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Dan Maraye : « La valeur actuelle de la roupie n’est pas déraisonnable »
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Dan Maraye : « La valeur actuelle de la roupie n’est pas déraisonnable »

L’ancien gouverneur de la Banque de Maurice donne son avis sur la politique monétaire et dit ses attentes du prochain budget.
 
? La croissance mauricienne est régulièrement révisée à la baisse. La «Bank of Mauritius» a fait part de ses appréhensions vis-à-vis de l’activité économique. Partagez-vous ces inquiétudes ?
Tout à fait. D’autant que ces révisions à la baisse des taux de croissance sont un phénomène mondial. Nous sommes dans une économie globalisée et nous ressentons les répercutions du ralentissement de l’activité dans les pays où nous exportons et d’où viennent nos touristes. Je pense que les deux années qui viennent vont être difficiles.
? Les responsables de la politique monétaire déplorent une baisse de la consommation. Faites-vous le même constat ?
Il est clair que la classe moyenne a été touchée depuis 2008 et on constate une baisse du revenu disponible.
Aujourd’hui, même ceux qui ont de l’argent ont peur de le dépenser. Toutefois, si cette baisse de la consommation touche les produits importés, cela pourrait aider à réduire le déficit commercial.
? Justement, comment peut-on réduire ce déficit commercial récurrent et gigantesque ?
Il faut promouvoir la production locale. Et pour cela, il faut encourager les producteurs à s’engager dans des créneaux viables et sur lesquels on constate une demande. A ce propos, le lancement de la production locale de lait est un bon exemple. On pourrait faire la même chose pour le riz, en développant un partenariat avec Madagascar. Le riz est un produit subventionné à Maurice. Il vaudrait mieux apporter un soutien à un partenaire régional que de subventionner des producteurs plus lointains, en Inde ou au Pakistan.
? Que pensez-vous de la décision de baisser le repo rate de 100 points de base, de 5,75 % à 4,75 % ?
Contrairement à certains, je ne dirais pas que la baisse a été brutale. La banque centrale a donné un signal fort.
Elle a carrément donné au secteur privé ce qu’il demandait. Il faut maintenant utiliser les facilités que procurent cette baisse des taux.
? Plus qu’une baisse des taux, les exportateurs réclament avant tout une dépréciation de la roupie. Qu’en pensez-vous ?
Depuis l’indépendance, les exportations mauriciennes ont vécu sur la dépréciation de la roupie. Cela ne peut plus continuer. Aujourd’hui, il y a une guerre de dépréciation des monnaies dans le monde. Mais si tout le monde déprécie, on se retrouve au point de départ. Dans cette affaire, il y a manifestement un manque de coordination multilatérale et on voit malheureusement chaque pays tirer de son côté. La gestion de cette guerre des monnaies sera d’ailleurs le gros enjeu du prochain G 20, qui se réunit le mois prochain à Séoul.
? Quels sont risques encourus par la roupie dans ce contexte de guerre des monnaies ?
Nous vivons dans une économie ouverte il y aura donc des répercussions. Les pays développés estiment que les pays émergents doivent désormais s’habituer à avoir une monnaie plus forte. Une monnaie doit refléter les fondamentaux de son économie. Dès lors, on peut estimer que le yuan chinois est sous-évalué. A Maurice, la roupie reflète sa vraie valeur, généralement parlant. Le niveau actuel de la roupie n’est pas déraisonnable. Toutefois, je ne parlerais pas d’une roupie forte, mais plutôt d’un dollar ou d’un euro faible. En fait, le désordre vient d’ailleurs. Il n’y a pas eu de bonne gouvernance des institutions financières aux Etats-Unis et en Europe et c’est nous qui payons les pots cassés. Pourtant, il n’y a pas eu de faillite bancaire à Maurice. Mais il est clair que les pays émergents, et parmi eux Maurice, vont devoir accepter une hausse raisonnable de leur monnaie. La réalité du marché des changes, c’est que pour chaque vente d’une certaine monnaie, il y a un achat correspondant. Donc, dans la globalité des choses, c’est un «zero sum game».
? Nous sommes en pleine préparation du prochain budget. Sur quoi le gouvernement devrait-il insister ?
Le gouvernement doit revoir ses dépenses. Il faut éliminer les gaspillages, car nous n’avons pas les ressourcessuffisantes pour nous permettre de gaspiller les fonds publics. Est-ce que Maurice a besoin d’une ambassade dans tous les pays ? Dans certains, il y a des représentants d’Air Mauritius, du Board of Investment ou de la MauritiusTourism Promotion Authority.
Ne pourrait-on pas regrouper ces présences sous le même toit, au sein d’un one stop shop ? Est-il nécessaire d’avoir deux régulateurs pour les communications ?  Les corps parapublics ne fonctionnent pas comme il le faudrait. Est-ce qu’il existe un système d’audit interne libre et indépendant du pouvoir politique ? Est-ce que les membres des différents boards sont suffisamment compétents ? Qu’en est-il de leur intégrité ?  Si nous voulons réussir, les mots-clés sont transparence et rigueur. C’est la bonne gouvernance qui va aider le pays. Quand on nous annonce que Maurice est numéro un en Afrique, je me demande s’il s’agit vraiment d’un compliment. Car au pays des aveugles, les borgnes sont rois. Il nous faut faire d’énormes progrès en matière de gouvernance de nos organisations, de nos entreprises et au sein même du gouvernement. On ne peut plus continuer à mentir aux gens. Il faut introduire la responsabilité fiscale, qui oblige le gouvernement à prendre des engagements fermes et à les respecter, notamment en matière de déficit budgétaire. La devise des décideurs politiques devrait être «nous disons ce que nous faisons et nous faisons ce que nous disons». Cela inspirerait confiance à la population.
? Comment trouver des marges de manoeuvre financières ?
Il faut revenir à une taxe progressive avec plusieurs tranches : 10 %, 15 % et 20 %. Ce serait un système plus équitable. Il faut introduire la flexibilité en matière d’horaires d’ouverture des bureaux. Je suis partisan d’une ouverture de 8 heures à 19 heures. Nous devons revoir le système de transports gratuits qui coûte très cher et reste inefficace. Je dis bien le «réformer» et non le «supprimer». Afin que les vrais bénéficiaires soient bien les personnes ciblées.
Par exemple, pour les personnes âgées qui voyagent peu, il serait plus efficace d’augmenter les pensions et qu’elles payent le transport lors de leurs déplacements. Notre système éducatif doit également être réformé. Il n’est pas possible que les enfants prennent des leçons particulières jusqu’à 20 heures.
? Faut-il un budget de relance ou des mesures d’austérité ?
Je n’ai jamais cru aux différents «stimulus packages» comme «l’Economic Competitiveness and Restructuring Package». Et force est de constater qu’il n’ont pas été efficace ni à Maurice, ni dans les pays développés. Si nous continuons, la banque centrale n’aura plus les moyens de poursuivre sa politique. Mais il ne s’agit pas de proposer un budget d’austérité comme au Royaume-Uni. Il faut donner un signal fort, afi n de créer un «feel good factor», en prenant, par exemple, des mesures pour augmenter la productivité. La dimension sociale doit être privilégiée, en facilitant l’accès au crédit pour les gens qui souhaitent faire des efforts pour s’en sortir. Nous ne devons plus penser en termes de secteurs, mais en termes du pays tout entier.
Il faut prendre des décisions courageuses et non se contenter de palliatifs. Et surtout montrer à la population que «yes, we care for you».
 
Propos recueillis par Pierrick PÉDEL
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