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Dumi Matabane, Haut-commissaire de l’Afrique du Sud à Maurice : «Le communalisme que j’ai découvert à Maurice est choquant !»
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Dumi Matabane, Haut-commissaire de l’Afrique du Sud à Maurice : «Le communalisme que j’ai découvert à Maurice est choquant !»

L’ancien soldat de l’aile militaire de l’ANC quitte Maurice la semaine prochaine après quatre ans comme Haut-commissaire de l’Afrique du Sud. Dumi Matabane s’est dit choqué lors de son discours d’adieu, il y a un peu, de la discrimination basée sur la caste et l’appartenance ethnique à Maurice.
? Vous dites dans votre discours d’adieu qu’il est regrettable que desgens à Maurice restent accrochés à leurs castes et se croient supérieurs aux autres au 20e siècle. Vous partez, donc, avec cette impression ?
Oh oui ! Mais, j’ai de l’espoir. Et ce parce qu’il y a eu des milliers de jeunes qui sont descendus dans la rue pour protester contre ce système.
? Ils n’étaient pas très nombreux…
Mais ce n’est pas grave. Il faut bien commencer quelque part. Le fait que des jeunes soient descendus dans la rue pour protester contre un système est porteur d’espoir. Ils ont dit qu’ils en avaient assez et qu’ils voulaient être Mauriciens avant tout. C’est le début d’une lutte politique.
L’ANC est un mouvement qui a commencé en 1912. Et après une lutte sans relâche durant des années, nous avons réussi à tirer le pays de l’apartheid. Donc, on ne peut presser un bouton pour changer les choses du jour au lendemain. Il faut avoir de la patience. La jeune génération de Maurice ne pense plus en termes de castes et de religions.
? Vous croyez vraiment que les Mauriciens se définissent en termes de religion et de castes ou vous êtes-vous laissé gagner par la propagande politicienne ?
Il y a ceux qui utilisent cette division pour leurs gains politiques. Mais le pire, c’est que des intellectuels, et non pas les petites gens, sentent le besoin d’annoncer que leur appartenance ethnique est importante ou qu’ils n’aiment pas les autres à cause de leur différence. Bien sûr, il y a aussi ceux qui sont éduqués et qui ont compris que ce genre de choses n’est pas important.
? Saviez-vous que Maurice était à ce point divisée quand vous avez débarqué il y a quatre ans ?
(Sourire…) On m’a peut-être dit des choses mais je suis plutôt du genre à découvrir les faits par moi-même. Maintenant, j’ai peut-être tort dans mon analyse de Maurice. C’est mon analyse personnelle. Elle ne vient pas de rapports que m’ont faits les autres.
? Et quelle est votre analyse ?
Que Maurice est un pays qui est en train de se développer économiquement. Que cette île compte des gens hautement qualifiés. Qu’elle va véritablement devenir cette étoile de l’océan Indien. Mais, vous n’y arriverez pas si vous continuez à refuser d’avoir une seule vision et un seul but. Il faut que vous regardiez tous dans la même direction. Ce communalisme que j’ai découvert ici est terrible. Vous savez, j’ai été surpris d’apprendre qu’environ 97 % de la population parle le créole. Et pourtant, on refuse d’introduire cette langue au Parlement.
Tout ça parce que l’on pense que si on utilise le créole au Parlement, alors on est tous des Créoles !
? Ne s’agit-il pas plutôt du fait que nous sommes un peuple colonisé qui pense qu’être bien vu nécessite de parler l’anglais et le français ?
Je sais bien que vous n’avez pas pu vous distancier de votre histoire coloniale - la preuve, vous commémorez toujours la Première guerre mondiale de la même façon que vous commémorez la Seconde ! La Première guerre mondiale était une guerre de colonisation ils ont divisé l’Afrique comme bon leur semblait.
Comment pouvez-vous commémorer quelque chose qui nous a coupé en morceaux ? La Seconde guerre mondiale a été menée pour la libération c’était une guerre contre le fascisme.
