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Dr Vasantt Jogoo, prochain président du «Maurice ile durable (mid) fund»

5 novembre 2011, 07:44

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? Vous avez été pressenti pour présider le «MID Fund». Quel est notre plus gros défi par rapport à ce concept d’île durable ?

Le plus grand défi est de développer une stratégie cohérente par rapport au développement durable ou au MID comme on l’appelle, car nous n’y sommes pas encore. Nous sommes toujours au stade de slogan.

? Quatre ans après ? Est-ce normal ?

C’est «normal» dans le sens où beaucoup de pays ont parlé d’une stratégie pour le développement durable mais aucun n’a encore pu trouver une stratégie réalisable. Le développement durable est un concept qui comprend l’intégration de l’économie, de l’environnement et du social. Or, compte tenu de la façon dont le gouvernement travaille, les choses sont compartimentées en différents ministères. Donc, il faut d’abord défi nir ce qu’est le développement durable.

? Les autorités l’ont-elles défini ?

Non, je ne le pense pas. On dit que l’on a une vision, on dit que l’on veut d’une île Maurice propre, écologique et verte, etc.

Mais, dans le concret, il y a beaucoup de contradictions.

? Dans quel sens ?

Le monde s’urbanise de plus en plus. La moyenne de la population mondiale qui est urbanisée tourne autour de 53 %. Or, à Maurice, la tendance est plutôt à la ruralisation puisque les gens quittent la ville pour aller vivre dans les villages. Nous étions urbains à 44 % il y a quelques années et, aujourd’hui, nous le sommes à 40 %.

? Pourquoi est-ce une mauvaise chose ?

Parce que pour un pays à revenus moyens, nous avons une partie importante de la population qui est en train de jouir d’un style de vie urbain en région rurale sans qu’elle ne contribue au coût de maintien de cette infrastructure.

C’est le gouvernement qui finance cela, car ceux qui habitent les villages ne paient pas la taxe. Prenez l’exemple de Grand-Baie avec ses revenus et ses commerces : ce village peut facilement générer des revenus pour soutenir une municipalité. En 1992, il y avait déjà une centaine de commerces ! Les habitants doivent payer pour le maintien d’une ville c’est la règle de l’urbanisation.

? C’est ce que nous avions avec la «National Residential Property Tax» (NRPT) mais après la politique s’en est mêlée …

Tout à fait. Et je pense que le gouvernement doit revoir sa stratégie, de sorte que nous mettions sous administration urbaine les gros villages. Une stratégie qui ne se reposerait pas nécessairement sur le nombre de personnes qui y vivent, mais sur les revenus que ces villages peuvent générer.

? Pour une île qui se veut durable, nous sommes entourés par énormément de béton. Cela ne vous gêne pas ?

Effectivement et c’est une autre contradiction flagrante. Nous parlons de sécurité alimentaire et le besoin de produire plus de nourriture mais, en même temps, nous sommes en train de bétonner nos meilleures terres agricoles. Notre patrimoine bâti occupe déjà 25 % du territoire et c’est énorme. Ailleurs, c’est de 10 % à 15 %. Nous sommes un petit Etat insulaire avec toutes nos vulnérabilités et c’est impératif de gérer notre patrimoine foncier correctement. Si nous sommes sérieux par rapport au MID, il faut une gestion efficace de notre patrimoine foncier.

? Est-ce à dire qu’il n’y a eu aucune réflexion à ce niveau ?

Mais si on regarde autour de soi, on peut voir que l’on est en train de construire un peu partout. Quand les ressources sont aussi limitées que les nôtres, il faut faire attention aux espaces où l’on est en train de construire. Car, quand on parle de développement durable, on est en train de parler de ce qu’on va léguer aux générations futures. Il nous faut une stratégie. Toutes les études ont démontré que construire des villes compactes et concentrer les habitants dans ces villes est essentiel à un développement durable parce que l’on utilise moins de terres. Les habitant ont donc accès au transport public et n’ont ainsi pas besoin d’avoir recours à leur propre voiture. C’est cette vision-là qu’il nous manque. Que sera Maurice dans 20 ans ? Un pays avec des villes compactes et une population concentrée dans ces villes ou allons-nous continuer à bâtir là où nous voulons ? Car, on a beau avoir des plans stratégiques, c’est le secteur privé qui décide où l’on va construire.

