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Gaëtan Siew : « Quand on n’a pas d’argent, faut des idées innovantes »

28 septembre 2010, 05:33

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? L’architecte est le concepteur d’une manière de vivre…

La maison est l’enveloppe la plus familière pour toute personne. En fait, toute activité humaine se passe dans une enveloppe, que ce soit une école, un hôpital, une usine, des bureaux…

Au-delà des murs, l’architecte propose un projet de vie, d’activité. Et plus largement, la ville est ce qui englobe, fédère ces enveloppes en ce sens qu’elle est moteur de croissance, de développement, de rencontre, de socialisation. L’urbanisme et l’architecture sont intimement liés. Les bâtiments d’Ebène, par exemple, ont un impact sur la ville et sur la manière dont on pense la ville.

? Le cas d’Ebène est-il symptomatique d’une vision trop influencée par des modèles étrangers ?

C’est un cas révélateur de beaucoup de projets qu’on retrouve à travers l’île. Ces projets sont souvent le résultat d’une coopération internationale – avec l’Inde pour Ebène, la Chine pour Jin Fei, et un partenaire étranger à définir pour Highlands. Parce qu’ils ont été pensés à l’extérieur, sans connaissance du contexte local, sans véritable consultation avec les stakeholders, on y décèle des lacunes. Ces projets sont coupés de leur environnement et cela engendre des problèmes qu’il aurait fallu gérer de manière préventive, en amont. Je pense à la circulation piétonne et automobile, aux parkings.

Ces projets reposent sur une extrapolation d’un modèle de vie qu’on parachute, d’où le décalage avec le contexte local, les besoins et les aspirations de ceux qui vivent ces projets.

? Il n’y a pas de politique publique d’aménagement du territoire structurée et cohérente…

C’est juste. Il faut, je dirai, une vision globale du pays il faut un plan d’ensemble et il ne pourra être édicté que si on a une vision claire de ce qu’on veut pour Maurice dans les 20 ou 30 prochaines années. On connaît les enjeux mais, par exemple, jusqu’où souhaite-t-on aller dans le développement touristique ? Quels sont les secteurs économiques de demain ? Les réponses à ces questions ont une incidence directe sur la manière dont on doit penser l’espace. La planification permet de jeter les bases des développements à venir, qui auront nécessairement une empreinte sur l’espace, l’environnement.

? Et pour vous, quel est l’objectif à atteindre ?

Pour ma part, l’objectif final n’est pas la croissance économique, le Produit national brut. C’est la qualité de vie qui importe et qui doit être continuellement améliorée. Cela recoupe des données sociales, économiques, technologiques, culturelles. Il faut se demander selon quels paramètres la qualité de vie peut être améliorée. Il se peut que certaines activités deviennent des obstacles à cela. La réponse, dans ce cas, doit venir des politiciens.

? Les politiciens pourraient néanmoins être aiguillés par les professionnels, dont les architectes…

Les architectes ont, c’est vrai, une responsabilité sociale. Globalement et idéalement, chaque individu devrait être amené à exprimer son opinion, ses suggestions, voire ses recommandations.

Permettez-moi de prendre l’exemple de Singapour. En dehors du résultat – je ne dis pas que c’est la fi nalité pour Maurice – c’est dans la démarche qu’il y a des idées à reprendre. Il y existe une chambre de professionnels de tous horizons. Celle-ci est régulièrement consultée par le gouvernement et a même un siège réservé au Parlement.

L’expertise professionnelle est en lien direct avec l’action politique qu’elle nourrit d’une certaine manière.

? Lors de votre conférence, vous parliez de l’ouverture comme d’une nécessité. Le pays n’est-il pas assez ouvert ? Ou peut-être pas de la bonne manière ?

Les deux ! D’une part, au niveau institutionnel, même si dans les textes on peut investir, passer sa retraite ou travailler à Maurice, c’est, dans la pratique, la croix et la bannière pour les étrangers. D’autre part, au niveau de la population, qu’on dit hospitalière, il y a des frustrations, des rejets parfois. C’est parce que cette ouverture planifiée ne répond pas aux attentes de la population locale.

