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Dhanjay Jhurry : «Le secteur privé doit davantage s’impliquer dans la recherche à Maurice»

22 mai 2011, 07:26

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Lauréat du Best Mauritian Scientist Award, le professeur Dhanjay Jhurry prône une Corporate Scientific Responsibility pour impliquer le secteur privé dans la recherche. Maurice y gagnera.

La filière scientifique, dit-on, mène à tout…

La filière scientifique inculque la rigueur, incite à la curiosité, vous pousse à rechercher la vérité, vous aide à comprendre et à mieux appréhender le monde qui vous entoure, vous fait accepter le doute et vous aide à vous dépasser. Bref, vous comprenez qu’une démarche scientifique est utile dans la vie de tous les jours. Il est vrai qu’après avoir suivi une filière scientifique, vous pouvez aussi intégrer un MBA.

Peut-on ajouter : pas seulement à un titre de Best Mauritian Scientist Award ?

Le scientifique ne travaille pas nécessairement pour être primé. Un bon scientifique est déjà reconnu par ses pairs sur le plan international à travers ses publications et autres contributions mais la reconnaissance nationale est aussi importante surtout ici, où la science et la recherche n’occupent pas une place très importante. Une telle reconnaissance donne à la science et à la recherche plus de valeur et permet aux citoyens de comprendre qu’il nous faut davantage de science pour que notre pays progresse. C’est aussi une incitation pour les jeunes à suivre la filière scientifique et pour ceux qui sont à l’étranger de voir que notre pays bouge.

En Algérie, les entreprises sont encouragées à s’intéresser à des projets de recherche, qui bénéficient de financement. Nous en sommes bien loin à Maurice…

Oui, nous en sommes certes bien loin à Maurice concernant la participation du privé dans la recherche. C’est sûrement lié à l’Histoire de notre pays. Tous les efforts et les moyens ont été concentrés sur le développement de l’industrie sucrière durant l’époque coloniale culminant à la création du Mauritius Sugar Industry Research Institute. Après l’indépendance, la recherche a été essentiellement développée par le gouvernement sans la contribution du privé. Le Mauritius Research Council a développé des programmes depuis plusieurs années pour accroître le partenariat public-privé mais la participation du privé demeure très faible. Le secteur privé mauricien a été dans une dynamique de production souvent sous licences étrangères. Mais pour être compétitif, cela ne suffit plus. Il faut davantage d’investissement dans la recherche et l’innovation dans les secteurs high-tech. Pourquoi pas une Corporate Scientific Responsibility ? Bon nombre d’industriels mauriciens seraient favorables à l’utilisation d’une partie de leur Corporate Social Responsibility pour la recherche. Les chercheurs doivent aussi faire un pas vers l’industrie et démontrer leur volonté à collaborer. A Singapour, le gouvernement a mis en place de nombreuses initiatives pour accroître la participation du privé, dont nous pourrions nous inspirer. Une chose est sûre, nous ne pouvons plus vivre avec les secteurs public et privé se regardant en chiens de faïence !

Cela fait un an qu’existe un ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Concrètement, en quoi cela favorise les travaux de chercheurs comme vous ?

Un ministère qui s’occupe à plein-temps de l’enseignement supérieur, de la science, de la recherche et de la technologie est capital si le pays veut passer à une autre étape de son développement. Le progrès économique repose sur l’innovation et plus de 80% de cette innovation est de nature scientifique et technologique.  Depuis sa mise en place, il est indéniable que les choses avancent. Le ministre Jeetah a lancé bon nombre de chantiers : plus d’étudiants au tertiaire, davantage de fonds pour la recherche, création de National Chairs pour la recherche, création de centres de recherche appliquée, Best Mauritian Scientist Award, etc. C’est formidable d’avoir un ministre qui peut prendre en compte les doléances et aspirations des chercheurs. C’est aussi très bien vu de la part des chercheurs étrangers qui nous prennent plus au sérieux.

Ne pensez-vous pas qu’une instance comme le Centre national de la recherche scientifique aurait pu faire œuvrer ensemble les scientifiques mauriciens ?

Pas nécessairement. Le modèle français a aussi ses faiblesses et a connu de nombreuses restructurations depuis sa création. Indéniablement, la recherche a Maurice doit être réorganisée. Le modèle actuel ne répond plus aux exigences. Une des premières actions devrait à mon avis être la mise sur pied d’une structure de recherche plus appropriée. Il nous faut aussi des interfaces université-industrie. Les enseignants-chercheurs de l’université de Maurice devraient être dispensés de cours et avoir plus de temps pour se consacrer à la recherche. Une grande majorité de ceux-ci dépassent les 270 heures de cours par mois et il est bien difficile d’envisager dans ces conditions une recherche soutenue. Nous devons aussi trouver des débouchés adéquats pour les étudiants qui investissent en recherche. Actuellement, bon nombre d’entre eux n’ont pas d’autre choix que d’abandonner la recherche après l’obtention de leur thèse, pour soit faire uniquement de l’enseignement ou de l’administratif. Pour avoir la masse critique, il faut donner les moyens aux chercheurs confirmés la possibilité de recruter des post-doctorants. Ils sont nombreux à formuler des demandes de l’Inde ou de la Chine pour poursuivre la recherche chez nous. Ce sont ces gens qui contribuent à l’avancement des pays développés. Toutefois, la réorganisation sans le financement adéquat ne mènera nulle part. Nous espérons que le prochain budget donnerait un signal fort au secteur recherche et innovation.

Estimez-vous que le programme scientifique au secondaire, notamment pour les mathématiques, a été trop allégé ?

En effet, nous avons noté une baisse de niveau en mathématiques des étudiants qui débutent en première année. En Angleterre, je crois comprendre que la décision d’abaisser le niveau des mathématiques date de plus d’une dizaine d’années. L’université a pris durant ces dernières années ce problème très au sérieux et tente d’amener les étudiants au niveau requis. Ils sont nombreux à poursuivre une thèse de doctorat en mathématiques et réussissent très bien.

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