? Ah ? Parce que nous avons des plans stratégiques ?

Oui, le dernier date de 2004 mais ils ne sont pas respectés et c’est facile pour les gens de décider de construire n’importe où ! Je ne pense pas que dans les plans d’aménagement du territoire, il y avait Cascavelle ou Bagatelle ! Le problème c’est que quand le rapport sort, les permis de développement ont déjà été donnés !

Et ensuite, au niveau infrastructurel, nous passons des années à rattraper les retards parce qu’il n’y a pas eu de planning au préalable. Et voilà comment on se retrouve à construire des «by-pass» partout !

? Justement, des «by-pass» partout et de nouvelles routes veulent dire plus de voitures. Ça fait partie du développement durable, ça ?

Absolument pas et c’est la troisième contradiction que j’ai notée. Le développement durable, c’est aussi la santé publique. Il faut tirer les gens de leurs voitures il faut les encourager à utiliser un transport en commun, à marcher. Or, on ne peut pas marcher sur nos routes on ne peut même pas circuler à vélo. Mais quand on dit qu’il faut réduire la consommation des produits pétroliers dans le transport, eh bien, il faut donner des alternatives aux gens. Il est temps de décider si l’on va choisir un «Bus Way», un métro léger, un «tramway». Quoi qu’il soit, il faut un mode de transport en commun de qualité.

? Mais vous serez appelé à assumer des responsabilités au «MID Fund» et au vu des contradictions notées, il est clair qu’il y aura des frustrations. Comment allez-vous les gérer ?

C’est important de faire un bilan des contradictions et c’est pour cela que la vision, le plan stratégique sont très importants. Or, il y a trop de slogans. Avant c’était l’île durable maintenant on parle de Cité-Etat.

C’est un concept complètement différent puisque là on parle de l’urbanisation à 100% ! Il faudrait donc savoir ce qu’on veut et c’est précisément ce qui n’a pas encore été défi ni.

Ce n’est pas suffisant de protéger quelques arbres il faut protéger la forêt qui est en train d’etre attaquée.

Jusqu’ici, nous nous sommes contentés de prendre des décisions symboliques mais on n’a pas commencé à avoir cette vue d’ensemble. En fait, le concept d’une île durable en elle même est très simple – il faut comprendre la relation entre l’humain et son environnement, il faut savoir comment allouer les ressources, comment les préserver pour les générations futures. C’est vraiment un gros défi d’amener les ressources des différents ministères à intégrer cette approche.

? Le plus gros défi sera surtout d’amener le gouvernement à faire sienne cette philosophie de développement durable dans tout ce qu’il fait !

Tout à fait et le gouvernement doit en fait donner l’exemple et doit être le leader en termes de gestion environnementale et en développement durable. C’est important parce que le gouvernement est un gros consommateur de biens et services et nous parlons là d’une somme de Rs 25 milliards. Rien qu’en ce moment, imaginez combien de milliards sont en train d’être dépensés dans les routes. Et c’est à travers le «procurement» que le gouvernement doit introduire les principes de développement durable. Il est temps d’arrêter de choisir juste en termes de ce qui est le moins cher il faudrait prendre en considération la durabilité, la consommation énergétique, bref un certain nombre de critères.

Pour le moment, c’est le secteur privé qui prend les devants mais si le gouvernement devient un exemple, il va créer un marché pour les produit verts, faire que ces produits deviennent plus compétitifs.

? Et sentez-vous qu’il y a cette volonté de prendre les devants ?

Ces choses-là prennent généralement du temps. La raison est toute simple il s’agit d’une vision à long terme alors que les gouvernements sont généralement là pour cinq ans !

Cela dit, il y des choses qui étonnent.

Maurice n’a, par exemple, aucune stratégie de réponse au changement climatique. Ils viennent de créer une cellule de changement climatique au ministère de l’Environnement mais il n’y a aucun plan d’action. Et ce, alors que des pays comme la Zambie, le Kenya ont déjà leur stratégie de réponse au changement climatique.

 

par Deepa BHOOKHUN

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