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Danielle Palmyre: « Il faut que le système d’éducation donne l’assurance qu’il est équitable »
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Danielle Palmyre: « Il faut que le système d’éducation donne l’assurance qu’il est équitable »

Le docteur Danielle Palmyre Florigny est actuellement directrice du département de théologie à l’Institut Cardinal Jean Margéot à Rose-Hill. Elle nous livre ses impressions sur les changements à apporter au système éducatif qui selon elle, est trop élitiste.
Seriez-vous en faveur de notre système d’éducation tel que nous le connaissons aujourd’hui ?
Je suis contre le système éducatif tel qu’il est actuellement. Je sais bien que je donne l’impression de cracher dans la soupe lorsque je prends position contre le système parce que j’en ai bénéficié. Je sais également que le système permet aux compétences académiques du pays de s’illustrer. Mais dans l’éducation il n’y a pas que le côté académique, c’est plus que l’académique.
Quelles seraient, selon vous, les nouveautés à apporter ?
Le système doit permettre aux jeunes ayant d’autres compétences dans d’autres domaines de se développer. Une attention particulièrement doit être donnée à ceux qui ont du potentiel mais qui n’ont pas les moyens de poursuivre leurs études. C’est comme cela qu’on créé une génération d’élite. Une élite ne peut pas provenir que du côté académique. Les lauréats c’est le sommet de l’iceberg. Beaucoup de jeunes ayant du potentiel n’arrivent pas à se développer à cause du système. Ce système doit avoir un éventail plus large dans l’éducation. Il devrait y avoir davantage de bourses dans des secteurs plus variés.
Quelles devraient-être les priorités ?
Je pense personnellement que le système doit être réformé en amont, c’est-à-dire, dès la maternelle. Il y va d’une question d’égalité. Le gouvernement gagnerait beaucoup plus à investir dans l’éveil, l’école maternelle. Donner une éducation de qualité universitaire à l’école maternelle fera disparaitre le goulot d’étranglement qui existe en fin des cycles primaire et secondaire. Il faudrait également accompagner les jeunes, chacun à son rythme et ouvrir une plus large palette de choix à tous les niveaux.  Le système doit permettre toutes les formes d’intelligences de se développer et de se parfaire. Pour le moment nous avons  un système rigide qui produit des échecs pas seulement dans l’éducation mais également au niveau social.
Que pensez-vous des propositions mises en avant par le ministre de l’Education pour une régionalisation des bourses afin que plus d’élèves puissent bénéficier des bourses ?
Plusieurs facteurs sont en jeu dans la proposition du ministre de l’éducation. Il faudra être très prudent et revoir de près notre système au tertiaire pour qu’il soit satisfaisant et attirant. Il faut voir les différentes filières qui existent, la qualité de ces filières, en développer d’autres en fonction de la conjoncture. C’est intéressant d’offrir des bourses après un premier cycle, mais il faut que le niveau dans nos universités soit élevé et que les filières soient variées. Il faudra faire un inventaire, une évaluation de la qualité des études tertiaires à Maurice et le faire avec des échéances bien précises. S’il y a du changement à faire dans le système éducatif à Maurice c’est dans tous les domaines et à tous les niveaux. L’éducation est un système holistique.
Quels seraient selon vous le plus gros obstacle que rencontrerait le ministre dans sa démarche ?  
Le travail auprès des parents et des jeunes est important. Il y a un mythe autour de l’éducation à Maurice qu’il faut clarifier. Les Mauriciens sont méfiants et il faut que ceux qui sont dans le système donnent la preuve, montrent l’exemple, rassurent la population par rapport aux fléaux, à savoir, la corruption, le communalisme et le favoritisme. Il faut que le système donne la preuve ou l’assurance qu’il est équitable et excellent pour tous. Ce n’est qu’à ce moment que le tertiaire deviendrait crédible.
Comment y parvenir ?
La révolution doit commencer dans la tête des gens et pour cela une pédagogie bien réfléchie s’impose. Les décideurs doivent prendre les moyens pour planifier rigoureusement ce programme. Tous les facteurs doivent être scrutés, étudiés minutieusement les unes après les autres. Il y a le poids des habitudes et des traditions qu’il faut éliminer. Le prestige, la récompense réservée aux lauréats doivent être maintenus, mais ces reconnaissances ne doivent pas être réservées qu’à ceux qui ont réussi au niveau académique. Notre système éducatif est trop focalisé sur ce type d’intelligence et c’est dommage. Il y a d’autres qui réussissent autrement et ceux-là doivent être encouragés.
