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Finlay Salesse animateur de «Radio One» : «Les gagging orders sont à la mode»

17 août 2013, 08:02

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Finlay Salesse animateur de «Radio One» : «Les gagging orders sont à la mode»
Mercredi, l’émission «Enquête en direct» de Finlay Salesse sur «Radio One» est interdite. L’animateur est puni pour avoir laissé passer des «propos orduriers» d’une auditrice, qui dénonçait le fait qu’un policier ivre l’aurait agressée. Finlay Salesse soulève dans cet entretien – entre autres – l’hypocrisie autour de la langue créole et son utilisation.
 
«Radio One» a demandé à ses auditeurs jeudi ce qu’ils pensaient de la sanction de l’IBA ; et vous ? Qu’en pensez-vous ?
C’est en même temps une bonne et mauvaise sanction. Moi, je reste dans le cadre strictement légal des dispositions qui régissent les radios privées et je dis qu’il y a peut-être eu matière à être choqué par les propos qui ont été diffusés. L’IBA a mis des critères que l’on est censé respecter et l’IBA a réagi.
 
◗ Vous admettez donc qu’il y avait matière à être choqué ?
Oui et d’ailleurs plusieurs personnes ont téléphoné pour dire qu’on n’aurait pas dû laisser passer ces propos orduriers. Et d’ailleurs j’ai concédé qu’il y avait un problème et que j’aurais dû censurer les propos de l’auditrice mais que pour des raisons personnelles, j’étais déconnecté ce jour-là. Ce genre de choses peut arriver à n’importe qui. Mais je tiens à dire qu’en 12 ans d’animation d’«Enquête en direct», c’est le seul problème que j’ai eu. «Enquête en direct» n’est pas un autobus de la CNT qui tombe en panne et qui fait des accidents pratiquement tous les jours ! De surcroît à Sorèze !
 
◗ Pourquoi dites-vous que la sanction de l’IBA était aussi mauvaise que bonne ?
Que l’IBA décide de sanctionner est une chose, qu’elle décide de suspendre une émission en est une autre. Ç’aurait pu être un avertissement ou une amende mais bon, l’IBA est libre de son choix et je ne suis certainement pas en train de contester cela. Mais venir interdire une émission, de mettre une sorte de gagging order – même si c’est à la mode ! Cette décision arrive dans un climat tout à fait suspicieux par rapport à tout ce qui se passe dans le pays. Mais bon, je suis directement responsable du délit car j’aurai dû appuyer sur le bouton retardateur mais le fait demeure que ces propos orduriers n’émanent pas de moi. Mais ce que je dénonce c’est le fait que l’IBA ait donné un mensonge comme excuse pour justifier la sanction !
 
◗ Pourquoi dites-vous que c’est un mensonge ?
Je vais répéter les propos de l’auditrice en bon français pour ne pas choquer ; elle a dit que le policier qui a trop abusé de la bouteille – pour ne pas dire «linn sou» – entre dans sa cellule, descend la fermeture éclair de sa braguette – vous voyez, c’est très français, c’est très correct –, exhibe ses parties intimes – pour ne pas dire autre chose – et dit à la dame qu’il va lui faire subir les pires sévices. Alors ç’aurait été acceptable de dire cela en français ? Quand Sandra O’Reilly est venue raconter ses viols successifs à la radio et que c’était en français, c’était acceptable ? Elle avait aussi utilisé le créole quand elle rapportait les propos de ses violeurs. Ça n’avait absolument pas choqué semble-t-il à l’époque. Est-ce donc une réaction de classe ? On peut dire fellation mais on ne peut pas dire l’équivalent en créole ? Je vous ai raconté ce qui a été dit par la femme ; cela constitue-t-il un appel au viol ? Et en quoi ai-je porté atteinte à la dignité de la femme ? Moi, qui suis plus féministe que beaucoup de bonnes femmes !
 
◗ Peut-être que l’IBA cherchait une raison assez forte pour justifier la sanction ?
Mais c’est une raison bancale ! L’IBA aurait pu s’en tenir aux propos orduriers mais cela n’aurait même pas tenu ! Pour la bonne et simple raison que c’est comme cela que «ces gens-là» parlent !
 
◗ Oui, mais à la radio, il devrait quand même y avoir un certain protocole, non ?
Mais le protocole est qu’il ne devrait pas y avoir de «foul and abusive language». Ça veut dire quoi ? Qu’une bonne bourgeoise qui se fait violer peut venir raconter son viol mais qu’une femme qui habite dans les régions rurales ou dans les banlieues et qui est incapable de maîtriser le français, elle, ne peut pas ? Et là je crois que le débat qu’a lancé Jack Bizlall sur Facebook est très intéressant ; qu’estce qui est acceptable et qu’est-ce qui n’est pas acceptable ?
 
