaire au quotidien. Et de cette consultation pourraient ressortir des idées intéressantes. Seulement, on préfère écouter les lobbies.

? Le lobby des autobus évoque le risque de pertes d’emplois…

Quand on dit que les syndicates des compagnies de transport mettent des bâtons dans les roues, c’est parce que les employeurs agitent le spectre des licenciements.

Or, c’est une vision tronquée et fausse des choses : le mode alternatif choisi sera un complément au réseau existant mais ce dernier devra être repensé.

C’est une chance pour les compagnies de bus de réfléchir à un nouveau service, à un nouveau modèle économique, plus efficace, plus en phase avec la demande et la réalité physique des lieux desservis.

Aujourd’hui, il y a une part non négligeable d’informel dans le secteur des transports. Taxis «marrons» et vann 15 plas donnent un service informel parce qu’une demande existe. Il faut une volonté pour formaliser cela.

Des lignes de minibus sur des circuits plus courts, avec une meilleure desserte des quartiers, plus fréquente, pourraient s’ajouter à un mode alternatif de transport.

Les vans de 15 places ou un peu plus sont mieux adaptés au maillage serré du réseau routier.

La perte d’emploi est un faux problème. Peut-être parce que cela ne sert pas les intérêts immédiats, on privilégie le statu quo.

? Le «Bus Lane» est justement une aubaine pour les compagnies d’autobus. Leur intérêt est qu’on continue dans ce sens…

Le Bus Lane n’a jamais été préconisé par les experts. On apporte une réponse routière à un problème routier. L’accès à Port-Louis peut être comparé à une bouteille. L’entrée de Port- Louis est le goulot et les voies d’accès la bouteille. En ajoutant des Bus Lanes, on ne fait qu’élargir le haut de l’entonnoir, ce qui ne fait qu’encombrer davantage le goulot d’étranglement existant.

Il y a une confusion autour du Bus Lane.

? Laquelle ?

On confond Bus Lane et Bus Rapid Transit (BRT). Le BRT fonctionne sur le principe du métro mais utilise des bus articulés de 120 places. Pour cela, il faut utiliser un tracé spécifique, par exemple les anciens rails, créer des stations spécifiques et spécialement aménagées. Autour de ces stations, il faut prévoir des parkings pour les véhicules privés et des lignes de minibus qui les relient aux autres quartiers.

Avec le BRT ou le métro léger on perce une seconde entrée à Port-Louis. Les personnes arrivent par «billes longues», comme un deuxième goulot dans la bouteille, ce qui ne crée pas d’encombrement particulier.

? L’asphyxie concerne surtout la conurbation Curepipe- Port-Louis. Ne faut-il pas voir plus loin ?

En effet, il faut aller de Mahébourg à Grand-Baie en 15- 18 stations avec une voie mixte pour le transport des passagers et des marchandises. Le port et l’aéroport sont alors directement connectés à de nouvelles zones industrielles, commerciales, résidentielles et logistiques. Par ailleurs, s’arrêter au centre de Port-Louis pénaliserait tous ceux qui travaillent dans les zones industrielles et commerciales du nord de la capitale. Mais je le répète, le mode alternatif de transport rapide doit être accompagné d’une multitude de réseaux plus réduits géographiquement mais plus efficaces.

? Les détracteurs du métro léger mettent en avant le coût du projet, qui en plus ne cesse d’augmenter…

On tergiverse sur le point de rentabilité financière. Dans le monde, seul le système ferroviaire rapide de Hong Kong est rentable. L’Etat ne peut pas perdre de temps sur la question de rentabilité financière car l’investissement est nécessaire. C’est la même chose pour l’investissement consenti pour un hôpital ou une école. Est-ce rentable ?

La question ne se pose pas. Cela dit, il y a une rentabilité économique évidente : une population en bonne santé, éduquée et disposant d’un réseau de transport performant est un atout pour l’économie. Le métro léger fait grincer des dents parce qu’on n’explique pas le projet dans sa globalité. Il faut évoquer les à-côtés : la régénération économique autour de chaque gare est garantie.

