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François Woo : «Nous sommes au milieu d’une tempête »

25 juillet 2012, 08:16

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Le directeur général de CMT Ltée estime que la crise « va durer plus longtemps que celles que nous avons connues ». Et ajoute : « Le pire c’est qu’elle commence à toucher l’économie réelle du pays. »


? Quelle analyse faites-vous de l’industrie du textile et de l’habillement actuellement à Maurice ?

On ne peut faire une analyse objective de l’industrie du textile et de l’habillement à Maurice, sans prendre en considération la conjoncture économique dégradée à l’échelle européenne, voire mondiale. La crise dont nous subissons les effets aujourd’hui n’est pas interne elle est liée à plusieurs facteurs externes. J’en prendrais trois. Il y a d’abord les dernières statistiques rendues publiques par le Fonds monétaire international indiquant que la croissance mondiale est en danger. Celle-ci sera abaissée de 0,1 % à 0,2 %, la ramenant à 3,5 % cette année et 3,9 % l’année prochaine. Pratiquement tous les pays sont concernés par cette baisse de croissance, dont les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, mais aussi l’Europe qui est au coeur de la crise.

Ensuite, le dernier rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui souligne que les pays riches sont frappés aujourd’hui par près de 50 millions de chômeurs, touchant particulièrement les jeunes dans la zone euro. Parallèlement, il y a eu la suppression de 8 000 emplois dans le secteur automobile en France, notamment dans l’entreprise PSA Peugeot Citroën.

Enfin, la restructuration dans le domaine de la confection de la célèbre chaîne de magasins britanniques, Marks & Spencer, suivant la baisse de 6,8 % de ses ventes enregistrée pour le dernier trimestre se terminant au 30 juin 2012.

Ces trois événements ne peuvent pas être pris en isolation par rapport au marché de la consommation en Europe et aux Etats-Unis. Qu’on le veuille ou non, ils réduisent la capacité financière de la population de ces pays à consommer. Du coup, ce sont des pays comme Maurice qui dépendent principalement de l’Europe pour son textile, son tourisme ou encore son BPO, qui sont principalement affectés.

? C’est mal parti pour les entreprises ?

Tout à fait. D’après mes prévisions, cette crise va durer plus longtemps que celles que nous avons connues. Le pire c’est qu’elle commence à toucher l’économie réelle du pays. Il est évident qu’avec autant de jeunes au chômage, la consommation baissera drastiquement. Dans un contexte où il existe une inadéquation entre l’offre et la demande, il y a fort à parier que chacun sera appelé à batailler dur pour avoir sa part du gâteau.

Du reste, il faut s’attendre à une compétition coupe-gorge dans cet environnement d’incertitude et d’absence de visibilité accrue. Certaines entreprises seront obligées d’adopter de nouvelles stratégies pour limiter les dégâts, en appliquant une politique de gestion des risques. D’autres s’emploieront à jouer sur les petits détails pour garder la tête hors de l’eau.

Par ailleurs, je n’exclus pas certaines casses au niveau de cette industrie. J’aurais souhaité que ce soit le contraire. Mais je crois fermement que nous sommes au milieu d’une tempête.

Vous allez sûrement me demander comment en sortir. Je pense qu’il appartient à chaque entreprise de dégager la bonne stratégie et de se préparer pour affronter cette crise avec plus de confiance.

? Quand vous parlez de casses, il s’agit essentiellement de licenciements économiques ?

Pas nécessairement. Le licenciement est la partie la plus visible. Mais dans une entreprise, il y a aussi des prestataires de services, des fournisseurs et d’autres partenaires financiers tels que les banques. Quand une entreprise s’écroule, ils seront tous affectés. Il n’y aura pas un seul secteur qui sera épargné.

? Comment la CMT compte-t-elle se repositionner sur le marché international pour éviter le pire vu que la crise, comme vous le dites, risque de perdurer encore longtemps ?

En investissant dans le futur. Ce qui explique notre démarche d’étendre nos activités au Bangladesh. Nous estimons que notre croissance a atteint ses limites à Maurice et que pour pouvoir grandir, il faut nécessairement investir hors du pays. Bangladesh nous permet d’avoir ce relais de croissance. Mais il faut insister sur le fait que nous n’allons pas délocaliser nos opérations à Maurice. Notre investissement au Bangladesh, c’est avant tout un investissement d’expansion. Nous ne déployons pas notre effectif dans ce pays.