? Il faut dire que la logique de l’ouverture aujourd’hui est purement économique…

En effet, on cherche avant tout des investissements directs étrangers (IDE). Pour attirer ces IDE, faut-il que l’investisseur habite Maurice ? L’ouverture doit être bénéfique à tous les niveaux, pour la population locale, pour l’innovation, pour la culture. Il faut donc savoir quelle est la cible à viser. Par exemple, il existe une catégorie, si ce n’est une niche, de personnes nommées les High net worth individuals (HNWI). Ce sont des personnes qui disposent de capitaux importants mais surtout qui ont un réseau, qui sont innovantes.

Ce type de cible a des besoins spécifiques qui peuvent générer de nouvelles activités. Et le contact avec la population peut être source d’innovation de part et d’autre. Pour ma part, je préfère parler d’une creative class. Ce ne sont pas que des artistes. Plus largement, ce sont tous ceux qui, par leur travail, apportent une valeur ajoutée. Le métissage, en plus de la classe, de la race, des religions, est aussi celui des idées. Ce métissage, dont les retombées sont réelles, est tributaire de l’ouverture. Plus que les investissements, ce sont les intelligences qu’il faut attirer. Attract intelligence to get investment !

? Et comment faire ?

Ces personnes ne viennent que si un ensemble de conditions sont réunies : le climat, le mode de vie, la stabilité, des infrastructuresn de base de grande qualité. Toutefois, avant de penser répondre aux exigences des étrangers, potentiels HNWI ou de la creative class, les Mauriciens doivent eux-mêmes pouvoir jouir de ces standards internationaux.

? On est loin d’avoir un système de transports en commun attractif. C’est même un sérieux point négatif…

C’est une génération de perdue! Cela fait 25 ans qu’il n’y a aucune continuité d’un ministre à l’autre en charge des transports. Du coup, on tourne en rond et la situation empire. Dans vos colonnes, Daden Venkatasawmy (NdlR, l’express iD du 26 août) disait que la question des transports ne doit pas être tributaire des enjeux financiers car la question ne se pose pas pour une école ou un hôpital c’est nécessaire. Je suis tout à fait d’accord avec cela.

Il y a, qui plus est, tout un ensemble de mesures qui ne demande que des idées et une volonté, non pas des fonds. Par exemple, si on veut lancer le 24/7, qu’on le fasse, cela peut réduire sensiblement les flux parce qu’ils seront étalés dans le temps. On peut changer les horaires de livraison, donner des incentives aux entrepôts qui s’installent hors des centres. Ou, comme à Singapour, bénéficier d’une exemption de taxe sur les voitures à condition de ne l’utiliser que les week-ends et les jours fériés. On peut aussi intervenir sur la destination : au lieu d’aller à Port-Louis aux mêmes heures, généraliser les horaires décalés, motiver le télétravail. Pour certaines mesures il faut au préalable un bon réseau de transports en commun.

? Vous évoquiez dans votre conférence l’exemple de Curitiba, au Brésil, où, sans moyens, son maire, Jaime Lerner, a transformé son réseau de transport…

Curitiba est un exemple d’une vision politique réussie. Jaime Lerner est, je le précise, architecte. Il a su repenser sa ville et les réseaux de transports. Les bus sont toujours utilisés mais le réseau fonctionne comme celui d’un métro à ciel ouvert. Il suffit d’un ticket pour se rendre d’un point à un autre, même si on prend un autre bus sur le trajet. On effectue une correspondance comme dans le métro. Des voies sont dédiées aux bus, les arrêts ont été repensés pour plus d’efficacité. Les bus et les arrêts sont au même niveau, les portes d’entrée et de sortie plus grandes. Et en plus, Jaime Lerner a réussi à sédentariser les marchands ambulants aux arrêts d’autobus.

Avec une solution pour les transports, il a réglé deux problèmes. Il faut dire que la vision politique de Lerner n’a pas été gênée par un processus bureaucratique long. Quand on n’a pas d’argent, il faut des idées innovantes et Curitiba en est l’exemple.

 

Interview et photos réalisées par Gilles RIBOUËT

 

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