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Filip Fanchette : «Les identités ethniques sont politiques, pas biologiques, ni physiques»

14 novembre 2010, 04:48

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Filip Fanchette, homme religieux catholique, se définit comme un homme à identités multiples, et se dit «solidaire que de ceux et de celles qui se battent pour une société plus juste».

Minorités ethniques, homosexuels, réfugiés, demandeurs d’asile. L’intolérance à l’égard de ceux qui sont différents est-elle en hausse ou bien en parle-t-on davantage ?

La lutte pour la justice démarrée au 19siècle avec la lutte des travailleurs, est devenue la lutte pour les droits humains. Par vagues successive, des groupes partageant les mêmes souffrances se sont fait reconnaître lutte des femmes, des peuples indigènes, des gays et lesbiennes, des dalits en Inde, des autrement capables… la liste n’est pas close. La question de la tolérance change de camp. Au lieu de «qui décidons nous (qui est ce nous ? ) de tolérer ?», ces groupes exigent d’être reconnus et se sont organisés pour cela en utilisant tous les moyens de communication modernes. Avec l’internet, il n’y a plus de luttes locales, celles-ci s’appuient sur les luttes de groupes similaires d''''autres pays et sur les victoires inscrites dans des conventions internationales. De ce fait, ces groupes qui réussissent à faire entendre leurs voix rendent encore plus visibles les discriminations qu’ils subissent. C’est le résultat d’actions concertées. Nous le voyons dans le cas des Chagossiens ici même. D’autre part, les leaders religieux n’ont plus l’emprise qu’ils avaient auparavant. Les barrières mises par les religions ne sont plus hermétiques.

Est-ce la peur de l’inconnu ou bien la précarisation économique qui fait que chacun cherche de plus faible que soi pour en faire un bouc-émissaire ?

La source de l’intolérance est en nous tous, ce sont les idées et stéréotypes que nous absorbons de notre milieu si nous ne réagissons pas. Les boucs émissaires ont existé de tout temps. La lutte est passée du plan économique au plan culturel. Les fondamentalistes de tous bords sont eux-mêmes bien organizes, comme nous l’avons vu lors des dernières élections américaines. C’est la lutte pour le pouvoir financé par ceux et celles qui bénéficient de la situation actuelle. Ils utilisent la religion à fond, ce sont eux qui pointent du doigt ceux que nous devons détester. D’autre part, le refus de se battre à visage découvert contre le racisme hérité de l’esclavage et de la colonisation, apporte de l’eau à leur moulin.

John Sydenham Furnivall, qui fut le premier à énoncer la notion de société plurielle, prédisait que les sociétés colonisées s’écrouleraient si elles ne parvenaient pas à élaborer une volonté commune sociale ? Ne risquons-nous pas à Maurice de sombrer en tant que nation ?

Je ne crois pas que nous risquons de sombrer en tant que nation. Il y a près de 200 pays reconnus par les Nations unies. Il y a de multiples conceptions du vivre ensemble de la nation. Ce vivre ensemble est toujours à négocier, à construire et aujourd’hui nous avons une base solide qui dépasse toutes les conceptions religieuses ou culturelles : les droits humains. Ce que dans les documents des Nations unies on appelle un Rights based Approach. Les droits n’étant ni des normes ou des valeurs mais des droits legally enforceable.

Pensez-vous, comme Furnivall, que ces sociétés, dont la nôtre, sont constituées de groupes ethniques qui se côtoyent mais ne se mélangent pas ?

Je suis moi-même le produit de mélanges comme la très grande majorité des Créoles. Je vois tous les jours ce mélange qui continue. D’ailleurs, les identités ethniques sont des identités politiques, pas biologiques ou physiques. J’ai une multiplicité d’identités et celle que je choisis de mettre en avant à un moment ou à un autre, je le fais en réponse à une situation particulière. J’ai des amis solidaires dans toutes les communautés. Il n’y a aucune fierté à affirmer telle ou telle identité. Ma fierté est dans ce que je réussis à accomplir, pas en assumant un accident de mon histoire. Je ne suis solidaire que de ceux et de celles qui se battent pour une société plus juste, c’est là que le mélange se fait. Par exemple, je ne suis pas solidaire des prêtres catholiques créoles parce que je suis prêtre catholique créole. Mon choix identitaire à un moment donné est, de fait, un choix politique au sens plein de ce mot.. C’est au gouvernement élu de créer les conditions. Encore une fois, cela ne peut se faire que dans la pleine reconnaissance des droits de tous.

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