On ne peut pas comparer les deux et le gouvernement doit s’asseoir et décider de ce qu’il veut, de ce que Maurice doit respecter ou célébrer.
? Le gouvernement a déjà du mal à se décider de la tenue des élections municipales…
Si les élections des collectivités locales sont si importantes que cela, pourquoi est-ce que les gens ne font rien ? Quand ils ne font rien, cela permet au gouvernement de faire ce qu’il veut.
Votre problème, c’est que vous n’êtes pas un peuple uni. L’unité est vitale. Vous n’arrivez pas à imposer votre agenda à votre gouvernement parce que vous n’êtes pas unis. J’ai rencontré beaucoup d’activistes créoles qui se sont plaints de beaucoup de choses - que les Hindous ont tout et qu’eux n’ont rien. Et je leur ai dit : tant que vous ne serez pas unis, vous n’aurez rien !
? Je croyais que vous disiez que les Mauriciens devraient être unis ? Pourquoi parlez-vous de l’unité des Créoles ?
Je donne simplement un exemple de la division qui n’apporte rien. Les Hindous ne sont pas unis parce que certains d’entre eux pensent qu’ils sont supérieurs aux autres. Il en est de même pour les Créoles.
? Parlons des Sud-africains à présent. Puisque vous êtes leur représentant, dites nous pourquoi viennent ils ici en si grand nombre ?
Je ne suis pas leur représentant.
Ils ne viennent pas me voir. Ils n’ont aucune obligation de s’enregistrer à l’ambassade. Ceux qui viennent le font lorsqu’ils ont des problèmes ou s’ils apprécient notre gouvernement. Mais laissez-moi vous expliquer quelque chose à propos des Sud-africains blancs. Peut-être que vous les comprendrez mieux. Pendant l’apartheid, les Blancs n’avaient pas le droit de fréquenter les lieux où il y avait des Noirs.
On ne pouvait pas se mélanger on ne pouvait pas se marier. Ils ne pouvaient pas investir à l’étranger ou aller vivre ailleurs parce qu’ils étaient une nation de parias. Quand on a mis fi n à l’apartheid, nous avons aussi donné la liberté aux Blancs. (Sourire…) Et maintenant qu’ils peuvent aller où ils veulent, eh bien, ils viennent à Maurice !
? Sont-ils en train de fuir un régime politique auquel ils objectent en Afrique du Sud ?
Je ne sais pas.
? Vous êtes au courant d’une tension entre les Sud-africains et les Mauriciens ?
Je ne sais pas si cette tension est réelle. J’en ai d’ailleurs discuté avec un ministre de votre gouvernement. Nous savons que les Sud africains sont concentrés à Rivière-Noire.
Votre difficulté, c’est qu’il n’y a aucune loi qui empêche les gens de vivre là où ils veulent. Je comprends cette perception de discrimination envers les autres. La situation se corsera si, un jour, les Sud-africains ouvrent un bar ou un restaurant où les autres ne sont pas admis.
Jusqu’ici, je n’ai rien entendu de la sorte.
? Pensez-vous que les critiques envers les ressortissants sud-africains sont injustes ?
(Sourire…) Je ne sais pas. Peut-être que vous avez une mentalité insulaire ? Peut-être que vous avez peur des étrangers qui viennent vivre chez vous ?
? Mais nous n’avons rien contre les étrangers sympathiques qui s’intègrent à notre pays…
Il faut comprendre que ceux qui viennent de l’Afrique du Sud n’ont pas cette culture d’adaptation et d’intégration. Ils viennent d’un pays où on devait, non seulement, ne pas se mélanger aux autres, mais, où on n’avait pas le droit de le faire. (Silence…) Ils vont finir par s’adapter, surtout leurs enfants. La nouvelle génération de Sud-africains blancs fréquente les autres à l’école. J’ai de l’espoir pour eux.
Ceux qui ne peuvent pas s’adapter devront aller ailleurs où ils se sentiront plus confortables.
Et ils partiront, ne vous en faites pas.
Propos receuillis par Deepa BHOOKHUN
 
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