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Dr Ashok Aubeeluck, économiste et ancien directeur du budget «aucun nouveau secteur depuis 7 ans»
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Dr Ashok Aubeeluck, économiste et ancien directeur du budget «aucun nouveau secteur depuis 7 ans»

Cet ancien directeur du budget explique qu’il y a un lien direct entre le leadership du pays et la performance économique. Il met la performance économique du pays sur le style de gestion du PM, sur le fait que les nominations politiques ont préséance sur la méritocratie. Il ajoute que le manque de vitalité dans notre économie a aussi à voir avec l’âge avancé de nos dirigeants.
Le gouvernement dit que notre économie est résiliente mais les différents acteurs économiques n’arrivent pas à cacher leur inquiétude. Quelle est la situation réelle ?
Notre performance actuelle est en dessous de notre potentiel. Il faut voir la situation en termes d’effi cience. Les variables démontrent qu’il y a un degré assez élevé d’ineffi cience dans notre économie. Quand un pays a un taux de chômage offi ciel de 8 %, il y a un problème. Or, tous les chômeurs ne s’enregistrent pas et il faudrait plutôt parler d’un taux de chômage de 10 %. Quand 10 % de la population ne travaillent pas, cela veut dire que nous sommes en train de produire en dessous de notre potentiel.
Et que faut- il faire pour arriver à notre potentiel ?
On peut investir plus de capital, on peut améliorer le système éducatif, on peut améliorer nos technologies. Ce qu’il faut comprendre, c’est que nous sommes en train de régresser, car le potentiel de croissance de notre économie est de 6 %, mais nous sommes en train de produire 3,5 %. Ce n’est pas que la faute du PTr car nous avions ce problème même quand le MSM et le MMM étaient au pouvoir, avec une moyenne de 4,4 %. Le PTr est au pouvoir depuis sept ans et sa performance, à l’exception de cette année, a été similaire à celle du MSM- MMM.
Pour arriver à 6 % de croissance, il faut faire le choix d’aller vers des secteurs qui permettront ce genre de croissance, n’est- ce pas ?
Exactement. Et c’est cela notre problème, car il n’y a eu aucun nouveau secteur économique créé ces sept dernières années. En 1971, nous créions le EPZ. Nous avons créé l’industrie touristique vers cette même époque. Début 80, on réforme l’économie et il y a un essor. Cinq ans après, il y a l’offshore, puis la cybercité. Nous avons ensuite diversifi é l’industrie sucrière en industrie de la canne et nous sommes devenus autosuffi sants en pomme de terre.
C’est ainsi que les choses se sont améliorées.Nous avons créé un Seafood hub , qui occupe 1 % de notre GDP. Notez que de 1983 à 1991, grâce à ces innovations, Maurice a connu une moyenne de croissance de 6,1 % par an. Mais, depuis ces sept dernières années, nous stagnons.
Pourtant, il y a eu de grands discours concernant le « Medical hub » , l’ « Educational hub » , la « Land- Based Oceanic Industry » , entre autres…
Justement il y a un décalage entre les vrais projets et les effets d’annonce. C’est dû, en grande partie, au fait qu’il y a un manque de personnes qualifi ées à Maurice, que ce soit dans le secteur privé ou le secteur public.
Un manque de personnes de qualité qui ont une vision et qui peuvent prendre des décisions importantes.
Etes- vous en train de dire que la crise économique n’est pas une fatalité et qu’il est possible, dès maintenant, de jeter des bases pour créer d’autres secteurs économiques ?
Oui et oui. L’histoire nous dit que oui. En 1982, 1983, la situation était bien plus grave qu’actuellement et nous avons réussi à surmonter ce problème en capitalisant sur certains événements, ce que d’autres pays n’ont pas pu faire.
Par exemple ?
En 1980, nous avions un taux d’infl ation de 42 %. Nous avions un défi cit de 14 %. Il y avait une instabilité politique inouïe et 13 mois de gaspillés entre 1982 et 1983. Mais par la suite, il y a eu un leadership fort, avec un Premier ministre qui avait bien des défauts mais qui laissait la liberté à ses ministres de travailler et d’innover. Bien que l’image publique d’Anerood Jugnauth était qu’il allait koup ledwa , tous ses ministres avaient une certaine fl exibilité pour travailler.
Aujourd’hui vous n’avez pas cela et c’est ce qui tue la créativité. C’est pour cela que nous n’avons pas pu créer d’autres secteurs depuis sept ans.
Qu’êtes- vous en train de dire ? Changeons de gouvernement et tous les problèmes s’en iront ?