Commerces, logements, parking, etc. se greffent sur le projet.

? Comment intégrer l’informel dans la redéfinition du secteur des transports ?

Il faut une réorganisation totale de l’offre de transport. Dans tous les pays en développement à forte croissance économique, la demande en service de transport en commun augmente significativement et s’affine. L’offre ne peut pas suivre immédiatement car il faut un délai pour la mise en place des infrastructures.

Néanmoins, les acteurs informels pourraient d’ores et déjà participer d’une réorganisation.

Il y a un mauvais planning des routes de bus. Les compagnies doivent jouer le jeu. Les bus express devraient s’arrêter moins.

Entre les stations express plus éloignées, il faudrait des lignes de minibus sur des parcours plus courts pour desservir les quartiers et, à chaque fois, une seule station express. Et à côté des stations express, il faut prévoir un parking pour ceux souhaitant laisser leur véhicule pour se rendre à Port-Louis en cinq arrêts depuis Rose-Hill.

L’allocation des lignes express devrait couvrir une durée de cinq ans et les lignes secondaires devraient être allouées à d’autres opérateurs. Tout cela générerait des emplois dans le secteur formel et permettrait de sortir certains de l’informalité.

? Cela demande des investissements et des changements physiques. Voyez-vous des solutions sans travaux à court terme ?

La centralisation des services administratifs et économiques doit être revue. Décentraliser et déconcentrer en déléguant une partie des prérogatives aux collectivités permettrait de réduire l’emprise de Port-Louis. L’aménagement du territoire doit être repensé en parallèle à la redéfinition de la fonction des villes d’autant qu’on crée de nouvelles municipalités. L’accessibilité des services à l’échelle locale réduirait une part du trafic vers la capitale.

Il faut aussi favoriser une déconcentration humaine de la conurbation. D’ailleurs, le projet de décentralisation physique vers Highlands est discutable car il ne fait rien pour sortir du couloir saturé Curepipe-Port-Louis ! On compte 650,000 personnes dans cette conurbation. La pression est énorme sur le réseau routier existant. On constate néanmoins une désurbanisation bien que cela implique le besoin d’une voiture, sauf si en parallèle on étoffe l’offre de transport hors du couloir Curepipe- Port-Louis.

? Est-ce suffisant pour réduire le trafic ?

Il faudrait prendre d’autres mesures dans la foulée. La régionalisation des collèges permettrait aussi de réduire le trafic. Il n’y a qu’à voir la fluidité du trafic durant les vacances scolaires de juillet-août. On éviterait, par la régionalisation, le déplacement de collégiens d’un bout à l’autre de l’île. Cela pourrait se faire par un échelonnage de la mesure en débutant par la Form I.

En outre, les secteurs public et parapuplic pourraient convertir le duty free package pour l’achat d’une voiture afin que l’employé bénéficiaire ne soit pas contraint d’acheter un nouveau véhicule.

Cette mesure de conversion d’une prime en cash permettrait d’éviter que le parc automobile croisse systématiquement. Il faut aussi que le covoiturage se développe.

Ce sont là quelques petites choses qui pourraient, à court terme, réduire sensiblement le trafic.

? Quoi qu’il en soit, on ne pourra faire l’économie de grands travaux. La mise en place du péage convertira- t-elle des automobilistes aux transports en commun ?

Pour le moment, la seule alternative à la voiture ce sont les lignes de bus existantes.

Comment peut-on justifier le paiement d’un péage sur les nouvelles routes en construction alors qu’aucune alternative viable n’est proposée ?

La route Terre-Rouge- Verdun offrira bientôt une alternative à l’obligation de passer par Port-Louis dans un trajet Nord- Sud et inversement. Mais je ne suis pas d’accord de faire payer l’infrastructure publique. C’est à l’Etat de régler cela. Par ailleurs, on ne peut pas faire payer une amende aux voitures ayant un seul passager s’il n’y a pas d’alternative raisonnable ça marche si le transport en commun apporte des alternatives.

 

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