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Geetanjali Gill, consultante en pauvreté, genre et culture : «la pauvreté est liée au racisme, aux stéréotypes et aux préjugés»
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Geetanjali Gill, consultante en pauvreté, genre et culture : «la pauvreté est liée au racisme, aux stéréotypes et aux préjugés»

? Vous avez fait une étude à Goodlands, dans le cadre de votre doctorat sur la relation entre la pauvreté et l’éthnicité, dont les conclusions viennent d’être présentées par le ministère de l’Intégration sociale. Pourquoi Goodlands ?
Il fallait trouver un endroit qui était représentatif ethniquement et socialement de Maurice et Goodlands représente un microcosme en termes socio-économique de Maurice. Cela, avec une majorité d’hindous, de musulmans et de créoles.
? Pas de Mauriciens d’origines française ou chinoise ?
Très peu mais je n’ai pas pu m’entretenir avec les Mauriciens d’origine française.
? Et pourquoi donc ?
Je ne sais pas. J’aurai peut-être dû faire plus d’efforts !
? Vous avez raison, Goodlands est représentatif du pays alors. Et la communauté mauricienne d’origine chinoise ?
J’ai eu l’occasion d’interviewer seulement deux membres de cette communauté. Je n’ai donc pas pu les inclure dans mes recherches par ce que cela n’allait pas être représentatif.
? Comment vos conclusions sont-elles arrivées au ministère de l’Intégration sociale ?
Quand j’ai appris qu’il y avait un nouveau ministère de l’Intégration sociale, je lui ai envoyé un sommaire de mes conclusions. J’ai été agréablement surprise quand le ministère a pris contact avec moi me demandant de venir présenter ma recherche.
? Quelles ont été ces conclusions ?
Il faut d’abord que je dise que j’ai comptabilisé les télougous et les tamouls avec les hindous par ce qu’ils étaient similaires dans leurs modes de vie et leurs valeurs.
Mais, je classifié les créoles en trois groupes en fonction de la couleur de leur peau, même si, au final, je les ai traités comme un groupe distinct.
? Ah bon ? Comment avez vous su qu’il fallait les catégoriser par couleur de peau ?
(Rires…) Ce n’était pas une décision que j’avais prise avant d’entreprendre les recherches ! Ce n’est que quand j’ai commencé à leur parler que j’ai réalisé que ces gens faisaient, eux-mêmes, des distinctions entre eux sur la base de la couleur de leur peau.
Je me suis donc dit que s’ils faisaient eux-mêmes cette différence, il doit y avoir un problème quelque part. Ce phénomène n’est pas unique à Maurice j’ai donc décidé de faire une différence aussi dans mes analyses juste pour voir si c’était important.
Et, j’ai vu que cela l’était.
? Dans quel sens ?
Dans la catégorie des créoles, les plus pauvres sont ceux qui ont la peau plus foncée, soit 78 %. Ce qui est assez choquant.
? Mais pourquoi est-ce le cas ?
C’est en partie en raison des stéréotypes. J’ai interviewé beaucoup d’employeurs et j’ai vu que ces stéréotypes-là étaient présents dans les critères pour employer les gens. Ils avouent qu’ils préfèrent employer des hindous et si ceux-ci ne sont pas disponibles, ils préfèrent les musulmans aux créoles. Et, ces employeurs, eux-mêmes, ne sont pas créoles.
? Pourquoi ces préjugés contre les créoles ?
A cause des stéréotypes qu’il y a dans la société mauricienne et que tout le monde connaît.
? Sont-ils conscients qu’ils sont victimes de discrimination à cause des stéréotypes ?
Ce qui est intéressant, c’est que, eux aussi, se tiennent à l’écart de ces emplois justement parce qu’ils savent qu’ils subissent une discrimination. Donc, au-delà de l’exclusion contre eux, ils s’excluent eux-mêmes. Quand vous prenez ces deux facteurs ensemble, cela explique pourquoi les créoles sont relégués à la dernière classe sociale.
? C’est ce qu’ils vous ont dit ?
Oui. Ils savent qu’ils subissent une discrimination et ils préfèrent alors ne pas s’aventurer dans un monde hostile. On retrouve le même schéma dans le secteur de l’éducation.