Non, je vous parle de l’expérience du passé et de ce qui a marché pour le pays. Car le SAJ de 1983 n’est pas le même SAJ qu’en 2012. En 1983, SAJ n’avait pas le temps de s’attarder sur des petty things . Il n’avait pas le temps d’aller nommer les middle managers dans des corps semi- publics. Il y avait tellement de problèmes qu’il a dû se concentrer sur les solutions. Et les meilleures personnes occupaient les postes clés à l’époque, pas des agents politiques. C’est en mettant toutes les chances de son côté que SAJ a pu retourner la situation en notre faveur. Il a donné au pays 13 ans de croissance ininterrompue et je parle là, de croissance élevée.
Ne tombons pas dans le piège d’idéaliser le passé la chasse aux sorcières a bel et bien commencé en 1982 !
En 1982, oui. Mais ils ont vite réalisé qu’ils avaient fait une erreur, car le jeu n’en valait pas la chandelle. D’abord en créant un adversaire en la personne d’Hervé Duval.
D’autres proches du PTr ont aussi été victimisés à cette époque, mais la chasse aux sorcières s’est arrêtée là, en 1982, car il y avait d’autres priorités.
Les nominations politiques et la chasse aux sorcières auraient donc un effet direct sur l’économie du pays ?
Mais bien sûr, puisque quand on est dans cette logique, on aura tendance à éliminer des gens qui peuvent contribuer au pays en les remplaçant par ceux qui ne voient leur nomination qu’en termes de récompense et ne sont souvent pas à la hauteur. Les gens capables, découragés, ont tendance alors à émigrer.
Comment fait- on pour améliorer la situation ?
Il y a des secteurs que nous aurions pu développer, ce que nous ne sommes pas en train de faire. L’état océan est une merveilleuse idée, mais il faut avoir un plan directeur, pas seulement en parler. C’est un projet immense, donc il faut en faire un projet prioritaire si on veut le développer. L’approvisionnement en énergie est un gros problème et il est mondial. Produire une partie de notre énergie est stratégiquement très important.
Nous pouvons générer de l’électricité dans la mer de plusieurs façons. On a parlé de la Land- Based Oceanic Industry depuis un moment. J’ai eu la chance de témoigner du succès de ce projet à Hawaï, en 2005. Nous avons commencé à travailler sur ce projet, des experts avaient été contactés et tout ce que Maurice avait à faire était de copier ce qu’Hawaï a fait. Que fait le gouvernement ? Donner le projet à la SIC. Et vous savez ce qui se passe quand on donne des projets aux nominés politiques !
Quelle est votre prédiction pour les prochains moins ?
Si on continue avec l’immobilisme et qu’on ne prend pas des mesures qui s’imposent, le chômage va augmenter, de même que l’infl ation. Le problème est que le manque de visibilité et l’incertitude économique font que les gens ne vont pas investir actuellement. D’autres variables entreront en jeu : l’épargne a baissé ces sept dernières années – elle varie entre 13 % et 15 %. Or, nous avons besoin d’un taux d’épargne entre 25 % et 30 %. Nous avons aussi besoin d’un taux d’investissement de 28 % à 30 %. C’est essentiel à la croissance. Or, le taux d’investissement est de moins de 25 %.
Comment cette situation va- t- elle se traduire dans le quotidien des gens ?
J’avoue que je ne suis pas trop pessimiste. Mais si le taux de chômage augmente, on aura des problèmes sociaux. Durant la grande dépression, 22 % des personnes étaient au chômage en Angleterre. Quand les gens ne travaillent pas, il y a une série de problèmes sociaux : vols, prostitution, trafi c de drogue, corruption, le sens des valeurs et de l’éthique qui s’effrite…
Vous êtes en train de décrire la réalité d’aujourd’hui !
Ce sont des signes précurseurs. En 1980 par exemple, une femme ne pouvait pas marcher dans la rue avec ses bijoux sans qu’on les lui vole. Nous revoyons ce phénomène ces jours- ci.
Et vous dites que vous n’êtes pas pessimiste ?
Ecoutez, nous ne sommes pas dans la même situation qu’en 1982. La situation est mauvaise, mais les gens peuvent vivre, ils ont accès à la nourriture, il y a certains développements, il y a de nouveaux centres commerciaux, qui sont une nouveauté pour Maurice.
Mais mon plus gros souci est le problème politique à Maurice, c’est l’aspect politique qui nous donne une stabilité socio- économique. Notre problème c’est qu’on a un profi l politique vieillissant dans tous les partis. Il n’y a pas de jeune leader émergeant.
Quelle est la relation avec la situation économique ?
La vitalité. Ou plutôt le manque de vitalité. Ni SAJ, ni Navin Ramgoolam, ni Paul Bérenger ni Rashid Beebeejaun ne sont intéressés par de nouvelles idées, par un vrai changement. Tout ce qui les intéresse maintenant qu’ils sont à la fi• de leur carrière, c’est de la fi nir en beauté.
 
 
 Propos recueillis par Deepa BHOOKHUN
 
 
 
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