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Ibrahim Vayid (Consultant) : «Quelle expertise rapporter des porcheries canadiennes ?»

1 mai 2011, 11:04

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La migration circulaire vers le Canada, que prône la National Empowerment Foundation, ne convainc nullement Ibrahim Vayid, consultant en gestion des ressources humaines, gestion et entrepreneuriat.

Il y a deux ans vous vous êtes montré publiquement très critique envers le Empowerment Programme et la National Empowerment Foundation concernant l’envoi de travailleurs manuels au Canada. Vous maintenez vos réserves ?

Absolument. Car ils continuent à commettre les mêmes erreurs du passé en essayant de vendre un rêve à certains de nos concitoyens qui n’ont malheureusement pas tous les moyens nécessaires pour évaluer objectivement les conditions de travail sous lesquelles ils vont évoluer dans un pays reconnu pour son climat rigoureux et ses conditions de vie difficiles et précaires.

De plus ils n’ont rien fait en presque trois ans pour négocier de meilleures conditions de recrutement pour nos gens qui continuent à toucher des salaires bien en-dessous du seuil de pauvreté, surtout au Québec.

Ne pensez-vous pas que la migration circulaire permet aux bénéficiaires de faire profiter leur pays de leur expertise ainsi acquise?

Tout dépend du programme auquel on fait allusion. Si on parle du programme français, je dirais probablement oui. Mais lorsqu’on parle de recruter nos compatriotes pour aller travailler dans des porcheries en plein hiver à -35°C à 10,50 dollars canadiens l’heure, je me demande quelle expertise ils vont acquérir pour ensuite en faire profiter le pays.

La migration circulaire vue par la France concerne surtout les hommes d’affaires, les chercheurs ou les étudiants. La conception est différente de celle concernant les travailleurs mauriciens au Canada.

Je suis tout à fait d’accord. Jusqu''''''à maintenant, la NEF a recruté quelque 280 employés migrateurs pour ne travailler que dans les porcheries au Québec. Tandis que dans sa nouvelle stratégie de Migration Circulaire du Travail, elle a négocié avec la France pour que les Mauriciens puissent avoir accès à des emplois non seulement manuels, mais aussi administratifs et professionnels dans de différentes industries, y compris l’hôtellerie. J’espère bien que la NEF finira par accorder la même attention et la même vigilance pour le Canada qu’elle ne le fait pour la France dans sa nouvelle stratégie de migration circulaire.

Vous aviez vous-même quitté Maurice pour le Canada il y a plus de quarante ans de cela. Est-ce que les conditions objectives pour émigrer sont les mêmes ?

Non absolument pas. Les donnes ont changé d’une façon dramatique dans la politique d’immigration du Canada durant ces quatre décennies. J’ai vu les lois régissant l’entrée des immigrants, surtout des pays asiatiques et africains, se durcir pour des raisons purement politiques, économiques, non-justifiables et ouvertement discriminatoires. Dorénavant, pour être éligible comme immigrant potentiel, il faut que soyez riche, préférablement professionnel appartenant à la crème de la crème du pays d’origine et disposé à passer de tests coûteux et à attendre jusqu''à cinq ans pour avoir une réponse définitive.

Je dois beaucoup au Canada, mais je ne peux m’empêcher de critiquer ouvertement sa politique de l’immigration que je considère discriminatoire et hypocrite. Le Canada ne laisse entrer dorénavant que le nombre de personnes qualifiées dont il a besoin et majoritairement de pays qu’il privilégie : ceux d’Europe, y compris les nouveaux Etats de l’Europe de l’Est, de même que l’Australie, la Nouvelle Zélande, la Russie, l’Angleterre ou encore l’Irlande.

Le Canada a toujours eu une politique discriminatoire de par ses exigences de recrutement et sa décision délibérée d’ouvrir des bureaux d’immigration que dans des pays dont il convoitait les intellectuels et les professionnels. A l’exception du Québec, qui fut la première province à avoir négocié un accord spécial sur l’immigration avec le gouvernement fédéral, le gouvernement de Stephen Harper a rendu l’immigration au Canada si difficile et si dispendieuse que même les gens qui peuvent se le permettre et qui possèdent toutes les qualifications requises et tous les moyens financiers exigés doivent attendre jusqu''à cinq à six ans avant d’obtenir leur visa. Les agents d’immigration au Canada aussi bien que dans les bureaux d’outre-mer jouissent d’un pouvoir discrétionnaire qui leur fait agir comme des dieux et dont les décisions sont presque toujours sans appel. Le ministre de l’immigration a le pouvoir de refuser l’entrée au Canada à n’importe quelle personne ou groupe de gens qu’il juge non-admissibles même s’ils ont obtenu leur visa au préalable. C’est bien malheureux de le dire, mais, depuis ces dernières années, la politique d’immigration du Canada s’est confirmée comme une politique discriminatoire surtout vis-à-vis des gens des pays du tiers-monde, des pays asiatiques et africains ainsi que des gens pauvres en général. De nos jours, non seulement il faut une petite fortune rien que pour entamer les procédures nécessaires pour se faire considérer comme immigrant potentiel pour le Canada, il faut également et surtout avoir le courage d’un spartiate et la patience d’un saint pour réussir à passer à travers tous les obstacles financiers et administratifs qui attendent inévitablement le pauvre demandeur décontenancé.

Pensez-vous que les Mauriciens devraient continuer à s’installer au Canada, considéré par beaucoup comme un pays de l’avenir?

Le Canada n’est pas pour tout le monde. C’est un pays riche en ressources naturelles qui offre d’innombrables opportunités pour se faire une vie meilleure. Mais, en retour, cela exige énormément de sacrifices et d’accommodement dans notre vie quotidienne que ce soit dans nos pratiques religieuses, culturelles, familiales, sociales ou professionnelles. Le Canada, sans aucun doute et en toute franchise, a aidé beaucoup de nos concitoyens, moi inclus, à nous bâtir un brillant avenir, sain et prospère. Mais ce n’est pas la solution miracle auquel s’attend tout immigrant potentiel. Il faut bien réfléchir avant de se lancer dans une aventure qui peut coûter cher pas seulement financièrement, mais aussi et surtout professionnellement et socialement.

Propos recueillis par Iqbal Kalla

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