? Pourquoi le Bangladesh ?

Tout simplement parce que nous bénéficions de coûts qui sont largement incomparables à ceux qui sont appliqués à Maurice. Il n’y a pas que les coûts de la main-d’oeuvre, mais également ceux liés à l’électricité, aux télécommunications et aux infrastructures, qui s’ajoutent aux coûts de production. Dans le secteur de la confection, il faut dire que 60 % des coûts sont fixes et les 40 % restants sont variables. Au Bangladesh, j’estime que les coûts de production sont plus de 15 % plus bas que Maurice.

Par ailleurs, je dois ajouter que CMT Bangladesh, qui est opérationnelle depuis 2011, confectionne uniquement des produits basiques, alors que notre usine à Maurice a déjà pris le pari de produire pour le marché moyen et haut de gamme. Nous y employons quelque 1 900 Bangladais à ce jour, pour une production mensuelle de 500 000 pièces. D’ici 2015, quand nous aurons investi US$ 175 millions et employé quelque 11 500 personnes, notre production s’élèvera à 5,5 millions de pièces par an.

? La CMT existe depuis un quart de siècle maintenant. Avec un chiffre d’affaires de plus de Rs 5 milliards, elle est l’un des leaders dans cette industrie. Comment expliquez-vous l’ascension de votre groupe ?

La CMT est une entreprise financièrement solide, avec un chiffre d’affaires de plus de Rs 5,3 milliards, des profi ts de Rs 1,2 milliard et des réserves de Rs 9,5 milliards. Peu d’entreprises peuvent se permettre d’aligner un tel bulletin de santé financier. On est de loin la compagnie de textile la plus profitable dans le pays. Je n’invente rien. Ce sont des chiffres qui sont facilement vérifiables dans la dernière édition du Top Hundred Companies. Toutefois, nous avons aussi subi les effets de la crise. Après une augmentation continue de notre chiffre d’affaires depuis 2007, quand il s’élevait à Rs 1,4 milliard, celui-là a commencé à chuter au plus fort de la crise en 2008, 2009 et 2010, à Rs 669 millions, Rs 719 millions et Rs 617 millions respectivement. L’année dernière, nous avons retrouvé nos résultats de 2007 et nous prévoyons des bénéfices de Rs 1,6 milliard pour 2012.

? Quelle est la recette de cette performance ?

J’insiste que cette performance n’est pas le fruit du hasard, mais le résultat d’une stratégie industrielle bien rodée, couplée avec une volonté de réussite et une consistance dans toutes les actions entreprises. Il faut aussi ajouter que nous n’avons pas distribué de dividendes à nos actionnaires depuis notre création. Nous avons préféré réinvestir tous les profits générés dans l’acquisition de nouveaux équipements, pour moderniser notre appareil productif afin d’être mieux équipés pour faire face à des lendemains difficiles.

? La CMT dispose d’une main d’œuvre étrangère de 4 500 personnes sur un total de 12 000. Est-ce une situation gérable ?

Disons que cette main-d’oeuvre étrangère, composée essentiellement de travailleurs indiens, sri-lankais, chinois ou encore bangladais, est financièrement coûteuse. Elle s’avère toutefois essentielle pour le maintiendes 7 500 emplois mauriciens. Sans les travailleurs étrangers, il n’y aura pas d’emplois pour les Mauriciens. Vous allez me demander pourquoi… C’est surtout en raison de leur productivité.

? Le taux de change de la roupie face à l’euro a-t-il contribué à compliquer la situation ?

L’appréciation de la roupie face à l’euro et la livre, n’est pas venue arranger les choses. D’ailleurs, de juillet 2011 à juillet 2012, les principaux concurrents de Maurice dans le segment ‘produits basiques’, tels que le Bangladesh et la Turquie, ont vu leurs monnaies se déprécier face au dollar, à la livre sterling ou encore à l’euro, dans des proportions allant de 1,1 % à 10 %.

En revanche, la roupie s’est appréciée par rapport à la livre à 0,2 % et face à l’euro à 7,4 %. Une situation qui ne peut que fragiliser financièrement les entreprises textiles. Ce que les opérateurs recherchent, c’est avant tout une roupie qui soit compétitive face aux principales devises étrangères.

Propos recueillis par Villen ANGANAN
(Source : l’express, mercredi 25 juillet 2012)

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