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Jacques Catherine : «Maurice n’est pas assez homogène pour être fédérée par une cause»

7 février 2011, 04:25

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Vu ce qui s’est passé en Tunisie, est-ce que les journalistes-citoyens et les blogueurs sont de plus en plus en position de changer le cours des choses ?

Le développement fulgurant des nouvelles technologies de la communication et de l’information au cours des cinq ou six dernières années a déjà sensiblement changé les choses. Chaque citoyen qui a aujourd’hui entre les mains un portable relativement nouveau est, virtuellement, un reporter radio ou télé : il peut, dans l’instant, filmer, photographier et rapporter ce qu’il voit quasiment instantanément. On l’a vu en Tunisie, la chape de plomb qui avait été posée par le régime dictatorial sur l’information dans ce pays a fondu comme de la cire de bougie quand les portables des Tunisiens ont commencé à montrer au monde entier ce qui s’y passait à travers les réseaux sociaux qui sont devenus, en 24 heures, la principale source d’informations des médias traditionnels qui, il faut le dire, ont toujours un peu pris de haut ces blogs de citoyens, ainsi que ces réseaux dits sociaux qui marchent sur leurs platebandes ! 

Les médias se sont rendu compte que blogs et autres «murs» sur FaceBook ou ailleurs sont une aubaine, car, d’une part, ce sont des sources d’information quasiment gratuites, mais, plus fondamentalement, d’autre part, le citoyen-reporter est en train d’acquérir rapidement la légitimité et la crédibilité que les médias traditionnels refusaient ou hésitaient encore à lui octroyer. Bien des professionnels de l’information considèrent de plus en plus que ces sources sont fiables. Il y a encore des résistances, mais c’est dans l’air, la tendance est palpable…

C’est un changement en profondeur : la révolution tunisienne a démontré qu’il est possible de se passer de reporters professionnels sur le terrain pour rapporter un événement. Mais cela invite simultanément à repenser le processus de collecte de l’information audio-visuelle en tant de produit, mais aussi sur le plan éthique, car le reporter citoyen est à la fois reporter et acteur au sein de l’événement auquel il participe.

Jusqu’ici, les médias se sont refusé à considérer comme fiable une source qui est partie prenante d’un événement quelconque. Il faudra un jour ou l’autre repenser tout cela…

Un blog peut cristalliser les frustrations populaires, mais n’y a-t-il pas risque de récupération par des politiciens opportunistes ?

Un blog cristallise à mon avis davantage les frustrations d’un individu que celles d’un groupe humain. Il n’y a pas que les frustrations qui s’expriment sur les blogs, il y a aussi de l’espoir, de la joie, des espérances, des idées nouvelles… il y a de tout sur les blogs !  La plupart des blogs sont des initiatives personnelles et, si je puis dire, les porte-voix de sans-voix, à la fois journal intime et journal de bord, lettre ouverte à la planète entière ou confessionnal, qui procurent peut-être à ceux qui tiennent un blog le sentiment d’exister bien au-delà de son cercle traditionnel d’amis, de parents, de collègues et de connaissances. Le blogueur s’exprime, parce qu’il estime qu’il a des choses intéressantes à dire : un PC et une connexion lui permettent, en quelques clics, de s’exprimer sans être censuré…

D’où certaines dérives inévitables. Mais je réponds à votre question par une autre : pourquoi ce serait un «risque» que des hommes politiques «récupèrent» comme vous dites d’éventuelles frustrations ? Ils le font déjà de toute façon. On appelle cela faire de la démagogie, ou nager dans le populisme…

A Maurice, les blogueurs encore loin de pouvoir de provoquer une mobilisation massive. A quoi est dû cela ?

Il n’y a pas que les blogueurs qui ne parviennent pas à mobiliser les Mauriciens en masse : il y a les syndicats, mais aussi quantité d’Ong qui attirent à peine quelques poignées de manifestants, quelle que soit la cause à défendre, même les plus nobles. Ce n’est pas à mon avis – pas encore ! – dans la nature des Mauriciens de sortir dans la rue pour aller manifester. La manif n’est pas dans notre culture socio-démocratique, comme en France ou en Italie. Certaines organisations politiques parviennent encore à mobiliser quelques foules relativement importantes (c’est d’ailleurs un mètre étalon plus ou moins fiable quand il s’agit de mesurer sa popularité à l’approche de consultations législatives), mais cela demeure ponctuel et motivé, pour ne pas dire coloré.

Même le foot local n’attire plus parfois que quelques vieux messieurs un peu nostalgiques dont la télé est probablement en panne…

Essayez donc d’organiser une manif contre la hausse des prix, disons dans une semaine : vous aurez de la chance si vous parvenez à attirer 500 personnes. Pourtant, tout le monde gueule (notamment à la radio !) contre les hausses des prix !

Plus fondamentalement, l’île Maurice n’est pas une nation assez homogène qu’une cause nationale, voire d’intérêt commun, puisse souder ou fédérer : nous sommes finalement qu’une constellation de chapelles qui se regardent poliment en chien de faïence, en dépit de ce que prétendent les brochures touristiques. Tout, absolument tout, est analysé, étiqueté et classifié en fonction de ces chapelles. Quand la chapelle X évoque un problème, la chapelle Y ou Z s’en fout, en disant : «ce n’est pas mon affaire»…. et reste chez elle.

Allez donc mobiliser une majorité de Mauriciens dans un tel contexte !

 

Propos recueillis par Iqbal Kalla

 

 

 

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