Publicité

Jack Lang « Maurice est concerné au premier chef par la piraterie »

12 octobre 2010, 06:48

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Un plan d’action régional a été adopté très rapidement par les délégués présents à Grand-Baie jeudi dernier (NdlR : seconde réunion ministérielle sur la piraterie). Quelle est votre première impression ?

Le document stratégique et le plan d’action régional sont de bons documents, sérieux et solides, cela ne fait aucun doute. Mais, au-delà de ces documents, ce sont la volonté politique et la détermination commune qui comptent.

Les conversations que j’ai eues avec les membres des gouvernements mauricien et seychellois, avec les délégués des organisations et autres partenaires, témoignent de la vigueur du signal pour décourager la piraterie et inverser le mouvement.

L’investissement des gouvernements de Maurice et des Seychelles est, je crois, exemplaire. Pour l’heure, je souligne que les efforts de la communauté internationale ont permis d’endiguer un tant soit peu la piraterie sans toutefois l’arrêter. Il faut donc persévérer dans ce sens.

Votre mandat spécial auprès du secrétaire général des Nations unies vous conduira à émettre des recommandations. Ce qui ressort de la conférence vous donne-t-il de nouveaux matériaux de réflexion ?

J’ai encore quelques semaines avant de soumettre mon rapport au secrétaire général des NU, Ban Ki-moon. J’ai mené des consultations auprès de responsables politiques et militaires tout au long de mon périple qui se poursuit entre autres au Kenya et à Djibouti, avant une étape à New-York, à la fi n de ce mois. Le sentiment qui se dégage de ces consultations est l’importance de créer une synergie entre les Etats, les organisations internationales et régionales, les armateurs, les compagnies maritimes, etc. C’est une guerre à mener contre la piraterie et surtout contre les causes de la piraterie, d’autant qu’une mafia s’y est greffée. Le banditisme qu’est la piraterie a des ramifications multiples qui complexifient la réponse à apporter. Il faut donc agir sur tous les fronts. Une démarche multilatérale dans ce sens est tout à fait appropriée.

N’empêche que tout cela semble très institutionnel. Aurait-il fallu aussi aller dans le sens d’un renforcement du dispositif sécuritaire et militaire, comme Atalante (dispositif sous l’égide de l’Union européenne depuis décembre 2008, NdlR) ?

Il faut effectivement renforcer les measures de contrôle. Cependant, ce n’est pas suffisant. Nous devons aussi concentrer les efforts sur l’aspect légal, la construction des prisons, le développement économique et la stabilité politique de la Somalie. Le chapitre sur le renforcement des poursuites et des arrestations est primordial pour empêcher l’impunité tout en s’attaquant à la racine. Les documents adoptés appellent à cela.

L’aspect répressif reste primordial...

Il faut des mesures pour le renforcement des capacités des polices des mers dans la région et des mesures légales et juridiques. Si on supprimait Atalante, on ne pourrait pas résoudre le problème somalien.

La situation se détériorerait sans aucun doute. Cette veille maritime est nécessaire pour sécuriser le trafic maritime.

Les efforts ne peuvent être diminués.

Outre ce dispositif, il faut se réjouir que des pays tels que la Chine, l’Inde, le Pakistan ou encore la Russie s’investissent dans le règlement du problème. Leur presence aux côtés des pays et organisations de la région, ainsi que des Européens, Américains et des NU, est un bon signal.

Pensez-vous que toutes les mesures institutionnelles prises ont un effet dissuasif sur les pirates ?

Je le crois. Il y a beaucoup de pirates qui ont été appréhendés. Les eaux au large des côtes somaliennes sont surveillées.

La piraterie est aussi un danger pour les pirates eux-mêmes, certains s’étant noyés durant leurs expéditions. Il faut leur rendre la tâche plus diffi cile pour les décourager. On constate que les navires qui respectent les recommandations de l’Organisation maritime internationale voient les risques auxquels ils s’exposent diminuer considérablement. J’ajoute que la piraterie porte également atteinte aux populations locales puisque même l’aide alimentaire ne peut être acheminée normalement.

Mais les pirates sont téméraires et vont très loin sur de petites embarcations...

Le champ d’action maritime des pirates est immense et il s’est considérablement étendu. Et effectivement, ils s’attaquent à des zones de plus en plus éloignées et plus au sud. Les Seychelles en souffrent. Maurice est aussi concerné au premier chef. C’est, vous le voyez, une priorité pour les économies d’Etats insulaires qui dépendent beaucoup du trafi c maritime.

Un protocole d’accord pour la poursuite et le jugement de pirates à Maurice est en suspens. Les Seychelles et le Kenya ont déjà signé les accords en ce sens avec l’Union européenne (UE). La multiplication des juridictions estelle judicieuse ? Ceci augmente les fonds nécessaires...

C’est plutôt une bonne chose. Cela dit, le jour où la situation serait stabilisée durablement, la légitimité de procédures légales reviendrait naturellement à la Somalie.

Or, pour le moment, l’inexistence d’un Etat de droit nécessite une prise en charge régionale de la dimension juridique et légale de la lutte contre la piraterie.

Le problème, actuellement, c’est le transfèrement des présumés pirates arrêtés. Cela demande des moyens, d’où l’intérêt de multiplier les juridictions dans la région pour éviter cela. Cependant, si une juridiction unique semble inadaptée, parce que c’est long et coûteux, l’idée n’est pas à écarter.

Résoudre le problème de la piraterie, et donc de la Somalie, demande des financements faramineux. L’UE a déjà dépensé plusieurs centaines de millions d’euros. Les organisations régionales comptent mettre la main à la poche. C’est un trou sans fond...

La question des financements ne doit pas être un obstacle au règlement de ce problème. Je le répète, la complexité de la situation nécessite une réponse sur plusieurs fronts. Forcément, cela a un impact sur les coûts. Mais la piraterie représente déjà un coût pour les Etats riverains, pour le trafic maritime, les armateurs, etc. Ce sont la stabilité économique et la sécurité de la région qui sont menacées. Les conséquences de la piraterie ont un écho mondial puisque c’est l’une des routes maritimes majeures qui est perturbée.

La réponse ne peut donc être que multilatérale et il faut saluer l’implication des partenaires internationaux.

 

Publicité