◗ Et qui décide de cela ? Une police des moeurs ?
Tout à fait. Je m’empresse de dire que je peux comprendre que les mots ont choqué ; je ne voudrais pas utiliser les arguments que je viens de faire comme excuse pour justifier un manquement de ma part. Mais je crois qu’il faut un débat de fond sur l’utilisation du créole pour expliquer certaines situations, sur l’utilisation du créole en public.
 
◗ L’IBA dit qu’elle a voulu envoyer un signal fort en prenant cette sanction exemplaire. Vos commentaires ?
Mais cela a eu l’effet contraire, quand on voit toutes les réactions que cette décision a suscitées ! L’IBA aurait peutêtre pu agir avec l’autorité que lui confère sa fonction si elle n’était pas entachée d’une dose de suspicion. A-t-on oublié que Monsieur Dulthumun fait partie de l’IBA ? Je n’ai pas envie de remettre en cause l’institution. Je suis républicain donc je respecte les institutions mais quand il y a certains hommes qui pervertissent les institutions, il est permis d’avoir des doutes sur la noblesse des réactions et la cause que ces institutions sont en train de défendre.
 
◗ Car il ne faudrait pas oublier que si l’IBA est très enthousiaste à jouer aux chiens de garde par rapport aux radios privées, elle reste très silencieuse en ce qui concerne la MBC !
Alors que durant la campagne électorale, on a passé les gros jurons de Paul Bérenger en boucle à la télévision ! Oui, je crois qu’il est permis de se poser des questions sur l’indépendance de l’IBA. Cela dit, je ne crois pas que Navin Ramgoolam ait téléphoné à Monsieur Dulthumun pour lui dire «bez li». Mais sauf quand j’entends un membre de l’IBA aller dire sur une radio «si zot mank nou, nou pa pou mank zot», je me pose des questions.
 
◗ Pourquoi cette sanction, selon vous ? Parce que vous critiquez trop le gouvernement ?
Non, je ne pense pas. Peut être a-t-on voulu me décrédibiliser, me fragiliser. Enfin il n’y a pas d’autres explications quand je pense qu’on a inventé cette histoire que les propos diffusés sont de nature à encourager le viol ! Mais en tout cas, s’ils veulent me fragiliser, il faudrait qu’ils se réveillent un peu plus tôt que cela ! L’émission «Enquête en direct» est devenue une émission phare de Radio One. Et ce sont les auditeurs qui ont fait le succès de cette émission !
 
◗ L’ironie est que le succès de l’émission dépend du dysfonctionnement du système !
C’est vrai. C’est à cause de tout le dysfonctionnement de l’administration, à cause de l’attitude des fonctionnaires par rapport au grand public que nous avons autant de succès. Qui sont ceux qui téléphonent ? Ceux qui ont des ennuis avec la police, ceux qui subissent un mauvais traitement ou de la négligence médicale dans les hôpitaux. Ceux qui sont maltraités dans les bureaux de la sécurité sociale. En fin de compte, ce sont les auditeurs qui n’ont pas le service auquel ils auraient pu s’attendre, le dos au mur, qui viennent exposer leurs problèmes à la radio. Et les problèmes sont résolus de 75 % à 80 %. C’est ce qui a fait le succès de cette émission.
 
◗ Expliquez-nous comment fonctionne le retardateur de tous vos ennuis.
Le broadcast delay ou le retardateur est actif tout le temps. Il y a un délai de 15 secondes entre ce qui se dit dans le studio et ce que l’auditeur entend. Et quand un animateur entend quelque chose qui n’est pas censé être dit, il presse un bouton et on coupe avant que le public ne puisse entendre. Ce jour-là, j’avais la main sur le bouton mais je ne l’ai pas pressé. Que voulez-vous que je vous dise ? Ces choses-là arrivent ! On oublie de freiner, on oublie de faire des choses parce qu’on n’est pas concentré. Mais bon, des propos de policiers rapportés par une femme peuvent provoquer un scandale alors que souvent on entend des propos racistes qui peuvent inciter à la haine raciale mais qui, eux, ne sont pas sanctionnés.
 
◗ Pire, vous étiez en train de faire oeuvre utile ce jour-là en aidant une victime à dénoncer un policier !
C’est ce qui est encore plus scandalisant – ce que l’auditrice rapporte ! Qu’un policier ivre entre dans le poste de police, fait des propositions inacceptables à une prisonnière qui est sous la responsabilité de la police et que maintenant, le whistleblower est devenu le coupable. Vous me direz que c’est un peu la tendance ces derniers temps avec le MITD, etc. !
 
◗ Il y a une déposition contre le policier ?
O u i , a u  Po l i c e Complaints Bureau.
 
◗ Il y a eu des sanctions ?
Vous rigolez, là ? Et cela s’est passé il y a plus d’un mois. Alors que l’animateur qui a amplifié le vuvuzela du scandale est sanctionné mais pas le policier qui a tenu ces propos ! C’est un rôle de victime que j’assume complètement !
 
«IL FAUT UN DÉBAT DE FOND SUR L’UTILISATION DU CRÉOLE EN PUBLIC.»
 

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