Il y a eu des recherches dans le passé, par des gens qui sont allés observer ce qui se passe dans les salles de classe. Ces gens disent que les enseignants faisaient des commentaire désobligeants aux enfants créoles et aux filles. Donc, au-delà de l’aspect des finances, l’expérience d’un enfant à l’école peut expliquer sa performance académique.
Beaucoup d’enfants créoles font cette expérience. Et, selon une étude du MRC, dans des régions défavorisées, seuls 20 % des enseignants sont des créoles. Maintenant, s’ils ont des stéréotypes et que ceux-ci affectent la façon dont ils enseignent, cela va influer sur l’estime de soi des enfants créoles.
Ces derniers pourraient alors ne plus aller à l’école ou ne pas avoir une bonne performance.
Aussi, des parents disent qu’ils ne pensent pas que le fait d’aller à l’école aidera leurs enfants. Car, une fois qu’ils quittent l’école, il va falloir qu’ils entrent sur le marché du travail où ils subiront encore plus de discrimination.
? Qu’en est-il des hindous pauvres ?
Les hindous et musulmans pauvres ont autant de problèmes que les créoles pour accéder à l’aide sociale. Car, les gens qui s’occupent de cette aide, c’est-à dire les fonctionnaires, sont du même groupe ethnique qu’eux.
Quand j’ai commencé à poser des questions, j’ai compris qu’ils souffraient aussi d’un différent type de stéréotype. Il y a le stéréotype que les Asiatiques sont des travailleurs et que si les gens de cette communauté sont pauvres, cela veut dire qu’ils sont paresseux ! Et donc ils voulaient se dissocier de ces pauvres !
? Quel est le problème des hindous pauvres ?
Ils souffrent de ce qu’on appelle l’isolation sociale. J’ai réalisé que les hindous et musulmans qui se retrouvent dans la pauvreté étaient rejetés par leurs familles et n’avaient donc pas ce soutien familial.
Ce qui va à l’encontre du stéréotype sur les Asiatiques qui sont supposés avoir des valeurs familiales.
La majorité de ces gens étaient des chefs de familles femmes et des veuves. Les veuves m’ont dit qu’elles étaient traitées par leurs familles comme n’ayant aucune valeur.
? Même si elles ont des enfants ?
Oui et même si ces enfants ne sont pas pauvres. Il y a aussi ceux qui ont épousé, contre le gré de leur famille, un partenaire d’une religion ou d’une caste différentes la famille les rejette. Ainsi, ils n’ont aucun soutien et sont plus vulnérables à la pauvreté. Donc, ce sont des gens qui ne se conforment pas aux valeurs et aux normes de la communauté hindoue qui sont rejetés et se retrouvent, le plus souvent, dans la pauvreté.
? Et, le respect de la mère n’est pas une valeur de la communauté hindoue ?
J’ai fait des recherches sur le traitement réservé aux veuves en Inde et il y a une pratique de stigmatiser les veuves. Ce qui est bizarre, c’est que cette perception a été transportée à Maurice !
? Avez-vous noté une discrimination chez les hindous et les musulmans sur la base de la couleur de la peau ?
Non. Et, c’est intéressant car il y a des hindous qui sont très foncés de peau – et qui sont des fois plus foncés que les créoles – mais il n’y a pas de discrimination contre eux.
Puisque ce phénomène se produit dans les pays avec des populations d’origine africaine, je conclus que le facteur qui amène la discrimination est l’héritage africain.
? Mais comment résoudre ce problème ? Car si j’ai bien compris, la solution – du moins à long terme – n’est pas autant l’argent mais les stéréotypes, ancrés presque dans l’inconscient !
Exactement et c’est ce qui est intéressant car aucun pays au monde n’a pu régler ce problème de pauvreté lié au racisme, aux stéréotypes et aux préjugés. Si Maurice essaie et réussit, elle sera une pionnière !
? Comment fait-on ?
Je ne sais pas. Comment change-t-on les mentalités des gens ? Je ne sais pas. J’avais espéré que les problèmes se résoudront avec les nouvelles générations… mais en fonction de ce que j’ai vu à Goodlands, je ne suis pas sûre que cela arrivera. Car la jeune génération – du moins à Goodlands – partage les mêmes valeurs que leurs parents.
 
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