Et le rôle des politiciens dans tout cela ?
Le but de l’éducation c’est de permettre l’accès au savoir au plus grand nombre. Cela commence au pré-primaire. Pour cela il faut une véritable volonté politique, pour que tous les Mauriciens aient dès le départ les mêmes chances. Il nous faut une réforme qui inclut le plus grand nombre de jeunes jusqu’au tertiaire. Le plus inquiétant dans notre système c’est le taux d’échec.  Il faut faire preuve de créativité, voir quels sont les facteurs qui conduisent à l’échec scolaire et agir en conséquence. Un niveau d’excellence dans un système d’éducation n’est pas un luxe. Le système éducatif à Maurice dépend trop des politiques. Chaque régime apporte sa réforme. L’éducation n’est pas un domaine où l’on peut changer les choses à tout bout de champ.
Que pensez-vous du débat autour de la langue Kreol à l’école ?
Pour moi, la question du créole ne se pose même pas. Elle est sidérante. C’est une question de bon sens et à Maurice c’est la sensibilité, les préjugés, les idées reçus qui priment sur le bon sens. C’est comme on dirait demain aux Français d’enseigner les matières dans la langue anglaise ou aux Anglais d’enseigner dans la langue française. Ce n’est pas logique. Même si on arrive à montrer que pour 80% de la population le kreol est la première langue, il y aurait toujours des personnes qui seront contre cette langue. Le Kreol est prêt à faire son entrée dans les écoles, je pense au projet du Bureau d’Education Catholique (BEC) qui a fait ses preuves. Les mentalités ne sont pas prêtes.
Que répondez-vous à ceux qui disent que l’officialisation du Kreol à l’école est une régression ?
Une langue n’est pas un ghetto, elle est vitale pour un peuple. Il n’a jamais été question d’être enfermé dans le kreol. On peut comprendre beaucoup plus de choses dans une langue première que dans des langues étrangères. Je pense que c’est un mythe de dire que les Mauriciens maitrisent le français et l’anglais. Il n’y a qu’à corriger les copies des étudiants Mauriciens à tous les niveaux. A Maurice on ne fait que gérer le plurilinguisme. Un des facteurs qui nous feraient maitriser véritablement les langues étrangères c’est l’apprentissage dans la langue première du pays. Les experts le confirment. C’est aux politiciens de vulgariser ce que disent les experts si leurs propos sont loin du peuple. Cette question du kreol ne doit pas devenir un débat idéologique. Ce que nous voulons que c’est voir plus de jeunes accéder au savoir. Il faut élargir le débat et comprendre que c’est tout un ensemble qui influence la réussite.
Quelles seraient les vraies difficultés à introduire le Kreol à l’école ?
Pour moi le plus gros obstacle demeure la déconsidération du créole comme langue. D’un point de vue pédagogique, les langues doivent vivre. Et d’un point de vue de droit universel, un peuple doit avoir accès à sa langue maternelle. Et il faut se donner les moyens pour réaliser cela. Un jeune qui pense en kreol peut apprendre parfaitement le français ou l’anglais rien ne peut l’empêcher de le faire. Mais apprendre une langue étrangère ou une matière dans une langue étrangère il y a l’obstacle de la langue qu’il lui faudra franchir. Le plurilinguisme doit être échelonné dans le temps comme cela se fait dans d’autres pays ou le système éducatif atteint ses objectifs.
Des réformes sont nécessaires mais elles demandent du temps, pensez-vous qu’on arrivera à une éducation de qualité à Maurice ?
Il faut des réformes pour progresser dans l’éducation et dans le social. L’appartenance à une nation passe par l’éducation. L’unité nationale commence à l’école. On n’y arrivera jamais si on continue à porter des jugements de valeurs négatifs. C’est un travail de longue haleine, il faut commencer dès maintenant. Le système actuel produit des jeunes adultes dépourvus de valeurs sociales. C’est un gaspillage de ressources humaines. Notre société ne croit pas en nos jeunes. On les laisse sur le pavé. Et ce n’est pas une faveur qu’on leur fait en leur restituant leur droit. Ils ont tous droit à l’accès à une éducation de qualité. Il faut prendre les différents moyens qui s’imposent et laisser la langue maternelle tenir son rôle dans le système.
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